Le pic et la pelle dans la Loi 79 sur les mines

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Par Chantal Gailloux,
en collaboration avec Edouard Sigward


 

Mots-clés : Projet de loi 79 modifiant la Loi sur les mines, stratégie minérale, Terra Ventures, Osisko, Strateco, uranium, Pour que le Québec ait meilleure mine!, EcoJustice

Le futur économique du Québec passera par l’exploitation minière, si on en croit les visées du gouvernement de Jean Charest. Il ne saurait toutefois se faire sans le consentement des communautés, réplique un nombre grandissant de citoyens, fatigués de cohabiter avec les impacts environnementaux négatifs laissés par les entreprises qui quittent sans vergogne, une fois les profits encaissés. Le projet de loi 79 modifiant la Loi sur les mines est sensé veiller au grain. Vraiment?

Au Québec, 27 mines et plus de deux cents projets d’exploration creusent ou fouillent le sous-sol du bouclier canadien. Depuis le dépôt, en mars 2009, du tome II du rapport du Vérificateur général du Québec, dont le chapitre 2 porte sur les mines, les controverses minières se multiplient dans plusieurs régions. Que ce soit à Malartic, à Sept-Îles ou à Chibougamau, elles bousculent l’harmonie communautaire et causent même dépression et insomnie chez certains citoyens!

Le secteur industriel a contribué au développement de plusieurs territoires du Québec. De l’or au nickel, en passant par le fer et le zinc, plus de 50 000 emplois directs ont été créés par cette industrie. C’est près de 4,5 milliards de dollars qui sont investis annuellement en exploration. Il va sans dire, l’industrie minière touche bien des intérêts, et pas uniquement économiques.

La Loi sur les mines, inchangée depuis plus d’un siècle, risque de subir tout un coup de pic et de pelle si le projet de loi 79 modifiant la Loi sur les mines est adopté. Ce projet de loi, déposé le 2 décembre dernier à l’Assemblée nationale, est présenté comme un « virage majeur dans l’histoire minière du Québec » par Serge Simard, le ministre délégué aux mines, au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF).

De leur côté, les groupes écologistes et des députés de l’opposition parlementaire n’en sont pas satisfaits, le qualifiant de « trop timide ». Quant aux porte-paroles de l’industrie minière, ils le jugent « nuisible pour la compétitivité des entreprises ».

 

Le réveil brutal de Malartic

Ce qui est certain, c’est qu’il tombe à point. En effet, le climat est tendu dans les régions minières. À Malartic, un village abitibien de 3 000 habitants, la corporation minière Osisko commencera bientôt à extraire de l’or dans une mine à ciel ouvert située en plein centre-ville. « Ce n’est plus la ruée vers l’or; c’est véritablement une fièvre, une réelle épidémie », déclare Nicole Kirouac, avocate retraitée originaire de la région.

 

Un pic et une pelle dans ma cour?

Habitant aux abords d’un lac dans une forêt non loin de Malartic, Nicole Kirouac témoigne de son expérience personnelle : « Quand je suis revenue de Montréal, le 8 octobre, j’ai constaté qu’une entreprise minière était venue en mon absence tirer des lignes sur mon terrain et sur celui de mes voisins contigus. Avec des scies mécaniques, des hachettes, ils ont quadrillé mon terrain en coupant des arbres sans aucune permission durant notre absence. C’est une violation de la propriété privée. Il est urgent que l’article 235 change parce qu’on peut encore dire qu’ “après Dieu le père, c’est la loi sur les mines”.»

Les infractions sont hebdomadaires, dit Me Nicole Kirouac, également personne-ressource au Comité de vigilance à Malartic. « Des habitants m’interpellent toutes les semaines pour me demander comment s’entendre avec cette compagnie. »

Elle accueille positivement la nouvelle disposition du projet de loi 79 qui oblige les entreprises minières à aviser les habitants qu’ils possèdent un droit minier sur le sous-sol de leur propriété. « C’est le minimum », dit-elle.

