Quand l’industrie contamine au mercure des populations entières

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La Première Nation de Grassy Narrow connait des problèmes de santé importants depuis plusieurs décennies. Une compagnie de pâtes et papiers a contaminé au mercure leur rivière, et de ce fait, les poissons qu’ils mangent. Au Québec, une crise semblable avait été évitée dans les années 80. Une intoxication au mercure affecte les différents sens et les facultés motrices. Chez les femmes enceintes, cette intoxication va causer des malformations chez le bébé.

Une population empoisonnée au mercure

En février 2017, le gouvernement ontarien s’est engagé à décontaminer la rivière et les sols à Grassy Narrow. Dans les années 1960, Dryden, une industrie de pâtes et papiers a contaminé le site au mercure. Jusqu’à maintenant, le gouvernement avait décidé de ne pas agir et de laisser la contamination se dissiper par elle-même. Les teneurs en mercure sont encore aujourd’hui aussi élevées qu’autrefois. La compagnie aurait fait enterrer des bidons remplis de sels et de mercure, environ dix tonnes, et ceci serait la cause de la contamination continue au mercure dans la rivière.

La Première Nation de Grassy Narrow en paye le prix depuis plusieurs décennies. Il est évalué qu’environ 90 % de leur population présente des symptômes de la maladie de Minamata. Cette maladie est due aux effets neurotoxiques d’une intoxication au mercure et son nom provient de la baie de Minamata au Japon, où, dans les années 1950, la maladie a été identifiée pour la première fois.

Il est important de noter que c’est la consommation de poisson possédant de hautes teneurs en mercure qui est responsable de l’ingestion de mercure chez l’homme dans ces deux cas de contaminations.

Des barrages pour produire de l’électricité… et du mercure

Au Québec, il existe une histoire semblable qui n’a pas pris autant d’ampleur. Ce ne sont pas les industries de pâtes et papiers qui avaient fait les manchettes, mais plutôt les barrages hydroélectriques. Lors de la formation du réservoir hydroélectrique, la forêt est inondée et la partie verte des plantes nourrit des microorganismes qui transforment le mercure sous une forme qui peut s’accumuler chez les êtres vivants, le méthylmercure. Ceci cause une augmentation ponctuelle et importante du mercure dans les eaux.

Dans la région de la baie James où les Cris se nourrissent traditionnellement de poisson, il y avait un risque pour cette population. De là est né la Convention sur le mercure (1986) entre les Cris de la Baie-James, le gouvernement du Québec et Hydro-Québec. Cette convention avait trois objectifs principaux : minimiser les impacts sur la santé des Cris par le mercure, préserver le mode de vie traditionnel des Cris et la réalisation de projets pour diminuer la concentration de mercure chez les poissons. En plus de la recherche, le plus gros point d’action qui en est sorti afin de protéger la population, était de concentrer leur pêche sur les populations de poissons côtières qui ne remontaient pas les rivières et avaient donc des teneurs en mercures plus faibles.

Mieux comprendre le mercure

Les plus grandes sources de mercure pour l’être humain sont les plombages dentaires, les produits pharmaceutiques, les produits cosmétiques et surtout la nourriture. Le mercure se retrouve naturellement dans l’environnement, relâché par la croûte terrestre et il peut y être ajouté par l’humain. Par exemple l’industrie des pâtes et papiers utilise des fongicides (produits tueur de champignons) qui contiennent du mercure. Il y a aussi certains pesticides et produits ménagers qui en contiennent.

Autrefois, nous pensions qu’une fois dans l’eau cette forme inorganique du mercure allait simplement sédimenter dans le fond des cours d’eau. Il a par contre été découvert que des microorganismes aquatiques biotransformaient ce mercure sous forme de méthylmercure, comme mentionné plus haut. Ce méthylmercure est ingérés par les organismes aquatiques et étant donné qu’il est lipophile, c’est-à-dire qu’il adhère aux graisses, les animaux l’accumulent et ne peuvent l’éliminer facilement de leur corps. Les plus gros poissons mangent les plus petits et les teneurs en mercure augmentent dans la chaîne alimentaire, ce processus est représenté dans la figure 1 ci-dessous et est appelé bioamplification. L’être humain étant au sommet de la chaine alimentaire est le plus à risque d’avoir de hautes teneurs en mercure lorsqu’il se nourrit de poisson.

