Mercredi 26 août, a été rendu public le rapport du Centre de Recherche en économie de l’Environnement, de l’Agroalimentaire, des Transports et de l’Énergie (CREATE) sur l’étude comparative des systèmes de récupération des contenants de boisson au Québec : la collecte sélective et la consigne. L’analyse avantages-coûts amène les chercheurs, selon les paramètres qu’ils ont retenus, à formuler les trois propositions suivantes : 1. La consigne est actuellement la meilleure méthode pour gérer le flux de bouteilles de vitres, en particulier les bouteilles de vin ; 2. L’abandon de la consigne sur les autres contenants, en particulier sur les canettes d’aluminium, promet d’importants gains économiques mais au prix de recycler beaucoup moins de contenants et 3. la pertinence des deux propositions précédentes dépend de deux phénomènes qui demeurent difficiles à évaluer : les coûts de manutention de la consigne au Québec et le problème des déchets sauvages.
S’appuyant sur certaines conclusions de l’étude, un grand nombre d’acteurs, notamment les embouteilleurs d’eau et de boissons gazeuses ainsi que les détaillants et commerces de détail se sont empressés d’appeler à l’abandon de toute idée d’élargissement et plus encore à l’abolition de la consigne. Nous souhaitons apporter plusieurs nuances et remarques quant aux principales conclusions de ce rapport. En effet, plusieurs hypothèses et limites bien que pour la plupart soulignées par les auteurs de l’étude qui, dans les paramètres discutables qui leur ont été fixés, ont fait globalement un bon travail, doivent être remises en perspective afin de souligner la nécessité de mener l’analyse plus loin en vue d’une décision éclairée.
Un « bien-être général » comme critère principal d’analyse qui gomme des nuances majeures
Ce large critère propre à tout exercice d’analyse avantages/coûts où l’on agrège les coûts et avantages pour arriver à un gain ou une perte « collective » calculés en millions de dollars, nous informe peu à savoir qui est réellement affecté par ces différents scénarios et sur les éventuels transferts de coûts/avantages entre acteurs : qui paie la facture ? Qui sont les gagnants et les perdants ? Dans l’étude, le « bien-être » immédiat et le dollar économisé ou perdu des embouteilleurs de boissons gazeuses, des détaillants est situé au même niveau que celui de la municipalité et du contribuable, du citoyen, des générations futures ou de la personne en situation de pauvreté contrainte à collecter des contenants de boisson consignés. Il reviendra aux décideurs publics de faire la part des choses et d’évaluer le bénéfice ou la perte pour la société associé aux différents scénarios.
Dimension sociale de la consigne etrôle des valoristes : un enjeu trop rapidement traité
Probablement des dizaines de milliers de personnes au Québec collectent et échangent contre de l’argent des millions de contenants consignés leur permettant souvent de boucler leurs fins de mois. Ces valoristes – tel qu’on les appelle – récupèrent essentiellement les contenants des autres consommateurs qui les mettent au bac de recyclage, à la poubelle ou les jettent à terre. Leur contribution réelle est méconnue. Les rares données collectées en contexte montréalais nous montrent qu’il s’agit surtout de personnes de 50 ans et plus avec une grande difficulté à trouver un emploi ou des personnes plus jeunes pour qui cette activité est une activité d’urgence ou de transition dans un moment difficile. Il faut souligner que toute abolition de la consigne pourrait avoir des conséquences majeures pour cette population en situation de grande pauvreté et de précarité. Pour de nombreux.ses valoristes, l’argent ainsi collecté leur permet de payer leur loyer et constitue souvent le dernier filet social pour ne pas tomber en situation d’itinérance. Cette dimension doit être mieux évaluée et prise en compte.
Consommation hors foyer, poubelles, déchets sauvages, pollution et coûts publics associés manquent à l’appel du rapport
Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment le nombre et la part réelle des contenants consignés/recyclables présents dans la poubelle et dans la nature. Par ailleurs, les rares données existantes sur la récupération hors foyer et dans les institutions, commerces et industries (ICI) sont partielles et montrent une performance très mitigée malgré la multiplication des îlots de recyclage alors que ce sont lieux de forte consommation de contenants de boisson. Ce manque de données fondamentales rend difficile une bonne évaluation des performances réelles de recyclage et des futures marges de progression notamment en ce qui concerne les bouteilles d’eau, les boissons gazeuses et les canettes de bière, de plus en plus consommées hors foyer. Cela fausse aussi l’évaluation des coûts. En effet, une part probablement significative de ces contenants se retrouve dans les poubelles résidentielles et publiques mais aussi souvent à terre et sur la voie publique générant des coûts de ramassage et de nettoyage pour la collectivité, et contaminant l’environnement souvent bien plus qu’en allant au dépotoir (plastique se retrouvant dans nos fleuves et nos rivières par exemple). Ces coûts indirects potentiellement très importants sont assumés par les municipalités et les contribuables à même leurs impôts locaux (contrairement à la collecte sélective municipale, aucune compensation n’est versée par les producteurs pour le traitement des poubelles et des déchets sauvages). Ils n’ont pas été réellement pris en compte dans l’étude. Avec une consigne élargie sur l’eau et toutes les boissons sucrées, on pourrait financer, notamment en compensant les valoristes, les activités de nettoyage des lieux publics, rues, parcs, fossés et le recyclage lors des grands évènements
Coûts de manutention du système de consigne : quelles options ont été regardées ?