Le chanteur activiste Richard Desjardins s’insurge contre la manière dont ont eu lieu les déplacements de population à Malartic, qu’il qualifie d’expropriations. En fait, deux possibilités s’offraient aux habitants : vendre leur propriété à la compagnie minière ou se faire exproprier en vertu de la loi. « Il faudrait baliser ces ententes en fournissant aux citoyens le soutien d’une aide juridique et des mécanismes de résolution de conflits pour que le processus soit éthique », dit-elle. Cela lui semble d’autant plus urgent que trois à quatre autres projets de mines semblables à celui d’Osisko pourraient voir le jour en Abitibi.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) avait d’ailleurs pointé du doigt la déontologie défaillante de la corporation minière Osisko, qui déplaçait des maisons sur des camions dans les rues de Malartic au moment même où les consultations publique sur ce projet se déroulaient.

Le ministre Simard affirme qu’aucune expropriation n’a eu lieu au Québec depuis 1988. Selon lui, seules des ententes de gré à gré entre minières et citoyens ont été conclues et « le gouvernement ne peut pas s’immiscer dans ce type d’entente. » Jack Roy, son attaché de presse, voit un tout autre scénario. « J’y suis allé. Malartic est une ville nouvelle, dont la transformation est positive pour les habitants. »

 

Enfin de vraies restaurations?

Découlant du rapport intitulé Préparer l’avenir du secteur minéral québécois, se voulant la Stratégie minérale du Québec, le projet de loi 79 vise à créer de la richesse selon un développement respectueux de l’environnement en association avec les communautés. Pour le ministre Simard, « l’acceptabilité sociale est devenue incontournable ». Le projet de loi répondrait aux lacunes soulevées par le rapport du Vérificateur général du Québec, qui précisait notamment que « les versements de la garantie ne correspondaient pas toujours à l’échéancier établi par le MRNF, les retards pouvant dépasser deux ans. Dans certains cas, ils n’avaient tout simplement pas été faits. »

Le projet de loi 79 indique aussi que le plan de remise en état des lieux après l’exploitation d’une mine devra dorénavant être approuvé par le MRNF et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). Les entreprises auront aussi à payer la totalité des frais de la restauration des sites miniers, et non les deux tiers, comme elles en ont l’obligation actuellement. Par ailleurs, l’argent de la restauration devrait être versé sous forme de garantie financière. Celle-ci serait payée au MRNF sur une période de cinq ans – et non en 15 ans – et une somme de 25 à 30 % du montant total devrait obligatoirement être déboursée dès la première année. En cas de non-respect de ces clauses, les entreprises minières pourraient se faire imposer des amendes, voire perdre leur permis d’exploitation. Enfin, ces mesures seraient appliquées rétroactivement aux sites déjà en exploitation. D’après le ministre Simard, avec ces dispositions légales, tous les sites miniers seront ainsi restaurés. « Que la mine soit à ciel ouvert ou non, il y aura restauration à 100 %. C’est clair comme de l’eau de roche. »

Si la Loi des mines est modifiée, les consultations publiques deviendront obligatoires. Plus précisément, les mines exploitant plus de 3000 tonnes métriques par jour seront soumises au BAPE; les autres auront droit à des consultations communautaires organisées par la Conférence régionale des élus et les municipalités régionales de comté, et chapeautées par le MRNF.

 

Des clauses à améliorer

Maître Nicole Kirouac, qui a collaboré au rapport d’Ecojustice sur la refonte de la Loi sur les mines, croit que l’objectif de la loi reste à l’image de l’industrie minière, ce qui lui apparaît inacceptable en 2010. « Son préambule affirme que les modifications suggérées visent à “stimuler les travaux d’exploration” et l’article 17 précise que la loi vise à “favoriser la prospection, la recherche, l’exploration et l’exploitation des substances minérales et des réservoirs souterrains” », critique-t-elle.

Ugo Lapointe, porte-parole de la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine!, se montre bon joueur. Il estime que « ce projet de loi représente malgré tout une amélioration importante ». N’empêche : le cas des mines à ciel ouvert l’inquiète en raison des mauvaises perspectives de réutilisation de ces sites et surtout, à cause de la pratique courante au fil des années. En effet, quelque 345 sites miniers ont été abandonnés après leur exploitation sans jamais être réhabilités. Or, selon des études sur le sujet, il en coûtera au minimum 300 millions de dollars pour les restaurer et les sécuriser. Le MRNF a déjà réservé une somme de 164 millions de dollars sur dix ans à cette fin, en expliquant que ces sites sont orphelins (ils appartiennent à des entreprises qui n’existent plus aujourd’hui). « Il faut tracer une ligne, de dire le ministre. On va assumer nos responsabilités pour ne pas les laisser aux générations futures. »

