Par César Gabillot
Une démarche séduisante
La première apparition du qualificatif « biomimétique » dans la littérature scientifique remonte à la fin des années 1960, où le biophysicien Otto Schmitt l’employa pour faire référence à l’imitation de mécanismes ou procédés naturels pour le développement de nouvelles technologies (1). Un exemple populaire est celui du Velcro®, le ruban auto-agrippant inspiré des fleurs de bardane et leurs nombreux crochets (2).
Aujourd’hui, le mot biomimétisme renvoie à cette même démarche, mais se démarque notamment par l’importance qu’elle accorde à la durabilité des applications qui en découlent. L’acceptation du terme est relativement récente, et est généralement associée à la parution du livre de Janine Benyus: Biomimicry, innovation inspired by nature, en 1997.
Cette biologiste de renom, considérée comme la pionnière du domaine, présente pour la première fois le biomimétisme comme une approche organisée et reproductible (3). Elle le définit comme « une démarche d’innovation, qui fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère » (4, p. 15).
Plus particulièrement, elle adresse avec le biomimétisme des pistes de solutions aux défis de développement (production et efficacité énergétique, gestion des déchets, accès à l’eau potable, etc.) relatifs aux modes opératoires conventionnels[1] des sociétés modernes, en les substituant par des applications durables inspirées du vivant. Elle soutient qu’en 3,8 milliards d’années d’évolution, la nature a eu le temps de se perfectionner en conservant ce qui fonctionne et ce qui dure, ce qui en fait la meilleure source d’inspiration possible en terme de développement durable. Cette vision du biomimétisme comme outil de développement durable permettant de répondre aux défis de société en vue d’une meilleure harmonie Homme/Nature est souvent reprise par d’autres auteurs et praticiens de cette approche (2, 5, 6, 7).
Mais potentiellement dangereuse ou impertinente selon qui l’utilise
Toutefois, l’idée selon laquelle la durabilité est une valeur intrinsèque de la nature, et que de ce fait l’imitation de toute forme, procédé ou système naturel mène inévitablement vers une application durable, n’est pas partagée de tous (8, 9).
Tout d’abord, l’évolution est un phénomène complexe et buissonnant n’étant pas nécessairement dirigé vers le progrès ou la durabilité. Ainsi, il existe bien des organes, espèces ou écosystèmes qui aujourd’hui constituent des « reliques » du passé, et dont la présence actuelle ne résulte en rien d’un processus de sélection qui témoigne de leur succès ou de leur adaptabilité (10). En ce sens, imiter leurs formes, procédés ou mécanismes ne conférerait pas de caractéristique durable particulière aux applications qu’ils inspirent.
Ensuite, certaines applications ne présentent aucun avantage environnemental substantiel par rapport aux pratiques ou produits conventionnels qu’elles remplacent, notamment lorsque la consommation de ressources, la pollution engendrée ou encore leur cycle de vie restent tout aussi élevés, voire supérieurs (9).
Par exemple, la peinture “antifouling” imitant la peau de requin, permet en l’appliquant sur les coques des bateaux de réduire les frottements et donc la consommation de carburant (11). Par contre, le procédé de production de cette peinture requiert de fortes conditions de chaleur, de pression et de traitement chimique, qui génèrent des impacts néfastes sur l’environnement (6).
Aussi, en cherchant constamment les matériaux et mécanismes les plus susceptibles de subvenir aux besoins humains, les chercheurs en biomimétisme vont parfois jusqu’à détourner une fonction du vivant au point de remettre en question l’éthique de la démarche (manipulation génétique, etc.) (9).
Plus largement, le biomimétisme peut être pratiqué à des fins autres que de développement durable, telles que militaires (12). Par exemple, l’armée américaine a développé toute une série d’appareils bioinspirés, dont le robot espion colibri qui imite la taille, la forme et les mouvements de l’oiseau en question (13). Ainsi, certaines applications biomimétiques, même si elles répondent à un défi de société donné (optimisation énergétique, réduction des intrants chimiques, synthèse de matériaux innovants, optimisation des échanges d’informations, etc.) peuvent apporter de nouvelles contraintes techniques, environnementales ou éthiques, faisant obstacle à leur pertinence et à leur durabilité.
Victime d’une appropriation à outrance
Il n’existe pour le moment aucune garantie officielle (ordre, label, etc.) du caractère biomimétique d’une application. En effet, même si le courant de pensée de Benyus semble repris par plusieurs personnes, aucune contrainte n’est imposée aux concepteurs et producteurs (charte, clause, cahier des charges, etc.) prétendant faire du biomimétisme (6).
