Quelle transparence pour le Québec minier?

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Par Me Aurélie-Zia Gakwaya, LL.M.

Chercheure associée à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement

 

 

Le 20 avril dernier, le gouvernement Couillard a eu recourt à une motion de bâillon pour adopter la Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-2016 (« Projet de loi n°28 »)[1]. Fort de ses 337 articles, ce projet de loiapporte des modifications à près de 60 lois. Il s’agit donc d’un projet de loi omnibus, aussi qualifié de projet de loi mammouth.

Outre la modulation des tarifs en garderie, la diminution de salaire pour les pharmaciens et l’abolition des conférences régionales des élus et des centres locaux de développement, le Projet de loi n°28 restreint l’obligation de transparence de l’industrie minière. Pourtant, cette obligation de transparence n’avait été rehaussée que très récemment, en décembre 2013, par la Loi modifiant la Loi sur les mines[2]. Cette dernière, quatrième tentative en autant d’années, avait été adoptée par le gouvernement Marois au terme d’un débat public houleux – avec l’appui du Parti libéral et de la Coalition Avenir Québec.

 

Des modifications nuisant à la transparence

La Loi de 2013 avait notamment accru l’obligation de transparence des titulaires de droit minier par le biais de l’article 215 de laLoi sur les mines (« LM »)[3]. Cet article prévoit que tous les documents et renseignements obtenus des titulaires de droits miniers par le ministre aux fins d’application de la loi sont maintenant publics et que le ministre les rend publics de la manière qui lui convient. Concrètement, les quantités et la valeur de minerai extrait, les redevances et autres contributions versées, le plan de réaménagement et de restauration ainsi que les garanties financières exigées pour assurer la restauration des sites miniers étaient des informations devant désormais être rendues publiques annuellement, pour chacune des mines.

Plusieurs exceptions au caractère public des documents et renseignements transmis avaient été prévues et demeurent en vigueur. Les principales ayant traits aux sommes excédant les allocations pouvant être réclamées en vertu de la Loi sur l’impôt minier et aux ententes conclues avec les communautés, notamment avec les communautés autochtones.

Avant 2013, les articles 221 et 222 de la LM exigeaient de l’exploitant et des autres personnes visées par la loi qu’ils transmettent au ministre un rapport préliminaire pour l’année en cours et un rapport annuel pour l’année précédente. Ces rapports devaient indiquer la quantité et la valeur de leur production, l’état actuel des réserves de minerai, les sommes consacrées pour la recherche, celles consacrées aux immobilisations et aux réparations ou encore la nature et le coût des travaux de réaménagement et de restauration. Par le biais de l’article 215, ces informations devenaient donc publiques.

Or, en ajoutant un alinéa à la fin des articles 221 et 222 de la LM, le Projet de loi n°28 réduit ces avancées en matière de transparence dans l’industrie minière : désormais, malgré l’article 215, les renseignements mentionnés dans les rapports ne sont pas rendus publics et ne peuvent être utilisés qu’à des fins statistiques. Concrètement, cela veut donc dire que les données des rapports prévus aux articles 221 et 222 ne seront plus accessibles au public, ou du moins, ne le seront que généralement, à des fins statistiques, et non plus mine par mine. Par le fait même, la portée à conférer aux dispositions de l’article 215 LM devient bien ambiguë.

Les gains obtenus en 2013 en matière de transparence, aboutissement de quatre ans de réflexion et de débats publics sur la question, avaient assujetti l’industrie minière à une norme promouvant une transparence un peu plus grande. Or, le Projet de loi n°28 limite les avancées de 2013 et sème la confusion quant à la portée des dispositions applicables…par le biais d’une loi sur le budget! 

 

Des modifications importantes, apportées sans débat public

En effet, outre le questionnement portant sur les changements de fond apportés à la LM, le véhicule utilisé pour y parvenir soulève des inquiétudes sur l’avenir du parlementarisme québécois. Les modifications à la LM ont été apportées dans l’ombre des 58 autres lois modifiées par le Projet de loi n°28, projet de loi omnibus, qui de surcroît, a été adopté grâce à une procédure d’exception (prévue par le Règlement de l’Assemblée nationale) permettant de déroger aux règles de pratique usuelle et qui, ce faisant, restreint encore davantage le débat[4]. En modifiant la LM par un projet de loi de finances, qui visait des fins multiples et dont l’adoption a été forcée par bâillon, nous que inquiétons du fait que le gouvernement s’arroge un pouvoir discrétionnaire qui amenuise la distinction, pourtant fondamentale à tout État de droit, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif[5].