Une étude poussée devrait être menée sur les coûts réels de manutention des boissons consignées pour les détaillants et surtout sur les complémentarités possibles avec un système de centres de dépôt. Ces lieux de retour spécialisés pour les boissons consignées existent partout ailleurs dans les autres provinces canadiennes (les fameux Bottle Depot) et sont en expérimentation au Québec par notre coopérative. Plusieurs modèles pourraient être proposés, venant par exemple détourner les éléments les plus problématiques pour les détaillants (grande quantité, diversité de contenants consignés, contenants écrasés, etc.) tout en permettant de faire rentrer le flux majeur de canettes écrasées qui actuellement ne peuvent pas prendre le chemin de la consigne.
Réduction à la source et performance du recyclage : l’environnement à la trappe ?
Priorité dans la hiérarchie des 3RV-E (Réduire, Réutiliser, Recycler, Valoriser, Enfouir) mise de l’avant par le gouvernement, la réduction à la source ainsi que la performance du recyclage apparaissent comme secondaires derrière les considérations économiques. Seule la consigne peut favoriser une réduction à la source surtout si la consigne s’applique de manière homogène à tous les contenants d’un même type de breuvage et qu’elle vise des contenants à bas coûts comme les bouteilles d’eau. Concernant la performance du recyclage: avec une abolition, elle risque de chuter drastiquement alors même que le gouvernement et les collectivités locales se sont fixés d’ambitieuses cibles de réduction. Rappelons qu’on parle d’un taux moyen de recyclage de 31% pour les contenants en aluminium non consigné contre 71% pour les contenants consignés ! Doit aussi être posée la question de la qualité de la matière récupérée (supérieure dans le cas de la consigne) et des types de recyclages souhaités ? Une bouteille en verre devrait elle redevenir une bouteille ou un agrégat pour ciment ? Enfin, le choix du poids comme mode unique de calcul de la performance nous semble problématique sachant que les poubelles et bacs ne se remplissent pas en poids mais bien en volume affectant ainsi la fréquence nécessaire de la collecte sélective. Il s’agit là de questions fondamentales et de données importantes à mieux prendre en compte.
Information, sensibilisation, éducation (ISÉ) : le chemin est long et incertain
On fonde dans l’étude beaucoup d’espoir sur l’ISÉ et le changement des comportements des consommateurs pour effectuer le bon geste de tri/recyclage. Cependant, les efforts menés au cours des dernières années pour ancrer ces changements et les performances très moyennes du recyclage hors-foyer incitent à la prudence quant à l’efficacité de ces mesures. La consigne, quant à elle, demeure un système populaire, bien compris (malgré les aberrations du système actuel et la difficulté de s’y retrouver entre les contenants consignés et non consignés) et accepté par la population.
En conclusion, le rapport ne permet de voir que la pointe de l’iceberg, qui plus est, avec certaines lunettes. Plutôt que de conclure trop hâtivement et de manière simpliste de l’action politique à mener, les autorités publiques doivent plutôt utiliser ce rapport comme une base de réflexion qui devra être nuancée et enrichie d’autres éléments avant de trancher. Une fois encore, la Coopérative de solidarité Les Valoristes salue la volonté de réaliser une étude comparative, encore faut-il qu’elle soit complète et complétée, notamment en regard des enjeux sociaux et environnementaux portés par la consigne, primordiaux pour le Québec. En 2015, à l’ère du « développement durable », il paraîtrait irresponsable de considérer un enjeu du strict point de vue économique, en omettant de considérer tout autant despoints de vue social et environnemental.
Pierre Batellier, Co-fondateur et président de la Coopérative de solidarité Les Valoristes
Les Valoristes,coopérative de solidarité est une entreprise d’économie sociale à but non-lucratif créée en 2012. Elle vise à favoriser et appuyer, dans une approche de gestion inclusive et participative, la récupération de matières consignées, recyclables et réutilisables par les valoristes, ainsi que faire connaitre et reconnaître l’importance de leur contribution.