Par Edouard Sigward,
En collaboration avec Chantal Gailloux
Mots clés : année internationale de la biodiversité, Organisation des Nations Unies (ONU), écosystèmes, espèces, GIEC de la biodiversité, Convention de la diversité biologique, Intergovernmental Science-Policy Platform On Biodiversity And Ecosystem Services (IPBES).
Espèces à jamais disparues ou au bord de l’extinction, changements climatiques, fragilisation des écosystèmes, pollution en tout genre… Face aux constats alarmants de la communauté scientifique internationale, l’Organisation des Nations Unies donne le ton à la nouvelle décennie en proclamant 2010 : « année internationale de la biodiversité ». Au programme, une multitude d’initiatives à travers le globe, mais surtout l’imminente création d’un groupe intergouvernemental d’experts sur la diversité biologique, qui donnerait aux enjeux multiformes de la biodiversité planétaire une résonance nouvelle, à l’image du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’ évolution du climat (GIEC). Entre 8 et 14 millions d’espèces peuplent le jardin planétaire. La diversité biologique des écosystèmes semble infinie et pourtant, elle décline. En 2009, quelque 1 729 espèces animales et végétales en danger critique d’extinction étaient inscrites sur liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Du fait de l’activité humaine, le taux actuel d’extinction d’espèces serait de 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d’extinction mesuré au cours des temps géologiques. Six accords mondiaux forment le cadre juridique protégeant la biodiversité. Parmi eux, la Convention de la diversité biologique (CDB), dont le secrétariat se situe à Montréal. En raison de l’ampleur du défi que représenterait une protection globale de la biodiversité, les gouvernements ont jusqu’à présent privilégié des solutions nationales, cantonnées à l’intérieur de leurs frontières et le plus souvent sans coordination continentale. Mais, au-delà de sa signification symbolique, « l’un des objectifs de cette année internationale de la biodiversité est de faire du patrimoine biologique de la planète une cause globale, afin qu’il bénéficie de l’attention de la sphère politique dont il a besoin », précise Salvatore Arico, spécialiste de la biodiversité pour la Division des sciences écologiques et de la terre de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), à Paris.
Le Canada, défenseur de la diversité biologique Du point de vue de l’UNESCO, le Canada est un ardent défenseur de la biosphère. Culturellement, les Canadiens affichent une grande sensibilité à l’égard de la nature, et la biodiversité fait partie intégrante de l’identité canadienne. Pour preuve, la feuille d’érable, emblème national ou encore l’ours polaire, symbole du monde arctique. Monsieur Arico rappelle que le Canada a été un précurseur dans le domaine, comme par exemple avec la protection du Mont Saint-Hilaire, sur la rive sud de Montréal. « Ce geste est une prise de position claire en faveur de la protection de la diversité des espèces à l’échelle locale », se réjouit-il. Il remarque toutefois que la protection des écosystèmes à l’échelle provinciale est confrontée à des difficultés liées aux choix de développement économique dans un contexte globalisé. Le Canada détient 25 % des marécages du monde (ses tourbières sont l’un des principaux puits de carbone au monde), 7 % de l’eau douce renouvelable de la planète, 10 % des forêts du monde et le plus long littoral sur mer de tous les continents. « Le Canada fournit des services écosystèmiques qui ont une importance sur le plan mondial », confirme Tracy Lacroix-Wilson, conseillère en relations avec les médias pour Environnement Canada. Selon la communicatrice, « notre capacité à régler des enjeux environnementaux complexes aura des conséquences sur l’ensemble de la stabilité, de la durabilité et du bien-être humain pour les années à venir. » Cet enthousiasmene ne date pas d’hier. En fait, il s’est concrétisé au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, au Brésil, en 1992, lorsque le premier ministre canadien d’alors, Brian Mulroney, a joué d’un leadership fort pour obtenir une Convention sur la diversité biologique en bonne et due forme. Et, le Canada en a été le premier pays signataire. En 1995, une décision par vote a fait de Montréal le siège du Secrétariat général de la CDB, l’élevant ainsi au niveau de Genève et Nairobi qui accueillent d’autres bureaux d’organisations onusiennes. D’après Ahmed Djoghlaf, secrétaire exécutif de la CDB, « Montréal est une ville internationale, multiculturelle, particulière et appartenant à un pays unique, détenant toutes les capacités qu’une organisation internationale exige pour faire valoir et mettre en œuvre ses compétences, ses devoirs et ses obligations. » Dans le même souffle, Ahmed Djoghlaf souligne que « ce qui se passe en Amazonie affecte le Canada de façon directe et ce qui se passe dans la forêt boréale canadienne affecte le citoyen au Burkina Faso ou à Madagascar. »