Bioamplification de la teneur en mercure dans la chaine alimentaire

Bioamplification de la teneur en mercure dans la chaine alimentaire

 

La maladie de Minamata

Le méthylmercure cause la maladie de Minamata par ses effets neurotoxiques. Étant donné qu’il est lipophile, il est capable de traverser la membrane hémato-encéphalique, une barrière qui protège normalement le cerveau des substances qui pourraient lui être dangereux dans le sang. Plus les doses de méthylmercure ingéré sont importantes, plus les effets de la maladie sont importants.

Cette maladie possède plusieurs symptômes de dysfonctionnement sensoriel et moteur. Il est possible de perdre de la sensibilité au bout des doigts comme si l’on portait de gros gants en permanence. Il peut y avoir une perte de coordination des mouvements volontaires comprenant aussi une difficulté pour s’exprimer, bouger les yeux et avaler. Il est possible que le champ visuel diminue avec le temps ainsi que des troubles auditifs croissants. Et finalement, il y a aussi des problèmes de tremblements. La maladie de Minamata peut mener à une mort prématurée par les effets neurotoxiques ou par la formation de cancer.

D’une génération à l’autre

Le méthylmercure peut s’accumuler dans le cerveau, mais chez les femmes enceintes il peut s’accumuler dans le fœtus. Ces effets sur le fœtus sont pires que chez l’adulte puisqu’il va perturber le développement normal. On dit donc qu’il a des effets tératogènes.

Il peut donc produire une panoplie de problèmes chez le fœtus. Il peut causer un gonflement sous la peau par la rétention d’eau. Certaines encéphalopathies, maladie au cerveau, peuvent se développer. Le fœtus peut avoir une malformation causant l’absence de l’un ou des deux yeux. Il est possible aussi qu’il y ait fusion des côtes, des doigts ou des orteils. Le méthylmercure peut aussi mener à l’avortement ou un retard de croissance.

Le méthylmercure n’est pas la seule substance qui possède des effets dits tératogènes. Tous les produits déconseillés aux femmes enceintes tombent dans deux catégories, la première catégorie est composée des substances possédant des effets tératogènes confirmées, et la deuxième est celles qui sont soupçonnés d’en avoir. Il est confirmé que le plomb, le mercure, l’alcool et plusieurs médicaments peuvent causer des malformations et affecter le développement normal du fœtus.

En conclusion : Prévenir au lieu de guérir

Si le gouvernement ontarien tient sa promesse, la rivière de Grassy Narrow va enfin pouvoir diminuer ses teneurs en mercure. Malheureusement, les répercussions sur la santé de cette première nation se feront encore sentir pendant plusieurs années. La santé environnementale y est souvent étroitement liée à la santé humaine, ce qui est l’une des grandes raisons pour lesquelles il est important de prendre soin de la santé environnementale. La toxicité du mercure peut être interprétée comme une métaphore des problèmes environnementaux que nous causons : nous allons ressentir certains de leurs effets et ils vont surtout nous déranger en fin de vie, mais ce sont les générations futures qui vont en payer le prix.

Les projets de décontamination et de réhabilitation des sols jouent un grand jeu dans la protection de l’environnement et de la santé humaine, mais plus important, il faut s’assurer de bien gérer nos déchets industriels et les substances que nous relâchons dans l’environnement.

 

Bibliographie

Pour plus d’information

Environnement et Changement climatique Canada. (2016) Rejets de substances nocives dans l’environnement. Indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement. p.8-14


UntitledYan VincentFinissant au baccalauréat en biologie de l’UQAM

Yan Vincent est un étudiant finissant au baccalauréat en biologie en apprentissage par problème avec une spécialisation en toxicologie environnementale à l’UQAM. Il est présentement candidat à la maitrise en sciences de l’environnement dans la même institution. Avant d’étudier en biologie, il a effectué quelques années d’études en génie physique, avec une concentration en géoscience à l’université Laval. Lors de ces études, il a travaillé dans le programme d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines au Québec avec l’université Laval, ainsi qu’en remédiation des sites contaminés chez Enutech. Il a aussi été éco-volontaire au Pérou pour Ikamapéru.

 

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