Les groupes environnementaux et l’opposition gouvernementale ont un autre point de vue. D’abord, la Coalition conteste les données fournies par le ministre. Ses membres ont évalué que la restauration des sites miniers – dont 75 sites d’exploitation – coûterait minimalement de 500 à 600 millions de dollars. « Ce n’est pas aux contribuables québécois de payer seuls ces coûts; ce devrait être une responsabilité partagée avec les entreprises »,tranche Ugo Lapointe. La Coalition propose donc de financer ces travaux sur les sites orphelins avec une redevance spéciale de 0,5 % sur les profits des entreprises pendant 15 ans. Cette proposition a d’ailleurs été reprise par le député Amir Khadir, porte-parole du parti Québec solidaire.

 

Le cas spécial de l’uranium

Le projet de Loi 79 accorde une attention toute particulière à la question de l’uranium. D’une part, soulignons qu’il n’interdit pas l’exploitation de mines d’uranium, mais qu’il exige que les entreprises informent le MRNF de la découverte de ce minerai. Le grand danger de ces mines? Leurs résidus sont radioactifs et peuvent contaminer à perpétuité l’eau et le sol des territoires exploités et avoisinants. La Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse ont fait leur nid : les provinces ont déjà imposé des moratoires sur l’exploitation de l’uranium.

Il existe actuellement quelque 90 projets d’exploration d’uranium au Québec, de l’Outaouais à la Côte-Nord, mais la province ne compte aucune mine d’uranium en exploitation. Inquiets des conséquences de cette proposition mi-figue, mi-raisin, contenue dans le projet de loi 79, le mouvement Sept-Îles sans uranium de même que les 24 médecins qui ont menacé de démissionner du Centre de santé et des services sociaux (CSSS) si l’exploration d’uranium se poursuit au lac Kachiwiss, au nord de Sept-Îles, demandent clairement un moratoire sur toute activité uranifère.

En fait, il y aurait 12 autres sites potentiels d’exploitation d’uranium sur la Côte-Nord. Le projet le plus avancé est celui de Strateco. La mine, située à plus de 900 kilomètres au nord-ouest de Sept-Îles, dans les Monts Otish, près de Chibougamau, devrait entrer en opération en 2013, selon la compagnie. Ce projet, qui fera l’objet de consultations publiques cet hiver, jouirait jusqu’à présent d’un bon soutien auprès de la communauté blanche et des Cris. Après tout, il devrait créer 175 et 200 emplois directs.

Pour Ugo Lapointe, les Monts Otish représentent un véritable joyau, situé juste à côté du futur parc national Albanel-Témiscamie. Bref, « la mine de Strateco n’a aucun sens d’un point de vue écologique. »

Pour Guy Hébert, le président de Strateco, au contraire, « les opposants aux mines d’uranium se basent sur de vieux rapports d’études. » Il prédit qu’iln’y aura pas de moratoire sur l’uranium. Un lobby discret mais constant serait en cours auprès des ministres du gouvernement.

Si la prédiction de Guy Hébert s’avère pour la Côte-Nord, la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine! propose un plan B. Il s’agirait alors d’établir un moratoire sur les mines d’uranium situées dans le sud de la province, en deçà du territoire régi par la Convention de la Baie James. Question de préserver ce qu’il reste!

Le ministre Simard ne s’est pas encore prononcé sur la demande des habitants des Sept-Îles et des groupes militants. Mais il a déclaré que « si la volonté de la population de Sept-Îles et de sa région est de ne pas avoir de mines d’uranium, le gouvernement respectera leur volonté. » Pour l’instant, un comité, composé de scientifiques du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et du MRNF, examinera les effets de l’exploitation de l’uranium sur la santé.

Que pourront-ils déclarer de plus que ce qui est connu? Les dés semblent déjà jetés. 

 

 


Documents d’intéret

Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec

    L’histoire de l’industrie minière au Québec

Conférence régionale des élus en Côte-Nord

    Présentations du forum l’exploitation de l’uranium

Radio-Canada

    Reportage sur l’atmosphère à Sept-Îles en période de sondage sur l’uranium

Worldwatch Institute

    L’énergie nucléaire dans le monde

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