De la convention sur la diversité biologique… La CDB a pour objectif de développer des stratégies internationales pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Récemment rejointe par l’Irak et la Somalie, la Conférence des Parties Contractantes réunit actuellement 193 pays membres. « Il ne nous reste plus que la ratification des États-Unis pour devenir une organisation internationale plus universelle que l’ONU », se félicite Ahmed Djoghlaf. Cette Convention intègre en termes de normes juridiques contraignantes les principes fondamentaux du Sommet de la Terre de Rio, c’est-à-dire le principe de responsabilité commune mais différenciée des États, le principe de précaution, le principe de ressources nouvelles et additionnelles et d’autres principes du développement. « C’est donc une convention du développement qui met l’Homme au cœur de ces préoccupations », souligne Ahmed Djoghlaf. Depuis la fin des années 1990, certains pays et communautés supranationales, comme l’Union européenne, appliquent concrètement des articles de la CDB. Signé en 2000 à Montréal, le Protocole de Cartagena s’intéresse au transport d’organismes vivants génétiquement modifiés, comme les semences, et qui présentent des risques de contamination de la biodiversité. La plupart des États européens se sont portés signataires du protocole. L’Europe s’en sert pour réglementer sévèrement l’usage des organismes génétiquement modifiés. Le Canada ne l’a pas ratifié. Lors de la 6e Conférence des Parties de 2002, les membres signataires de la CDB se sont accordés sur la nécessité de ralentir la perte de la biodiversité planétaire à l’horizon 2010. Le moyen qu’ils se sont donnés est la mise en oeuvre de stratégies et de plans d’action nationaux en matière de biodiversité.
… à un GIEC de la biodiversité En novembre 2008, en Malaisie, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) annonçait une consultation menant à la création d’un groupe intergouvernemental d’experts sur la biodiversité appelé Intergovernmental Science-Policy Platform On Biodiversity And Ecosystem Services (IPBES). Après avoir été freiné par la Chine et le Brésil notamment, qui craignaient une ingérence dans leur patrimoine naturel, ce mécanisme d’expertise scientifique devrait voir le jour au courant des prochains mois. Ahmed Djoghlaf espère que ce « GIEC de la biodiversité » se matérialisera au cours de cette année internationale de la biodiversité. « Aujourd’hui, la politique doit être basée sur des faits scientifiques comme cela fut le cas du GIEC pour les changement climatiques », affirme-t-il. On se rappellera que le GIEC, créé en 1988 à la demande du G7 de l’époque, a largement contribué à la reconnaissance politique de la responsabilité humaine dans le phénomène des changements climatiques. Toutefois, la construction du consensus scientifique sur l’enjeu des changements climatiques aura pris plus de 20 ans. Malheureusement, ajoute Salvatore Arico, le dossier de la biodiversité n’a pas bénéficié du même intérêt politique que la cause des changements climatiques. « Un GIEC de la biodiversité permettrait de rapprocher les deux dynamiques que sont la science et la politique autour de la protection du patrimoine biologique de la planète », précise-t-il.
L’effet papillon Faut-il le rappeler, la nature, dans l’étendue de sa diversité, répond à nos besoins les plus primaires et fondamentaux que sont ceux de se nourrir et de s’habiller, ainsi qu’à nos besoins économiques, sanitaires, culturels et spirituels. Par exemple, plus d’un milliard et demi de personnes tirent leur subsistance des produits de la forêt et un autre milliard de personnes vivent grâce aux richesses de la biodiversité marine et côtière. De nombreux pays en développement et émergents sont engagés dans le débat sur la biodiversité. Ahmed Djoghlaf remarque que « pour la plupart d’entre eux, la biodiversité est à l’origine de leur richesse. » La création de la CBD s’est faite à leur initiative. « Ils voient dans cette convention un instrument indispensable à la promotion de leur développement, notamment économique », souligne-t-il. Par exemple, des pays du Sud, comme le Mexique et le Brésil, ou encore l’Équateur avec son sanctuaire écologique des îles Galapagos, se sont tournés vers l’écotourisme pour renforcer leur économie nationale. La culture des peuples est intimement liée à la diversité biologique de leur territoire. Le déclin des espèces porte inévitablement atteinte aux modes de vie ancrés dans la dynamique nature-culture. « Malheureusement, de nombreuses plantes médicinales sont en train de disparaître avec la mauvaise utilisation des sols, l’urbanisation et la disparition des détenteurs des connaissances traditionnelles », déplore le secrétaire exécutif de la CDB, Ahmed Djoghlaf. Selon le rapport TEEB intitulé L’économie des écosystèmes et de la biodiversité, présenté lors de la 9e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique à Bonn en 2009, les gouvernements auraient tout intérêt à investir dans des programmes de conservation de la diversité biologique et à en faire un facteur économique de croissance. Cela leur permettrait d’économiser des milliards de dollars en remplacement des services écosystémiques desquels dépendent notre approvisionnement en bois, en nourriture, en eau et en air de qualité. « Perdre la biodiversité, c’est perdre des moyens de développement et favoriser l’aggravation de la pauvreté économique, mais aussi sociale et culturelle. Il y a une relation dynamique et systématique entre la perte de la biodiversité, de la culture et de l’identité. Par contre, cette relation nature-culture n’est pas évidente pour tous », reconnaît Salvatore Arico.
