Par Anny Schneider
Pour une écologiste, c’est quasiment un lieu commun que d’affirmer ceci, mais voilà, je le répète : mieux je connais la nature, plus je me désole des priorités de l’humanité actuelle.
L’autre soir, me promenant dans un grand champ semi-sauvage, en lisière de la forêt de mes beaux Cantons de l’Est, j’étais sous le charme d’une symphonie vespérale incomparable, où pourtant des centaines de variétés d’espèces d’êtres vivants s’affairaient en même temps dans le même espace proche, les uns s’éveillant, d’autres gagnant leur refuge pour la nuitée.
Que ne sommes-nous aussi harmonieusement interdépendants!
Entre humains, même très jeunes, tous ceux qui étonnent et détonnent sont soit ridiculisés, soit ignorés ou alors ostracisés. La promiscuité nous rend de plus en plus féroces les uns envers les autres, et pourtant les villes grossissent toujours et, sous peu, ils hébergeront la plus grande proportion d’humains sur la planète. C’est à n’y rien comprendre! Déjà au XlXe siècle, le grand Gustave Flaubert disait: « Les hommes c’est comme les pommes, quand on les entasse, ils pourrissent! ». À mes yeux d’herboriste sauvage, c’est clair que plus la nature est éloignée des villes, vierge et intouchée, plus elle est riche et diversifiée en espèces végétales et animales, originales et originelles. Dès qu’on redescend, ici vers le sud et la civilisation, plus des plantes communes envahissantes venues d’ailleurs prennent la place des autres. Un peu comme les hommes blancs versus les autochtones, me faisait remarquer Pierre, mon ami Montagnais, après un week-end d’herborisation dans le bois. Ce qui ne veut pas dire que les vaillantes petites tard-venues importées qui se sont âprement naturalisées soient inutiles, sûrement pas! Mais à moins de 4% du territoire québécois actuel qui est officiellement préservé et dûment protégé, il est crucial de laisser pousser en paix les dernières grandes forêts nordiques, ne serait-ce que pour préserver les dernières espèces rares vraiment indigènes, dont certaines mettent trente ans à se reproduire!
Forces vives, lucides et vigilantes !
Cela dit, je ne désespère pas du genre humain et, en ce début de septembre 2007, je médite encore sur ce que le tout récent Forum social Québécois de Montréal m’a montré. Il reste encore des forces vives, lucides et vigilantes, dans tous les milieux décisifs de la société. Il ne faut pas désespérer, mais se rassembler dans des causes brûlantes qui en valent la peine, l’environnement en étant une prioritaire. Il aussi faut s’unir et protester contre la pauvreté et l’itinérance, les abus contre les femmes, les aînés, les autochtones et les immigrants. Bref, contre le néo-libéralisme sans cœur ni âme, au nom duquel ses promoteurs banalisent le traitement de la terre et les humains comme des marchandises.
À l’occasion du Forum social québécois, j’ai été enchantée d’entendre et de voir des personnes remarquables comme les Jacques Proulx de Solidarité rurale, Ghislain Picard, chef des premières Nations, François Parenteau et Armand Vaillancourt entre autres, mais surtout des milliers de citoyens de tout le Québec rassemblés pour rêver tout haut à un meilleur monde possible. J’ai été heureusement surprise par l’ardeur à la tâche et l’enthousiasme de centaines des jeunes. À peine dans la vingtaine, très allumés, ils s’impliquaient plus particulièrement dans le volet culturel et j’ai même eu l’insigne honneur et le bonheur de m’a dresser à plus d’une centaine d’entre eux au Cabaret engagé du samedi soir, tenu dans les locaux de l’Union française.
Triste bêtise…
Toutefois, à la presque clôture de l’évènement, lors du Forum de discussion final, j’ai assisté à un épisode d’exemple de bêtise crasse de la masse, quand on a fait taire vertement, simplement à cause de son ton irritant et de sa résurgence tenace, une dénommée Madame Schwartz (ce qui signifie la Noire en allemand…). Cette dame, une virulente militante Sud-Américaine, dénonçait et fustigeait notre suffisance bien-pensante de Canadiens nantis, face aux horreurs d’écocides et de quasi-esclavage que perpètrent quotidiennement les grandes sociétés minières canadiennes en Amérique du Sud. Rappelez-vous que dans le Nord québécois aussi, à cause de la loi sur les « Claims » miniers, les sociétés ont préséance et priorité sur tout ce qui se trouve au-dessus du sol, y compris les forêts anciennes et que c’est une loi caduque, désormais inadmissible. Ceci même s’ils payent mieux leurs mineurs ici, loi fédérale et concurrence oblige.
Tous, moi y compris, personne n’a osé contester le rabrouement de cette virulente amérindienne rousse, et j’en éprouve encore une certaine honte aujourd’hui. Tous, nous avons encore du chemin à faire pour nous humaniser ou mieux, nous « naturaliser », et éventuellement réussir à nous éterniser, si ce n’est notre race via nos descendants.
Pour survivre…
Pour survivre sans nous trucider les uns les autres, il nous faudra apprendre à partager plus équitablement et à accorder à tous les vivants leur juste place, en commençant simplement par tendre l’oreille, malgré ou justement à cause des protestations dissonnantes, lancinantes et répétées, car oh! combien justifiées. Que ce soient celles de la nature ou celles de nos semblables opprimés et souffrants, hélas, encore bien trop nombreux!
Par Anny Schneider