Ainsi, certaines applications qui se disent « biomimétiques » sont dépourvues de la dimension politique qui imprègne l’approche de Benyus et de l’objectif de durabilité qui y sous-tend. Par conséquent, il existe un certain scepticisme à l’égard de cette démarche, notamment sur son bien-fondé et sur la durabilité de ses applications (9). Il apparaît donc important d’identifier les applications qui tranchent vraiment avec les modes opératoires conventionnels des sociétés modernes, afin d’apprécier le réel potentiel de cette approche en terme de développement durable.
Le biomimétisme peut proposer des alternatives de développement innovantes, qui soient potentiellement bénéfiques pour l’humain et l’environnement. Cependant, cette approche est à considérer avec précaution, puisqu’elle n’apporte aucun avantage environnemental si elle n’est pas réalisée dans un objectif de durabilité, et peut être employée à des fins détournées.
Finalement, le biomimétisme se veut un outil au service du développement durable, et tout comme celui-ci il écope d’une appropriation à outrance qui dénature l’essence de la philosophie originelle qui le constitue. C’est pourquoi une forme stricte de certification garantissant le respect de normes éthiques, environnementales, sociales et économiques, permettrait de rassembler sous la tutelle du biomimétisme les seules applications qui respectent la vision Benyusienne de l’approche.
[1] Par « modes opératoires conventionnels », on entend ici les modes de production énergétiques, les modes de fabrication des matériaux, les modes de gestion des ressources naturelles, les modes organisationnels, et plus largement les modes conventionnels de développement des sociétés humaines modernes (transport basé sur les ressources fossiles, synthèse pétrochimique des matériaux, agriculture chimique intensive, enfouissement des déchets, etc.) (4, 2).
Références
- (1) Schmitt, O. (1969). Some interesting and useful biomimetic transforms. Third International Biophysics Congress. p. 297
- (2) Lebel, M. et Matthieu, A. (2015). L’art d’imiter la nature, le biomimétisme. Montréal. Éditions MultiMondes
- (3) Urbeo (2013). Le biomimétisme, une source pour l’architecture durable. Eco-urbanisme, recherche et prospective. Récupéré de
- http://fr.calameo.com/read/002595223b76153823070
- (4) Benyus, J. M. (1997). Biomimicry : Innovation Inspired by Nature. New York: William Morrow & Co.
- (5) Lee, D. et Thompson, M. (2011). Biomimicry: Inventions Inspired by Nature. Toronto. Éditions Kids Can Press
- (6) Commissariat général au développement durable. (2012). Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition vers une économie verte en France: état des lieux, potentiel, leviers. Études et document. Délégation au développement durable, N°72
- (7) Bœuf, G. (2014). Biomimétisme et bio-inspiration. Vraiment durable, (1)5, 43-55. doi : 10.3917/vdur.005.0043
- (8) Reap, J. J. (2009). Holistic biomimicry: a biogically inspired approach to environmentally benign engineering. (thèse de doctorat). Georgia Institute of Technology. Récupéré par ResearchGate. 44131825
- (9) Conseil économique social et environnemental. (2015, 9 septembre). Le biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover durablement. Rapport et avis de la section environnement. Journal officiel de la République Française. Récupéré de http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2015/2015_23_biomimetisme.pdf
- (10) Gould, S. J. (1997). L’éventail du vivant : le mythe du progrès. Paris, Éditions Points
- (11) Eurolarge. (2010). Peintures et revêtements dans le nautisme. Lettre de veille, Eurolarge innovation. Récupéré de
- http://eurolarge.fr/wp-content/uploads/2011/02/Lettre-de-Veille-Eurolarge3_Peintures-et-Revetements.pdf
- (12) Kostur, N. (2013, mai). Biomimetic Robots at War: The Ethical Ramifications of American Military-Industrial Complex. Young historians conference. Communication dans une conférence, 2 mai 2013, Portland State University, PDXScholar. Récupéré de http://pdxscholar.library.pdx.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1023&context=younghistorians
- (13) Kloeppel, K. M. (2005). Pesky critters. Air War Coll Maxwell AFB Al Center for Strategy and Technology. Récupéré de http://oai.dtic.mil/oai/oai?verb=getRecord&metadataPrefix=html&identifier=ADA463474
César Gabillot
Finissant à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQAM César Gabillot est originaire du sud-ouest de la France (Pays Basque), où il a complété son cursus scolaire. Diplômé d’un baccalauréat en sciences par cumul de certificats (ressources énergétiques durables, écologie et environnement) à l’Université du Québec à Montréal, il réalise à présent une maîtrise en sciences de l’environnement avec profil professionnel à l’Institut des Sciences de l’Environnement (ISE). Il a par ailleurs effectué un stage à l’Institut francophone de biomimétisme (IFB) en tant que gestionnaire de projets de vulgarisation et de communication scientifique. Ses domaines d’intérêts sont variés et touchent essentiellement la conservation de la biodiversité, la gestion des ressources naturelles, l’aménagement écosystémique du territoire, ainsi que l’éducation relative à l’environnement. |