Des centaines de scientifiques des quatre coins de la planète, dont plusieurs Canadiens, ont publié une lettre ouverte dans laquelle ils demandent aux décideurs politiques mondiaux de prendre des mesures immédiates contre les néonicotinoïdes (« néonics »), une classe de pesticides qui constitue une menace pour les insectes pollinisateurs et les écosystèmes. Leur lettre est parue dans l’édition en ligne d’aujourd’hui du réputé journal Science. Le Canada devrait répondre avec détermination en s’engageant à interdire les néonics d’ici la fin de 2018.
Dans leur lettre, les scientifiques mentionnent que « l’ensemble des données disponibles suggère que ces produits chimiques causent des préjudices aux insectes bénéfiques et contribuent à l’importante perte de biodiversité qui sévit actuellement dans le monde. » Ils demandent ainsi que des mesures nationales et internationales soient adoptées afin de restreindre considérablement l’utilisation des néonics, et d’empêcher l’homologation d’autres produits agrochimiques nocifs semblables dans le futur.
Les néonics comptent parmi les insecticides les plus largement utilisés au Canada et dans le monde. La contamination généralisée de l’environnement par les néonics constitue d’ailleurs une source de préoccupation grandissante.
Le mois dernier, la Commission européenne a voté en faveur de l’interdiction de l’utilisation extérieure des néonics à toutes fins agricoles d’ici la fin de 2018. En revanche, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) du Canada n’a de son côté toujours pas adopté de restrictions réglementaires. L’ARLA a proposé d’éliminer progressivement un néonic — l’imidaclopride —, mais pas avant 2021 selon l’échéance la plus courte. En décembre 2017, l’ARLA a proposé de reconduire l’homologation des deux autres néonics les plus employés, en imposant seulement des restrictions mineures à leur utilisation.
Entretemps, une revue des études mondiales sur les néonics parue en 2018 démontre que différentes solutions de rechange pour lutter contre les ravageurs sont à la fois abordables et efficaces.
Équiterre et la Fondation David Suzuki demandent au Canada de cesser de prendre du retard et d’agir dès maintenant pour mettre un terme à l’utilisation des néonics sur son territoire, tout en soutenant les efforts visant à bannir mondialement ces substances.
Lettre ouverte aux décideurs politiques et aux chargés de la réglementation (parue dans Science)
Les néonicotinoïdes sont les insecticides les plus utilisés dans le monde, étant pulvérisés sur une vaste gamme de cultures alimentaires, énergétiques et ornementales, en plus d’être utilisés pour la lutte antiparasitaire domestique. Il s’agit de substances neurotoxiques hautement nocives pour les insectes, un groupe d’organismes vivants qui englobe la majorité des formes de vie présentes sur la Terre, et qui comprend de nombreuses espèces essentielles pour les humains, comme les pollinisateurs et les prédateurs d’organismes nuisibles. Les néonicotinoïdes s’avèrent être très persistants dans l’environnement, au point où des quantités résiduelles non négligeables sont couramment détectées dans les sols, les fleurs sauvages, les cours d’eau et les lacs. Par exemple, une étude récemment publiée dans le journal Science a révélé la présence de néonicotinoïdes dans 75 % des échantillons de miel collectés dans le monde. Des centaines d’études scientifiques indépendantes ont été menées afin d’évaluer leurs impacts sur les organismes vivants bénéfiques tels que les abeilles, les insectes aquatiques, les papillons et les insectes prédateurs.
Les scientifiques signataires de cette lettre considèrent que l’ensemble des données disponibles suggère que ces produits chimiques causent des préjudices aux insectes bénéfiques et contribuent à l’importante perte de biodiversité qui sévit actuellement dans le monde. Ainsi, il est urgent de conclure des accords nationaux et internationaux afin de restreindre considérablement leur utilisation, et d’empêcher l’homologation d’autres produits agrochimiques nocifs semblables dans le futur.
Ne pas réagir rapidement à ce problème risque non seulement de perpétuer le déclin de l’abondance et de la diversité de nombreux insectes bénéfiques, mais également de mettre en péril les services qu’ils offrent ainsi qu’une fraction substantielle de l’héritage des générations futures sur le plan de la biodiversité.
Plus de 200 scientifiques ont cosigné cette lettre jusqu’à maintenant dont : Prof Dave Goulson, University of Sussex, UK; Dr Prof Antonieta Daza, CONICET-INIFTA-UNLP, Argentina ; Prof Maryse Bouchard, École de santé publique – Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, Canada; Prof Boris Baer, University of California, USA; Professor Chensheng Lu, Harvard T.H. Chan School of Public Healthy, USA; Dr Ben Sadd, Illinois State University, USA; Prof. Maria Elena Zaccagnini, Instituto Nacional de Tecnologia Agropecuaria, Argentina; Prof KS Delaplane, University of Georgia, USA; Dr. Yahya Al Naggar, Tanta University, Egypt; Prof John F. Tooker, The Pennsylvania State University, USA; Prof Randolf Menzel, Freie Universität Berlin, Germany; Prof. Angel Montoya-Baides, Universitat Politècnica de València. Spain; Prof Dr Jeroen P van der Sluijs, University of Bergen, Norway; Dr Alexandre Aebi, University of Neuchâtel, Switzerland; Dr Edward AD Mitchell, University of Neuchâtel, Switzerland; Prof J Ollerton, University of Northampton, UK; Dr F Sanchez-Bayo, University of Sydney, Australia; Dr J-M Bonmatin, CNRS, France; Prof En-Cheng Yang, National Taiwan University, Taiwan.
Source: Fondation David Suzuki
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