Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.
Mots clés : économie, environnement, émissions polluantes, marché du carbone, système d’échange de droit d’émission, Marché climatique de Montréal. Vu certaines opinions véhiculées, il n’est pas surprenant d’entendre encore aujourd’hui, en temps de crise économique, des voix discordantes face relativement à la création d’un marché du carbone, que certains qualifient d’outil du marché dit néolibéral ou ultralibéral propice à la spéculation et au type d’abus qu’on a pu observer récemment dans le cadre d’opérations financières peu encadrées. Pour bien évaluer ces impressions, il est nécessaire de s’attarder aux bases théoriques de ces marchés qui ont pour objectif de réguler et de limiter les émissions polluantes.
Lorsqu’on analyse précisément les systèmes d’échange de droits d’émission, à l’exception des marchés dits volontaires qui demeurent tout de même autorégulés, on constate que ce sont les régimes étatiques qui contrôlent la question des réductions des émissions polluantes. Limiter les externalités L’idée derrière la création d’un marché du carbone est d’intégrer les coûts des dommages environnementaux à l’intérieur d’une transaction commerciale d’un bien qui a généré une émission polluante à une ou l’autre de ses étapes successives de production. De ce fait, on impose une valeur (un prix) à l’émission polluante (idéalement le coût du dommage environnemental causé par l’émission). Rappelons que, depuis le début de l’ère industrielle, il n’a jamais été question de payer pour émettre un produit polluant dans l’atmosphère. Le coût des dommages environnementaux était supporté par la population, donc l’État et ses citoyens. C’est ce que les économistes appellent des « externalités ». Depuis les années 1970, les États occidentaux encadrent progressivement les émissions polluantes à l’aide de règlementations directes, comme par exemple, l’obligation d’utiliser des technologies spécifiques ou la nécessité de posséder des certificats d’autorisation avant d’entreprendre une action pouvant nuire à la qualité de l’environnement. La création d’un système d’échange de droits d’émissions ne remplace pas la règlementation adoptée par l’administration publique, mais s’ajoute à celle-ci. Les sources polluantes sont par le fait même encore plus limitées dans leur champ d’action. D’autant plus que, dans un système de type plafonnement-et-échange (cap and trade), l’État limite expressément le tonnage d’émissions polluantes émis par les sources en question (contrairement à une taxe sur le carbone). C’est l’autorité étatique qui détermine le plafond et c’est cette même autorité étatique qui gère l’octroi et le suivi des crédits échangeables jusqu’au retrait du marché desdits crédits. Le marché du carbone Une fois les crédits octroyés en fonction d’une réduction vérifiée, les détenteurs peuvent négocier ces crédits : soit de gré-à-gré, soit par l’entremise d’un marché organisé, par exemple le Marché climatique de Montréal. Il faut bien saisir qu’un tel marché organisé (ou « bourse »), dans un système d’échange de droits d’émission, n’intervient strictement qu’à l’égard du transfert des crédits, afin de faciliter et de regrouper des acteurs intéressés à l’achat et à la vente de tels crédits. Ces marchés organisés fonctionnent de la même façon qu’une bourse conventionnelle visant le transfert de valeurs mobilières. L’achat et la vente des crédits s’effectuent de façon anonyme par l’entremise de courtiers. Loin d’être obligatoires pour les transactions, les marchés organisés (bourse) ont tout de même l’avantage de fournir une indication ponctuelle quant au prix des crédits. Ce qui est spéculatif donc, c’est le prix auquel correspond la réduction d’émissions, réduction qui est quantifiée en unités (crédits). Selon le marché dans lequel se retrouvent les crédits échangeables (marché obligatoire ou marché volontaire) et selon la façon dont la personne qui négocie détermine le mode de vente (de gré-à-gré ou par l’entremise d’un marché organisé), les prix se déterminent en fonction de divers facteurs : l’offre et la demande de crédits, la durée de validité du crédit échangé, si le crédit est utilisable dans d’autres systèmes d’échange de droits d’émission, les fluctuations du marché de l’énergie, la fluctuation économique pouvant toucher les prix de production, les futures réductions obligatoires d’émissions, la technologie disponible, etc. Certains diront que le prix en question des crédits doit être un incitatif important, pour que les entreprises visées puissent être encouragées à réduire leurs propres émissions à la source. Pour cette raison, dans la plupart des systèmes en place, la législation prévoit des pouvoirs publics, afin de s’assurer que le système d’échange puisse soutenir efficacement les entreprises visées désireuses de réduire leurs propres émissions, que ce soit immédiatement ou à terme. Aussi, n’écartons pas l’objectif d’abaisser la limite (ou le plafond) des émissions permises au fil des années, ce qui fera augmenter le prix des crédits en question. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place incessamment un tel système obligatoire de plafonnement des émissions, afin que les mécanismes étatiques puissent s’appliquer à l’égard d’un marché du carbone qui est déjà organisé, que ce soit par l’entremise du marché volontaire ou par l’entremise du marché organisé, tel le Marché climatique de Montréal. L’économie engendrée par les systèmes d’échange de droits d’émission En temps de décroissance économique, plusieurs acteurs s’interrogent sur l’orientation à donner à l’économie. Comme certains l’énoncent, il pourrait s’agir d’un moment propice à un changement de cap quant aux sources de création d’emplois. Le marché du carbone engendre une panoplie d’expertises professionnelles nécessaires à son développement : recherches sur les effets des changements climatiques, ingénierie aux fins de la réduction des GES, quantification d’émissions, comptabilité, fiscalité, conseils juridiques, assurances, courtage, analyses, programmation informatique, etc. À titre d’exemple, en mars 2009, le Environmental Defence Fund, une organisation scientifique qui s’intéresse notamment aux changements climatiques, a créé un site Web proposant une carte géographique interactive où sont répertoriées plus de 1 200 entreprises qui agissent dans des secteurs liés à l’énergie propre dans 13 États américains et qui ont une importante économie manufacturière. Cette carte a pour objectif de conscientiser la population aux occasions de croissance pour ces entreprises dans l’optique de la création d’un marché du carbone. Le résultat est surprenant et cela ne concerne que le domaine lié aux énergies renouvelables. On remarque alors toutes les implications directes et indirectes d’un marché du carbone. Les systèmes d’échange de droits d’émission ne se dirigent donc pas vers un mode de déréglementation néolibéral, mais au contraire, vers une présence accrue de l’État dans le cadre de la limitation des émissions polluantes. Le marché du carbone aura certes ses scandales et engendrera assurément certains abus et répercussions négatives, comme toute entreprise humaine. Mais à une époque de grandes remises en question comme celle que la société vit présentement, le marché du carbone offre certaines solutions. Ce marché engendre une économie qui est davantage axée sur les préoccupations environnementales, lesquelles ne peuvent, paradoxalement, que bénéficier de forces du marché souvent déterminées uniquement par l’obligation de générer des profits. Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.
Pour plus de détails, du même auteur :
Sur les systèmes de crédits compensatoires : « Le Système canadien de crédits compensatoires et le Mécanisme pour un Développement Propre du Protocole de Kyoto », dans les Développements récents en droit de l’environnement 2009, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2009
Sur le cadre règlementaire fédéral proposé : |