Par Sylvie Woods
Membre du Parti vert du Québec
Pour ce qui est de l’échangeur Turcot, le projet a été présenté au printemps 2008 par le ministère des Transports (MTQ) à la population du Sud-Ouest et les audiences publiques (BAPE) sur les impacts environnementaux auront lieu bientôt. Tout comme pour le projet autoroutier nommé «modernisation » de la rue Notre-Dame, ces consultations n’ont pour objet que de discuter de mesures de mitigation en ce qui concerne la sécurité des résidants et les impacts pour la population du Sud-Ouest.
Toutefois, les deux projets autoroutiers ont été contestés par la Coalition pour humaniser la rue Notre-Dame ainsi que par Mobilisation Turcot. Ces deux groupes rallient des citoyens des quartiers dits «anciens » et qui habitent près de ces infrastructures routières soit Hochelaga-Maisonneuve, Mercier, le Centre-Sud, Pointe St-Charles, St-Henri et Côte St-Paul. Les pétitions ont été déposées à l’Assemblée nationale par madame Louise Harel et monsieur Camille Bouchard. Tout le travail des citoyens ne consistait pas seulement à se retrancher dans une opposition têtue contre les projets, mais présentait surtout des pistes de solutions axées sur un développement économique plus écologique, initiant un virage vers des modes de transports collectifs électrifiés tels que le tram-train, le tramway et les trolleybus pour Montréal.
Certains membres de la Coalition pour humaniser la rue Notre-Dame, urbanistes et experts en transport, ont proposé des plans d’aménagements plus congruents avec le Plan de transport de la Ville de Montréal. Celui-ci ne devait-il pas remettre au premier plan le transport collectif et les transports actifs dans la métropole? Ces propositions d’aménagements ont d’ailleurs été présentées aux représentants du MTQ. Mais le ministère des Transports, qui ne jure que par la multiplication des voiries sur son territoire, appuyé par la Ville de Montréal, ne démord pas de ses projets autoroutiers pour la métropole.
Quand la Chambre de commerce s’en mêle
Quelques jours après le dépôt des pétitions à l’Assemblée nationale, madame Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, faisait valoir son mécontentement face à l’expression de cette opposition des citoyens face au gouvernement. Madame Bertrand s’offusque de trouver des opposants sur sa route étant donné que pour elle, « ces deux projets sont devenus indispensables au développement de Montréal et même à une approche plus intégrée des divers modes de transports dans la métropole » soutient-elle. Mme Bertrand réfère sûrement à l’ensemble des infrastructures routières « intégrées » dans un plan de croissance urbaine montréalaise sans précédent. Ainsi, le Québec aurait connu une croissance de son PIB de 42 % depuis 1990 et une croissance démographique de 9,2 % dans la même période (1), croissance à laquelle a participé grandement Montréal où habite 50 % de la population du Québec.
Il faut comprendre que le projet du prolongement de l’A-25 et la construction d’un nouveau pont entre Laval et Montréal sont reliés à la reconstruction du boulevard Notre-Dame qui deviendra une autoroute à 8 voies. À celles-ci s’« intègrent » deux voies réservées pour les autobus, dit-on, ce qui en fait une infrastructure dont l’emprise au sol est quatre fois plus large que le boulevard existant de 4 voies. Cette nouvelle autoroute Notre-Dame se relie vers l’ouest à l’autoroute Ville-Marie. Le maire de l’arrondissement de Ville-Marie, André Labonté, a demandé au MTQ que la section entre la rue Papineau et le Carré Viger soit entièrement recouverte par une dalle de béton pour éviter que les nouveaux projets immobiliers dans le Centre-Sud ne tombent en disgrâce avec une telle laideur et le bruit qui s’en suivront pour le quartier. On parle d’environ 100 millions de dollars qui s’ajoutent au coût initial du projet estimé à 750 millions de dollars incluant le tronçon Notre-Dame.
Comme on peut facilement le constater, il s’agit d’un seul projet composé de plusieurs tronçons. C’est la reconstruction de l’ensemble des infrastructures reliant l’est et l’ouest de la ville de Montréal, ainsi que celles reliant les banlieues de la Rive Nord et de la Rive Sud par l’échangeur Turcot, que le gouvernement Charest s’apprête à réaliser dans les cinq prochaines années. Toutefois, le gouvernement québécois n’a pas les moyens financiers actuellement pour assumer des projets aussi exorbitants, il s’en remet donc aux modes de financement de partenariat public-privé pour réaliser la reconstruction de ces infrastructures urbaines. L’ensemble de ces projets est présenté comme un investissement souhaitable. Pourtant, chacun d’eux contribuera à créer une dette importante pour le Québec et surtout, ils accentuent, pour la génération actuelle et la suivante, une importante dette écologique qui aurait pu être évitée.