Au Québec, une fois le principe d’un projet de loi adopté, il est normalement envoyé à la commission parlementaire compétente pour procéder à son étude détaillée. Parce que les modifications à la LMont été apportées par le biais de ces véhicules procéduraux d’exception, la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles n’est pas intervenue pour évaluer les modifications et elle n’a pas eu la possibilité d’en améliorer le contenu. Pourtant, les modifications apportées auraient gagné à être débattues devant cette instance spécialisée. Nous ne pouvons qu’espérer que les prochaines modifications à être apportées en la matière le soient.

 

Quelle législation sur la transparence dans le Québec minier?

Le gouvernement du Québec a annoncé son intention de déposer, au cours des prochains mois, un projet de loi concernant la transparence dans les industries minière, pétrolière et gazière, devant s’harmoniser avec la loi fédérale récemment sanctionnée. En décembre dernier, le gouvernement fédéral a effectivement sanctionné la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif, édictée par un autre projet de loi omnibus du gouvernement Harper[6]. L’objectif de celle-ci est de « mettre en œuvre les engagements internationaux du Canada en matière de lutte contre la corruption par la prise de mesures applicables au secteur extractif, notamment pour favoriser la transparence et imposer l’obligation de faire rapport sur des paiements faits par des entités ». Aux termes de cette loi, les sociétés extractives s’adonnant à l’exploitation commerciale de pétrole, de gaz ou de minéraux devront fournir au ministre un rapport annuel indiquant les taxes, les redevances et les paiements de 100 000$ ou plus versés à tous les paliers de gouvernements, locaux ou étrangers, incluant notamment les entités autochtones. La date d’entrée en vigueur de ces dispositions édictées par cette loi, à être fixée par décret, est encore inconnue.

La Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif a été sanctionnée dans la foulée d’un mouvement international vers une divulgation accrue dans le secteur extractif, notamment promulgué par l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Par exemple, en 2013, l’Union européenne (« UE ») a adopté ses Directives comptables et Transparence[7], laissant jusqu’à la fin 2015 pour que les dispositions qu’elles édictent soient intégrées dans la législation des États membres. Le Royaume-Uni a été le premier pays à mettre en œuvre les exigences européennes en adoptant, en décembre dernier, une loi qui exige des grandes sociétés publiques la divulgation de tout paiement fait aux gouvernements locaux comme étrangers, pour chaque projet minier. De même, aux États-Unis, des dispositions en ce sens ont été adopté par la Dood-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, a être mise en œuvre par la Securities and Exchange Commission (« SEC »)[8]. Toutefois les règles initialement créées par la SEC ont été annulées en 2013 et de nouvelles règles se font toujours attendre.

Au Québec, la loi à être adoptée s’inspirera, nous le souhaitons, de ces initiatives. La réforme qu’elle apportera en matière de gouvernance du secteur extractif devrait sans contredit faire l’objet d’un débat public auquel la société civile devrait prendre part, plutôt que d’être délibérément exclue. Une plus grande transparence du secteur minier ne pourra modifier durablement la responsabilité des acteurs en présence que dans la mesure où la société civile aura accès à ces informations et où une discussion publique sur les enjeux reliés à la meilleure manière de gouverner nos ressources pourra avoir lieu.

Ceci s’avère d’autant plus justifié que, depuis 2013, les objectifs de la LM ont été modifiés afin d’y inclure un vocabulaire propre au développement durable. L’article 17 prévoit désormais qu’elle « vise à favoriser, dans une perspective de développement durable, la prospection, la recherche, l'exploration et l'exploitation des substances minérales, et ce, tout en assurant aux citoyens du Québec une juste part de la richesse créée par l'exploitation de ces ressources et en tenant compte des autres possibilités d'utilisation du territoire ». Pour éviter de vider de tout son sens ce nouvel énoncé, les principes afférents au développement durable comme édictés par la Loi sur le développement durable[9] – notamment les principes de « participation et engagement » et « accès au savoir » – devraient donc être réellement intégrés dans les réformes législatives apportées au secteur minier.



[1]
LQ (2015) c 8

[2]LQ (2013) c 32

[3]RLRQ c M13.1

[4]Règlement et autres règles de procédure, édition juillet 2014,art 182

[5]Tendance à la hausse – tout parti confondu ? 2015 (PLQ)Projet de loi n°10 – Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales; 2012 (PQ)Projet de loi n°78 – Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent; 2010 (PLQ) Projet de loi n°100 – Projet de loi n°100 : Loi mettant en œuvre certaines dispositions du discours sur le budget du 30 mars 2010 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2013-2014 et la réduction de la dette

[6]LC (2014) c 39; PL C-43, art 376

[7]Directive 2013/50/UEdu Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013

[8]HR 4173

[9]Applicable à l’ensemble de l’Administration, LDD art. 1 (gouvernement, Conseil exécutif, Conseil du trésor, ministères et organismes du gouvernement visés par la Loi sur le vérificateur général (RLRQ c V-5.01))

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