Le gouvernement fédéral a récemment créé deux aires marines protégées dans la région Pacifique et s’est engagé à accroître la zone de protection marine de un à dix pour cent d’ici 2020. Cela suffira-t-il?
Le Canada a le plus long littoral au monde, mais notre pays ne s’arrête pas à ses côtes. En raison de la zone économique des 200 milles marins et de ses obligations internationales, le Canada est responsable de près de trois millions de kilomètres carrés d’océans, soit l’équivalent de la superficie combinée de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba.
Le nombre de kilomètres carrés est impressionnant. Mais, si l’on ne considère que la superficie de cette zone marine, on reste à la surface du problème. L’océan n’est pas qu’une étendue d’eau froide balayée par les vents. Ses diverses couches sous-marines foisonnent de vie, en eaux chaudes et en eaux froides, l’été comme l’hiver.
Interdépendance
La chaîne alimentaire aquatique nordique regorge d’espèces de toutes formes et tailles. Elle va du plancton microscopique, des oursins et des étoiles de mer, aux poissons, épaulards et otaries. Le fait que la baleine bleue, la plus grosse créature au monde, se nourrisse de plancton, l’un des plus petits organismes, est étonnant en soi. Toutefois, le voyage du plancton ne s’arrête pas dans l’estomac de la baleine. Les excréments de la baleine sont des agents importants du cycle alimentaire, car ils acheminent des nutriments de la surface aux espèces des profondeurs.
Les loutres de mer assurent la santé des forêts de laminaires en mangeant les oursins de mer. Il existe une foule d’autres relations comme celle-là dans les eaux côtières du Canada. Bien que les bernacles et les palourdes vivent dans un lieu fixe, certains cétacés et poissons parcourent des milliers de kilomètres en une seule saison. Le saumon n’a pas que l’océan comme territoire; il remonte très loin dans les terres pour aller frayer.
Comment comprendre et gérer des systèmes aussi complexes? Les cycles naturels des eaux côtières canadiennes comprennent des courants, des marées, des résurgences, des migrations et des saisons. Il est de plus en plus compliqué et important d’essayer de prédire comment interagiront avec ces cycles les multiples facteurs suivants: pollution, pêche industrielle, changements climatiques, acidification des océans, récifs d’éponges siliceuses, trafic maritime, revendications territoriales, kayakistes, pourvoiries de pêche et sites d’énergie renouvelables. Devant tant d’incertitudes et une telle complexité, comment savoir si les zones marines protégées sont vraiment efficaces?
Pour comprendre le processus de création d’un refuge, reportons-nous à une étude simple d’un « écosystème » faite en 1936. L’expérience consistait en un tube à essai contenant deux organismes unicellulaires microscopiques: l’un était la proie, l’autre le prédateur. Dans cet écosystème simplifié à l’extrême, le prédateur a mangé sa proie, puis il est mort, car il ne pouvait pas survivre sans proie.
L’ajout dans le tube d’objets qui ont permis à la proie de se cacher et de se reproduire a changé la donne et a créé toute une série d’issues imprévisibles. Toutefois, il s’est dégagé une constante: la survie beaucoup plus probable de la proie et du prédateur.
Gestion responsable et mesures de protection
Si l’on étend ce concept aux aires marines protégées, cette expérience augure bien pour le prédateur principal (l’humain) et sa proie (le poisson). Bien que la science ne puisse pas prédire si les aires protégées favoriseront l’augmentation de certaines ressources en particulier, les études suggèrent qu’elles s’annoncent prometteuses comme «pouponnières» pour le poisson et autres espèces marines et peuvent s’avérer un tampon pour pallier notre manque de compréhension.
Les deux nouvelles aires protégées sur la côte Pacifique canadienne préservent les magnifiques et fragiles récifs d’éponges siliceuses, près de l’archipel Haida Gwaii, et un important sanctuaire d’oiseaux sur les îles Scott. Des mesures ont été prises pour protéger ces récifs d’éponges siliceuses et les innombrables espèces qui y trouvent refuge. Toutefois, les mesures de protection actuelles pour l’aire qui entoure les îles Scott sont trop vagues pour réduire la menace faite à des millions d’oiseaux marins qui dépendent de cette zone d’approvisionnement pour se nourrir et se reproduire.
Il faut reconnaître au gouvernement fédéral le mérite de commencer à instaurer un réseau d’aires marines protégées. Elles jouent un rôle essentiel au maintien de la santé des écosystèmes marins, mais elles doivent être renforcées par des mesures de protection significatives. Les aires protégées ne représentent qu’un volet de la préservation des écosystèmes côtiers. Une gestion responsable exige aussi une organisation efficace des pêcheries, de fortes amendes aux pollueurs et une réduction des émissions de carbone à l’échelle planétaire.
Face à la pollution, aux changements climatiques et à l’augmentation du trafic maritime et du développement le long des côtes canadiennes, il est plus important que jamais de réduire les risques que courent les écosystèmes qui nous fournissent le poisson que nous mangeons, l’air que nous respirons et la beauté de la nature que nous chérissons. Les aires marines protégées ne suffiront pas à elles seules, mais, renforcées par des lois et des mesures plus fortes, elles représentent un morceau important du grand casse-tête multidimensionnel de la nature.
Traduction: Michel Lopez et Monique Joly
Source : Fondation David Suzuki