L’échangeur Turcot
Ce sont de tels projets de croissance urbaine, ne tenant compte d’aucune considération environnementale, qui font en sorte que l’humanité nécessitera les ressources de deux planètes pour combler ses besoins en 2030, comme le prévoit le Fonds mondial de la nature (2). L’échangeur Turcot est emblématique à cet égard et reflète tout à fait l’état d’esprit de nos dirigeants en matière d’économie, d’environnement et d’aménagement urbain. Pour eux, il n’existe plus aucune limite physique et environnementale, économique ou sociale à l’objectif unique de croissance économique. Pourtant, ce sont ces balises qui devraient orienter notre développement économique, afin que les aménagements urbains soient conçus à une échelle plus humaine et plus viable écologiquement. Par exemple, il a été décidé par le MTQ que l’échangeur Turcot actuel sera maintenu en place pendant que l’on reconstruira le nouvel échangeur en parallèle à celui existant. Pour une période de 5 ans, le volume de l’échangeur augmentera du double! La nouvelle autoroute sera rabaissée et sera construite sur un remblai de terre, plutôt qu’en hauteur et sur des pilotis de béton tel qu’il est actuellement. Rappelons-nous que l’échangeur Turcot s’étend sur plus de 7 kilomètres au-dessus des quartiers du Sud-Ouest et s’élève à plus de 30 mètres en hauteur. Le territoire accaparé par les deux échangeurs monumentaux pendant plus de cinq ans sera immense. Des terrains fonciers de grande valeur seront également utilisés pour le projet. Au surplus, il est prévu que l’ancien échangeur ne sera détruit qu’en 2014. Nul besoin de dire que la population environnante devra subir des inconvénients importants comme le bruit et la poussière générés par ces travaux pendant plusieurs années consécutives en subissant une perte importante de qualité de vie. Plusieurs résidants de longue date seront expropriés. Actuellement, il est question d’environ 163 logements, encore en bon état, qui seront détruits pour libérer le territoire nécessaire pour la construction du nouvel échangeur. Les travaux terminés, ces quartiers se retrouveront enclavés par cette autoroute rabaissée et seront entourés de murs anti-bruit qui enlaidiront leur environnement tout en augmentant le bruit provenant des automobiles qui seront plus rapprochées de leurs habitats.
Lorsque Mme Bertrand nous sert l’argument du développement économique qui serait favorisé par de tels projets, nous nous demandons si la dame vit sur la même planète que la nôtre. En fait, les nombreux signataires de la pétition sont très inquiets de l’état de notre planète et des répercussions qu’aura la reconstruction des autoroutes surdimensionnées sur notre environnement.
Ère du carbone, pétrole et récession économique
Notre gouvernement actuel se dit très fier de son bilan de production de gaz à effet de serre qui n’aurait augmenté que de 1,6 % depuis 1990. Il n’en est pas moins sidérant de constater que le Québec n’a pas diminué ses émissions de gaz à effet de serre depuis 18 ans (3). La société québécoise, ayant signé le Protocole de Kyoto, avait pourtant la tâche de réduire ses émissions de 6 % sous le seuil de 1990.
Tout à fait contraires aux objectifs de réduire les émissions de GES, ces projets autoroutiers ne feront que contribuer à augmenter les émissions polluantes en favorisant les déplacements automobiles sur le territoire montréalais. Comme en fait foi le récent « épisode majeur » de smog qui a duré 4 jours en plein mois de novembre dans la région de Montréal, un indice important de l’effet du réchauffement climatique que subit déjà la population québécoise. Comme le rappelait un bilan environnemental au printemps 2008 de la Ville de Montréal (4), pendant les périodes de 1999-2000 et 2003-2006 les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 6,5 %, associées à l’augmentation du parc automobile dans la métropole. Ce qui aurait entraîné 40,000 voitures supplémentaires sur les ponts dans la région métropolitaine. Il y a eu pendant cette même période une augmentation de 50,046 automobiles à Montréal.