Halte au bio-piratage Au cours de cette année internationale de la biodiversité, l’UNESCO souhaite mettre l’accent sur la question du partage des bénéfices qui sont associés à la mise en valeur de la biodiversité. « Nous ne pouvons plus accepter qu’une compagnie pharmaceutique vienne, par exemple à Madagascar, se servir dans son patrimoine naturel pour créer un produit dérivé de cette biodiversité, sans que les bénéfices financiers qu’elle en retire ne soient partagés avec les populations locales qui l’ont protégé sur leur territoire », estime Salvatore Arico. Le secrétaire exécutif de la Convention de la diversité biologique à Montréal, Ahmed Djoghlaf, précise quant à lui qu’ « il faut réglementer le partage des bénéfices résultant de cette utilisation avec les propriétaires de cette ressource, à savoir les populations autochtones, les autorités locales et les gouvernements qui possèdent cette ressource. » Il s’agit d’une nouvelle façon de gérer la relation entre l’Homme et la nature, et donc entre les hommes eux-mêmes. « C’est l’embryon d’un nouvel ordre économique international, basé sur la solidarité et sur l’appartenance à un destin lié », espère-t-il.
Des actions et des activités Protéger la biodiversité serait ainsi un moyen de travailler dans le sens de l’égalité entre les hommes et vers le devenir commun des nations. C’est dans ce souci d’équité que s’inscrit le programme La Vague Verte développé par la CBD, en partenariat avec le National Geographic Society. Divers événements se dérouleront en 2010 afin d’éduquer et de sensibiliser les écoliers aux enjeux liés à la diversité biologique. Par exemple, le 22 mai prochain sera consacré « journée de la biodiversité pour le développement et la lutte contre la pauvreté ». La CDB organisera dès 10 h du matin une chaîne de solidarité humaine de tous les enfants du monde réunis autour du symbole même de la vie. Les écoliers seront invités à planter un arbre au sein de leur établissement. Cette activité s’inscrit dans la lignée des Objectifs du millénaire et tentera ainsi de démontrer que la biodiversité est un atout essentiel au développement économique et social des nations. De plus, le Secrétariat a initié, en collaboration avec l’Université de Montréal et l’UNESCO, un programme de travail conjoint qui vise à approfondir cette relation intime entre nature et culture et à revaloriser ces croyances et ce patrimoine spirituel extraordinaire. « il n’y a pas une seule religion au monde qui ne prône pas le respect de la création de la vie », remarque Ahmed Djoghlaf. Ce plan d’action sera discuté lors d’un congrès international qui se tiendra à Montréal les 9 et 10 juin prochains. « La bataille pour la vie sur Terre va se gagner ou va se perdre dans les villes », ajoute Ahmed Djoghlaf. La Convention de la diversité biologique a développé un programme sur la ville et la biodiversité qui s’associe au Singapour Urban Index on Cities’ Biodiversity (CBI), un outil permettant de suivre l’évolution de la biodiversité dans les villes. L’initiative a d’autant plus d’importance que depuis 2008, il y a plus d’êtres humains qui vivent en ville que dans les campagnes. Selon diverses études, d’ici 2050, plus des deux tiers de la population mondiale sera urbaine. Cette croissance se fera principalement dans les pays en voie de développement, avec tout ce que cela implique en termes de conditions de vie. Ce programme sera soumis aux ministres de l’environnement qui se réuniront à la Conférence de Nagoya, au Japon, en octobre 2010 et à laquelle plus de 300 maires sont attendus, dont le maire de Montréal, Gérald Tremblay. « Il y aura un sommet des PDG du monde des affaires, un sommet de la jeunesse, un sommet des villes, etc. La conférence donnera lieu à un accord juridique contraignant », assure le secrétaire exécutif de la CBD.
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