Par Marie C. Allard, candidate au doctorat en administration
et Marie Hanquez, candidate à la maîtrise en administration des affaires, spécialisée en gestion internationale
Mots clés : ISO 26000, responsabilité sociale, responsabilité sociétale, normes internationales. La norme ISO 26000 pourrait devenir prochainement le premier standard international en matière de responsabilité sociétale (RS) des organisations (1) si les pays membres de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) choisissaient de l’entériner. ISO 26000, est un ensemble de lignes directrices destinées à toutes les organisations, privées et publiques, de tous les secteurs d’activité. En raison de cette portée, plusieurs prévoient que cette norme pourrait devenir la référence mondiale en matière de responsabilité sociétale, même si son application demeure volontaire. Cet article jette un regard sur la place occupée par la norme par rapport au droit international et se penche sur le rôle des gouvernements dans la diffusion de pratiques responsables. Les lignes directrices ISO 26000 C’est en 2004 que l’Institution a invité les pays, ainsi que les organisations internationales à déléguer des experts pour participe à l’élaboration des lignes directrices en matière de responsabilité sociétale (2). Le Groupe de travail ISO 26000 compte aujourd’hui plus de 400 personnes, en provenance de 91 pays. Selon les dirigeants de l’ISO, une telle initiative était nécessaire, et pour cause : le champ de la responsabilité sociale ou sociétale (RS) (3), qui est en pleine effervescence depuis 20 ans, donne lieu aujourd’hui à d’innombrables initiatives pour améliorer les pratiques des organisations. Le nombre et la diversité de ces initiatives créent un environnement complexe et coûteux pour qui souhaite adhérer à différents codes de conduites, guides, certifications, et autres initiatives en fonction de ses activités. Il est ressorti des efforts du Groupe de travail une définition de la Responsabilité sociétale et de ses principes, ainsi que des recommandations applicables aux organisations de tous secteurs et de tous pays désireuses de l’intégrer à leurs pratiques, qu’elles soient privées, publiques ou de l’économie sociale. Ces recommandations forment ce que l’on nomme les « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale - ISO 26000 ». Ces lignes directrices ISO 26000 ne sont pas destinées à la certification de produits et de services, de processus ou de systèmes de management, comme le sont les normes ISO 9000 pour le management de la qualité et ISO 14001 pour le management environnemental. Elles se distinguent donc des normes habituellement développées par l’ISO.
Des appuis assurés Comme bien d’autres instruments en RS, ISO 26000 est d’application volontaire. Même si elle n’est d’aucune valeur juridique, cette norme pourrait toutefois devenir un outil international de référence ayant le potentiel de créer un effet d’entraînement auprès des organisations qui en adopteraient les recommandations. Nous partageons dans une certaine mesure cet enthousiasme. ISO 26000 appuie ses recommandations sur des conventions et des traités internationaux existants en matière de droits du travail, de droits de l’homme, de lutte contre la corruption ou encore d’environnement. ISO 26000 fait ainsi référence à quelque 80 textes, dont notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), ou encore la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. Il semblerait que, par cette entremise, la normalisation et les initiatives de responsabilité sociétale constituent des outils de promotion des traités et des conventions internationales. Certains auteurs avancent même l’idée que les normes de responsabilité sociétale et les codes de conduite agiraient comme une sorte de mécanisme de mise à exécution (enforcement) des grands instruments internationaux, que l’on pourrait qualifier de « droit mou » (soft law). De plus, ISO 26000 bénéficie de deux atouts de taille. Ayant reçu l’aval des experts participant à son élaboration, la norme et les recommandations qu’elle établit devraient jouir d’une légitimité accrue, à laquelle s’ajoute la réputation internationale de l’ISO. L’infrastructure dont dispose l’organisme permettrait également une diffusion rapide et efficace des lignes directrices au sein des pays membres. Des lacunes importantes Malgré tout cela, il convient de faire preuve d’un optimisme mesuré. En dépit de ses avantages sur le plan de la diffusion et du soutien, la force de réglementation d’un tel document reste limitée. Le fait qu’ISO 26000 ne soit pas soumise à la certification attribuée par une tierce partie empêche concrètement tout moyen d’en contrôler et surveiller l’application par les organisations. Les seuls dispositifs juridiques internationaux imposant des contraintes réelles aux organisations – et spécifiquement aux entreprises transnationales – demeurent les accords commerciaux internationaux (bilatéraux ou multilatéraux). En effet, ces instruments prévoient des mesures de rétorsion, souvent sur le plan commercial, lorsque les engagements ne sont pas respectés, et ils sont régis par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui se porte garante des principes de libre-échange. Or, ces accords n’intègrent encore que rarement dans leurs dispositions les questions liées aux impacts sociaux et environnementaux des échanges. En définitive, il serait illusoire de croire qu’une norme comme ISO 26000, si légitime soit-elle, puisse à elle seule améliorer le respect des grands instruments en matière de droits du travail, des droits de l’homme, de l’environnement et de la lutte contre la corruption dans les échanges internationaux.