De plus, l’économiste Jeff Rubin de la CIBC soutient dans un récent rapport, disponible sur Internet (5), que l’augmentation rapide des prix du pétrole a été un facteur déterminant dans la présente crise économique mondiale. Il souligne que sur les cinq grandes récessions de ce siècle, quatre d’entre elles ont toujours été précédées d’un choc pétrolier. Le prix du litre du pétrole, dont les cours en bourse ont été multipliés par six depuis 2002 pour culminer en juillet 2008 à près de 1,50 $/litr,e est une cause totalement ignorée dans l’appréciation de cette crise attribuée uniquement à une crise des marchés financiers. L’économiste soutient que ce sont les pays importateurs de pétrole qui ont été les premiers touchés par la récession mondiale. Le pétrole est le pivot des secteurs économiques importants tels que l’agriculture et la construction d’infrastructures routières. Rubin démontre que depuis 2005, les États-Unis ont dû débourser 200 milliards pour leurs importations de pétrole annuellement alors que les pays de l’OCDE en payaient 700 milliards sur la même période (6).
Entre 1990 et 2005, la consommation de pétrole au Québec a triplé, selon l’Institut de la statistique du Québec. Cessont des sommes énormes qui ont alors été transférées dans les pays producteurs membres de l’OPEP. Le transfert d’argent qui alors ne circule plus dans l’économie réelle aurait pour effet d’entraîner cette récession. Pour le Québec, le déficit du secteur énergétique attribué à l’importation de pétrole seulement était déjà de 7 milliards en 2005.
Des projets anti-Kyoto
Les cinq grands projets autoroutiers totalisent 20 kilomètres de routes. Bien qu’ils soient présentés de manière parcellaire par le gouvernement, ils constituent un ensemble autoroutier qui coûtera près de 7 milliards de dollars aux Québécois. Ces projets reposent sur l’approvisionnement continu du capital naturel non renouvelable qu’est le pétrole, en voie d’épuisement. Au niveau mondial, les conditions d’investissement dans de nouvelles infrastructures pétrolières sont de plus en plus coûteuses et l’extraction devient de plus en plus difficile selon l’Association internationale de l’Énergie (7).
En augmentant l’offre de transport automobile, le Québec accentue son déficit commercial qui franchira les 10 milliards de dollars en 2008. La capacité financière du gouvernement, qui lui fait défaut du fait de sa dette nationale de 126 milliards en croissance, ainsi que l’absence d’une politique de financement à long terme dans les infrastructures publiques l’oblige à céder, à la pièce, la réfection et la gestion de son réseau routier public aux entreprises étrangères en mode PPP. Ces contrats négociés avec des entreprises privées constituent en fait une forme d’emprunt sur le marché international à haut taux d’intérêt sur une période de 35 ans.
Tous ces projets autoroutiers reposent donc sur des déficits économique et écologique importants. Ils augmenteront les émissions de gaz à effet de serre tout en affectant la santé de la population. Ils hypothéqueront de manière déterminante notre capacité financière pour l’investissement dans le développement de moyens de transports collectifs et la réalisation d’un virage nécessaire vers l’électrification des transports des personnes (8). Le développement des modes de transports intermodaux en remplacement du camionnage soit par l’utilisation des barges, des voiliers et par des trains électrifiés, s’en trouvera grandement réduit. Pourtant, si notre gouvernement avait privilégié ce type de transport plus viable et écologique, il aurait du même coup favorisé un développement économique réduisant notre dépendance envers les capitaux étrangers, envers le pétrole, tout en recourant à l’énergie renouvelable de l’électricité produite au Québec. Loin de là, le gouvernement Charest fait plutôt la promotion de la croissance économique par des projets d’autoroutes qui sont nuisibles à tous les égards pour les Québécois et la planète.
Par Sylvie Woods
Membre du Parti vert du Québec
Sources :
(1) CARDINAL François. GES par habitant : le Québec chef de file, La Presse, le 3 novembre 2008.
(2) FONDS MONDIAL DE LA NATURE (WWF). Living planet report 2008, Global Footprint network.
(3) FRANCOEUR, Louis-Gilles. Kyoto : Québec rêve en couleurs, Le Devoir, le 10 novembre 2008.
(4) FRANCOEUR, Louis-Gilles. La qualité de l’air ne s’améliore pas à Montréal, Le Devoir, le 29 mai 2008.
(5) RUBIN, Jeff et BUCHANAN, Peter. What’s the real cause of the Global Recession? StrategEcon, 31 octobre 2008. CIBC World markets inc. Site Internet.
(6) BÉRUBÉ, Gérard. La récession mondiale a une odeur de pétrole, Le Devoir, le 4 novembre 2008.
(7) Le pétrole continue sa chute à New York, Le Devoir, le 7 novembre 2008.
(8) GILBERT, Richard et PERL, Gilbert. Transport Revolution: Moving People and Freight Without Oil, Earthscan, London, 2008, 351 p.