Enquête : les impacts dramatiques de la culture du soja en Amérique latine

0

Une nouvelle enquête internationale, « Quand la déforestation s’invite à notre table », menée par Mighty Earth, Rainforest Foundation Norway et Fern, révèle que la production mondiale de viande entraîne en Argentine et au Paraguay une déforestation massive, des atteintes à la santé ainsi que des violations des droits humains.

Pour mener cette enquête, Mighty Earth a réalisé, sur la base d’images satellite, une cartographie des zones où la déforestation est la plus rapide. Cette cartographie a permis de découvrir que le Gran Chaco, écosystème extraordinaire, riche en biodiversité a, en grande partie, été rasé et brûlé afin d’être converti à la culture du soja. Il constitue l’habitat d’espèces telles que le jaguar, le petit tatou velu, ou encore le tamanoir. La production de soja sur ces terres est également nocive pour les communautés autochtones, telles que les Ayoreo, les Chamacoco, les Enxet, les Guarayo, et bien d’autres.

Une équipe s’est rendue sur le terrain pour visiter vingt sites du Chaco subissant une forte déforestation en lien avec la production de soja. Différents outils ont été utilisés pour étudier la déforestation : enquêtes sur le terrain, entretien avec les agriculteurs et membres de communautés locales et survol des zones en cours de déforestation par des drones. Nous avons ainsi pu constater la présence d’innombrables plantations de soja et des incendies provoqués de façon à détruire les forêts et la végétation, ainsi que des habitats naturels…

Communautés déplacées et impacts des pesticides sur la santé

En plus de la destruction de l’environnement, Mighty Earth a découvert que l’industrialisation de la production de soja entraînait également des effets dévastateurs sur la santé publique, ainsi que des conflits sociaux. Un grand nombre des communautés vivant à côté de plantations de soja, ainsi que des populations autochtones dépendant entièrement de la forêt, ont vu ces plantations empiéter sur leurs terres. Dans un grand nombre de cas, ces personnes ont été forcées de quitter leurs terres, sur lesquelles leurs familles avaient vécu pendant plusieurs générations.

En outre, ces communautés ont été frappées par une nette augmentation de problèmes de santé. Ainsi, s’y sont développés des cancers, des anomalies congénitales, des fausses-couches et d’autres maladies liées à une trop grande exposition aux pesticides et aux herbicides, comme le glyphosate, utilisé pour la culture du soja, et souvent épandu par avion, directement au-dessus de la population.

« L’Union européenne fait partie des principaux importateurs de produits cultivés sur des terrains illégalement déboisés. Cette culture a des effets désastreux pour les forêts, les populations, ainsi que le climat. L’usage intensif de pesticides dans l’optique de produire ces produits agricoles provoque également d’importants dégâts sanitaires. L’Union européenne a réglementé ses importations en matière de bois et de poisson d’origines illégales. Il est plus temps qu’elle en fasse de même avec les produits agricoles à haut risque pour les forêts, afin de garantir qu’ils soient exempts de toute déforestation, accaparement des terres et autres violations des droits humains » déclare Nicole Posterer, directrice de campagnes « consommation » chez Fern.

Cargill et Bunge responsables de la déforestation ?

Mighty Earth a découvert, lors de notre enquête, que les compagnies américaines Cargill et Bunge – dont la question de la responsabilité avait déjà été évoquée lors d’une précédente enquête, – sont les plus grands acheteurs de ce soja. Cargill et Bunge ont toutes deux engagé des politiques de développement durable. Toutefois, lorsque nous les avons contactées pour discuter des résultats de notre enquête en Argentine et au Paraguay, elles n’ont pas été en mesure de nous fournir d’informations concernant le niveau de traçabilité de leur chaîne de production. Sans traçabilité digne de ce nom, ces entreprises ne peuvent connaître l’origine réelle du soja qu’elles achètent. Les sociétés Cargill et Bunge ont donc échoué à instaurer des mécanismes de traçabilité des produits qu’elles commercialisent pour s’assurer de l’absence d’impacts à l’environnement et aux droits humains.

« Aussi longtemps que les marchands de soja n’agiront pas pour endiguer la déforestation, il est de la responsabilité des sociétés de l’industrie de la viande, des supermarchés, et des investisseurs de réclamer aux marchands de soja un soja n’ayant pas été produit au détriment de forêts. Certains investisseurs, comme le Fonds de Pension Global norvégien, devraient financièrement sanctionner la société Bunge, du fait de ses multiples échecs à endiguer la déforestation » affirme Ida Breckan Claudi, conseillère en politique publique chez Rainforest Foundation Norway.

Traçabilité du soja : appel à la vigilance et à la transparence des producteurs et distributeurs français de viande

Mighty Earth, Sherpa et France Nature Environnement annoncent également qu’ils alertent 20 entreprises françaises sur le fait que leurs chaînes de production pourraient contenir du soja produit au détriment de forêts et des droits humains.

« On ne peut qu’encourager l’industrie française à faire la lumière sur les conditions de production du soja qu’elle achète, en fournissant des informations sur sa traçabilité et sur les mesures prises par les sociétés pour limiter les impacts négatifs de leurs activités en lien avec la production de soja. La publication sincère, exhaustive et accessible de ce type d’information est déterminante, notamment pour le respect d’obligations telles que celles issues de la loi sur le devoir de vigilance, qui fête actuellement ses un an ! » déclare Sandra Cossart, directrice de l’Association Sherpa.

Une catastrophe évitable

En définitive, les destructions en cours dans le Gran Chaco d’Argentine et du Paraguay sont totalement évitables. En Amérique latine, il y a plus de 650 millions d’hectares cultivables où l’agriculture est possible sans créer de nouvelles menaces pour les écosystèmes locaux. Dans l’Amazonie brésilienne, depuis plus de 10 ans, l’industrie du soja (y compris Cargill et Bunge) a appliqué un moratoire sur le soja. Ce moratoire a permis de déplacer les nouvelles productions sur des terrains d’ores et déjà cultivables. Il est considéré par tous comme un succès, contribuant à la préservation de la forêt amazonienne. Malheureusement, cette initiative n’a pas dépassé le territoire de la partie brésilienne de l’Amazonie.

« Notre alimentation et notre agriculture ont de très forts impacts sur la nature qu’il ne faut pas oublier, même si ces conséquences se font parfois ressentir de l’autre côté du monde. La Stratégie de lutte contre la déforestation importée que va lancer le gouvernement doit être l’occasion de mettre en œuvre des mesures fortes pour protéger nos écosystèmes les plus riches en biodiversité et les populations locales. Mais il faut aussi revoir nos modèles agricoles et alimentaires et faire le choix de modèles plus durables où nous consommons moins de protéines animales mais de meilleure qualité », soutient Michel Dubromel, Président de France Nature Environnement.

Mighty Earth, Rainforest Norway, Fern, Sherpa, France Nature Environnement et une coalition d’autres organisations demandent aux entreprises du soja d’étendre immédiatement ce moratoire aux autres régions d’Amérique Latine où le soja est cultivé, notamment le Gran Chaco, le bassin amazonien de la Bolivie, et le Cerrado brésilien.

Lire le communiqué de presse au complet

Source: Mighty Earth

Crédit photos: J. Wickens, Ecostorm

 

 

 

Partager.

Répondre