Le rôle des gouvernements Les gouvernements sont des acteurs importants dans la diffusion de bonnes pratiques en RS et un instrument tel qu’ISO 26000 pourrait leur être utile. Outre les lois, les politiques fiscales, d’approvisionnement des organisations publiques ou douanières constituent d’autres possibilités où l’utilisation des critères de responsabilité sociétale pourrait s’imposer comme critères de conditionnalité. Il s’agit, par exemple, de ne retenir que des fournisseurs respectant les normes de responsabilité sociétale ou encore de ne subventionner que les industries qui s’engagent en la matière. Les gouvernements peuvent également favoriser l’élaboration de normes nationales en RS par l’intermédiaire du travail des organismes nationaux de normalisation (4) et adopter des mécanismes de vérification et de mesure de ces normes. Certains pays, comme l’Autriche, ont déjà mis la main à la pâte et développent actuellement des normes nationales calquées sur les Lignes directrices ISO 26000. Enfin, les gouvernements peuvent s’en inspirer lorsqu’ils collaborent à des projets multipartites. En s’engageant aux côtés des autres parties prenantes, ils font ainsi valoir le respect de la responsabilité sociétale, mais de façon non contraignante. Toutefois, rares sont les gouvernements qui ont aujourd’hui adopté des politiques d’envergure destinées à orienter le comportement des organisations. Leurs actions se limitent souvent à la diffusion de normes et de codes de conduite non contraignants dans certains secteurs et industries, ou à la gestion de projets locaux.
La sacro-sainte liberté d’entreprise Même si on ne peut conclure au désengagement des gouvernements dans l’encadrement de la conduite des entreprises, et de manière plus générale, des organisations, on constate que ceux-ci tendent à favoriser le principe de l’auto-contrôle. En effet, les gouvernements utilisent de plus en plus les initiatives en RS comme solutions de rechange aux dispositifs traditionnels de régulation du comportement des organisations. Dans un tel contexte, ISO 26000 deviendrait une base commune de dialogue entre l’État, les organisations et les acteurs de la société civile sur les pratiques responsables.
Les auteures observent le processus d’élaboration de la norme ISO 26 000 depuis 2008. Elles ont réalisé plus de 50 entrevues avec des experts participant au développement de la norme à ce jour. Par Marie C. Allard, candidate au doctorat en administration Marie C. Allard est candidate au doctorat en administration et chercheure attachée à la Chaire de Responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) et au Réseau entreprises et développement durable (REDD). Dans le cadre de sa thèse, elle étudie le développement des Lignes directrices ISO 26000. Ses intérêts en matière de recherche sont la collaboration multipartite et multisectorielle, l’apprentissage organisationnel, la standardisation, la responsabilité sociale et le développement durable.
Candidate à la maîtrise en administration des affaires, spécialisée en gestion internationale, Marie Hanquez est également chercheure attachée à la Chaire de Responsabilité Sociale et de Développement Durable et au Réseau entreprises et développement durable (REDD). Son mémoire de maîtrise porte sur l’étude de la norme ISO 26000 et spécifiquement sur les comparaisons interculturelles des attentes des experts du processus en matière de RS. Ses intérêts en matière de recherche sont la responsabilité sociale des organisations et le développement durable, les codes de conduite, le management interculturel, ainsi que la gestion des parties prenantes.
Sources : (1) On parle aujourd’hui davantage de responsabilité sociétale des organisations, que de responsabilité sociétale des entreprises, ce qui inclut ainsi les entreprises, les organisations publiques et les organismes de l’économie sociale. (2) Les pays membres peuvent envoyer jusqu’à six délégués « experts » et six délégués « observateurs » afin de participer à l’élaboration des lignes directrices. Les délégués experts ont droit de parole lors des réunions de travail. Les pays non membres de l’ISO peuvent envoyer jusqu’à six observateurs; ces observateurs peuvent observer les réunions sans toutefois intervenir. (3) La responsabilité sociale ou sociétale (RS) renvoie à la responsabilité qui incombe aux organisations de considérer les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités sur leurs parties prenantes et sur la société en général. (4) Le Canada dispose d’un tel organisme national de normalisation qui se nomme le Conseil canadien des normes (CCN). Organisation Internationale de Normalisation (ISO). 2009. « ISO/TC TMB/SC – ISO/DIS 26000 : Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale ». Genève : Organisation Internationale de Normalisation. Hanquez, M. et M. C. Allard. 2009. « La portée d’ISO 26 000 en droit international et dans les politiques gouvernementales », Bulletin Œconomia Humana, vol. 7, no 10, novembre. [En ligne] Allard, M. C, et M. Hanquez. 2009. « ISO 26000 : l’avènement de lignes directrices internationales en responsabilité sociétale », Bulletin Œconomia Humana, vol. 7, no 10, novembre. [En ligne] Hanquez, M., L. Bres et M. C. Allard. 2010. « ISO 26 000 : L’émergence d’une perspective québécoise – Compte rendu de la Journée de commentaires sur le Projet de norme ISO 26000 – Lignes directrices sur la responsabilité sociétale », Montréal : Réseau entreprise et développement durable. Gendron, C. 2009. ISO 26 000 : vers une définition socialement construite de la responsabilité sociale d’entreprise, Cahier de la CRSDD, Coll. « Recherche », 02-2009, Montréal : Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, ESG UQAM, 9 p. La Chaire de responsabilité sociale et de développement durable ainsi que le Réseau entreprise et développement durable collaborent avec GaïaPresse en vue d’améliorer la compréhension des enjeux de développement durable. La responsabilité sociale des entreprises, le commerce équitable, les changements climatiques, la consommation responsable et la gestion de l’environnement ne sont que quelques exemples des sujets traités par la Chaire et le Réseau et susceptibles d’intéresser le grand public. Par le biais d’analyses régulières, la Chaire et le Réseau contribuent à la diffusion d’informations francophones rigoureuses et pertinentes sur des enjeux environnementaux d’actualité.
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