Producteurs biologiques : passe-moi le beurre !

0
© Pr. Henri Joyeux

© Pr. Henri Joyeux

 Par Denise Proulx, co-fondatrice de GaïaPresse

L’année 2017 s’annonce prometteuse en agriculture biologique. Je n’ai jamais vu autant d’offres d’emploi et de stages affichées sur les réseaux qui regroupent les producteurs biologiques et les écoles de formation dans le domaine. Serait-on arrivé à l’étape où les consommateurs aideront les producteurs biologiques à mettre du beurre sur leur pain ?

Car, il faut bien le reconnaître, les producteurs biologiques qui sont financièrement à l’aise se comptent encore en dizaines, plutôt qu’en centaines. La majorité accepte une certaine forme de simplicité volontaire, afin de réinvestir les profits de la ferme dans son amélioration. Ils tiennent un discours qui les conforte dans leur choix, mais je me ferais bien petite souris pour les entendre aussi désespérer de leur réalité à certains jours du mois.

En ce sens, leur manière de voir l’avenir ne diffère pas de celle des agriculteurs conventionnels. L’idée est de consolider leurs acquis, leur clientèle, de ne pas manquer de main-d’œuvre, de sols de qualité et d’être accompagné par une nature paisible.

Ce qui les distingue des autres agriculteurs, c’est leur volonté d’y adjoindre un volet communautaire et socio-environnemental. Les mots écoresponsabilité, socioresponsabilité et vivre ensemble fleurissent souvent dans la bouche de cette nouvelle génération de producteurs.

Effet de mode ?

Les consommateurs qui s’adonnent à la consommation biologique sont plus sensibles aux enjeux socio-environnementaux, il n’y a pas de doute.

Cette nouvelle donnée était d’ailleurs confirmée dans le dernier rapport de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR), qui démontrait qu’ « en 2016, c’est (…) les générations « opposées » qui sont les plus impliquées dans la consommation responsable : les 18-24 ans occupent la première place avec un Indice de 67,6 points et les 65 ans et plus la 2e place (Indice de 66,7 points). Ce phénomène « d’extrême » s’observe également au niveau des revenus puisque ce sont les citoyens les plus nantis et les moins nantis qui pratiquent le plus la consommation responsable, explique Fabien Durif, directeur de l’OCR.

Des villes comme celle de Laval et Lachute, pour ne nommer que celles-ci, ont réservé dans leur plan d’aménagement du territoire des espaces dédiés spécifiquement à l’agriculture urbaine. D’autres ont assoupli la règlementation pour la transformation de parterres en zones maraichères, et des dizaines ont accepté la présence de poules sur leur territoire.

Par contre, en décembre dernier, lors du colloque sur les 20 ans de la création des fermiers de famille par Équiterre, le conférencier-vedette Jean-Martin Fortier et d’autres maraichers biologiques n’ont pas caché leur inquiétude face à l’effet de mode qui attire les multinationales agroalimentaires dans leur secteur.

« Ça s’en vient, d’ici cinq ans, les chaines de supermarchés vont se tourner vers ces grandes fermes de la Californie pour répondre à la demande en croissance constante des consommateurs  », a prédit le co-propriétaire de la ferme La Grelinette et gestionnaire des parcelles maraichères à la ferme Des Quatre-temps, propriété du milliardaire André Desmarais, à Hemmingford.

Cette adhésion pour les aliments biologiques se traduit de multiples autres façons. Les inscriptions aux écoles d’agriculture qui proposent une formation biologique sont en croissance. Récemment, l’Institut de technologie agricole de La Pocatière, dont la survie était menacée, a pris le virage en faveur d’une formation biologique complète.

La Fédération des producteurs d’œufs du Québec a lâché du lest et permet à un groupe restreint de petits éleveurs de vendre des œufs biologiques dans les marchés publics.

Changer les idées politiques

Faut-il pour autant crier victoire ? Loin de là.

Même si les consommateurs sont plus nombreux à acheter une alimentation de proximité, sans pesticides, ni OGM, à fréquenter les marchés publics et à pratiquer le végétarisme, la base même de l’offre alimentaire demeure industrielle et productiviste.

Les gouvernements du Québec et du Canada consacrent la majorité de leurs aides financières à une agriculture conventionnelle. Ils signent des traités de libre-échange qui ont tous les ingrédients pour étouffer ce changement de paradigme.

Que faire ? Manger bio, plus que jamais, certes.

Mais les actions individuelles ne pèsent pas suffisamment lourd dans le vaste monde du lobbyisme et de la rationalité gouvernementale. Il faudra plus que jamais que les citoyens se regroupent pour intervenir auprès des instances politiques.

Et ça commence au niveau local, municipal qui s’en va en élections en novembre 2017. Pour les uns, ce sera une bataille pour obtenir le droit d’avoir des poules dans leur cour. Pour d’autres, ce sera d’obliger tous les vergers avoisinants à pratiquer la lutte intégrée des insectes, afin de diminuer l’usage des pesticides, en attendant le soutien pour une transition biologique.

En fait, toutes les actions sont valables. Il faut juste les promouvoir, les défendre, les argumenter.

Croire que leur nombre finira par créer la bascule.

 

Denise Proulx 

Co-fondatrice de GaïaPresse

Denise Proulx a mené en parallèle une carrière de journaliste et d’enseignante. Elle est également une personne impliquée dans sa communauté depuis son enfance, principalement en ce qui concerne les enjeux de l’environnement. Elle est, notamment, la co-fondatrice du Regroupement des conseils régionaux de l’environnement et de GaïaPresse. Elle vit sur une fermette et pratique, dans la mesure du possible, l’auto-suffisance alimentaire.
Partager.

Répondre