À première vue, les négociations sur les changements climatiques semblent complexes et surtout réservées aux spécialistes. S’il est vrai qu’il faut maîtriser un certain vocabulaire et de nombreux acronymes (1), les enjeux de base sont assez clairs et une bonne réflexion permet de comprendre les principales positions. En fait, il y a plusieurs négociations simultanées à Poznan : nous vous proposons d’en aborder quelques-unes.
Les Mécanismes de Développement Propre (CDM)
Le Protocole de Kyoto définit des mécanismes pour aider les pays à atteindre leurs cibles nationales. On parle par exemple des CDM et des applications conjointes (JI) (2). L’article 12 du Protocole de Kyoto explique que le but du Mécanisme de Développement Propre est d’assister les parties non inscrites à l’Annexe I (AI) (3) dans des projets de développement durable tout en permettant aux pays de l’AI d’atteindre leur cible de réduction. Par exemple, la plantation d’arbres en Indonésie par une entreprise canadienne est un CDM. En investissant dans un pays étranger pour réduire les émission de gaz à effet de serre (GES), le Canada peut ainsi inscrire cet investissement comme un geste pour atteindre ses cibles nationales (-6 % sous la production de 1990). Idéalement, les réductions devraient se faire principalement dans le pays d’origine. Il doit être démontré dans les CDM que le projet permet des réductions réelles qui n’auraient pas été accomplies sans l’apport du pays de l’AI. L’application conjointe (JI) suit un schéma similaire, mais entre deux pays inscrits à l’AI, par exemple, entre la Russie et la France. Fait à noter, en 2007, la Chine a reçu 73 % des capitaux associés aux CDM.
Utilisation du territoire et forêt
Les changements dans l’utilisation du territoire (i.e. déforestation) sont responsables d’entre 20 et 30 % des émissions de GES. Il n’est pas surprenant que des stratégies soient envisagées à l’intérieur du Protocole de Kyoto pour diminuer les émissions associées à la gestion du territoire. Le sol, tout comme les végétaux, peut agir comme puits ou comme émetteur de carbone, ce qui est régi sous le Land Use, Land Use Changes and Forestery (Utilisation des terres, modification de l’affectation des terres et foresterie (LULUCF)). En raison de l’incertitude associée à son immense forêt, le Canada à décidé de ne pas inclure le LULUCF dans son inventaire national. Les enjeux entourant cet accord sont plutôt techniques, telle que la définition de la forêt (donc de la déforestation) ou la méthodologie et le suivi des discussions.
À Poznan, une attention particulière est portée sur les Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation in Developing countries (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et la Dégradation dans les pays en développement (REDD)), qui au-delà des visées climatiques, porte sur la conservation des forêts de la planète. La REDD est un nouveau mécanisme qui devrait être intégré dans le prochain accord Post-Kyoto. Il est basé sur le concept de « paiement pour des services environnementaux » et permettrait l’obtention de Certified Emission Reduction credits (crédits de réduction d’émission certifiés (CER)) par le maintien de la forêt. Les mécanismes devraient être inclusifs et respecter les droits des communautés locales et autochtones. Est-ce que les REDD seront applicables seulement aux forêts vierges ou primaires, comme la forêt boréale canadienne ou également aux plantations d’arbres réalisées dans le cadre de mécanisme de développement propre, comme par exemple les plantations d’eucalyptus au Brésil? Comment mettre en place un processus effectif qui prend en compte véritablement les aspirations des communautés locales? Voilà quelques questions relatives aux REDD… et loin d’être résolues!
Finances et transfert technologique
Les pays en développement n’ont pas les ressources financières pour minimiser leurs émissions de GES et s’adapter aux impacts des changements climatiques, tout en poursuivant leur développement social et économique. Les pays riches se sont engagés au paragraphe 2 du chapitre 11 du Protocole de Kyoto à financer des mesures de mitigation et d’adaptation des changements climatiques. Jusqu’à présent, les sommes (promises ou allouées) sont faméliques : autour de 150 millions de dollars US selon l’organisation humanitaire Oxfam. Pourtant, les Nations Unies estimaient en 2007 que les besoins pour l’adaptation d’élèveraient de 28 à 67 milliards de dollars US d’ici 2030. Les leviers pour financer de telles sommes doivent être mis en place, mais le choix de ces derniers ne fait pas consensus entre les délégués. Qui doit payer, combien, comment? Une idée forte fait son chemin, portés par la Norvège, soit de consacrer un faible pourcentage du montant perçu lors de la mise en enchère des permis d’émissions dans un système de bourse du carbone.
Au-delà de la finance, les pays en développement profiteraient de l’accès aux technologies de pointe développées dans les pays riches, par un mécanisme de transfert technologique. La compatibilité avec les droits intellectuels (souvent négociés dans des ententes bilatérales) reste un nœud gordien : comment aller au-delà des intérêts particuliers des multinationales qui les détiennent? Mais également, quelles technologies sont à privilégier?
Nucléaire et séquestration du carbone
Quoique le nucléaire soit moins visible cette année, la question de la fixation et de la séquestration du carbone (CCS) est omniprésente. La CCS consiste au captage du gaz carbonique (CO2) provenant des sources ponctuelles de pollution. Cette technologie serait surtout efficace dans certaines industries (ciment, aluminium), ou dans la production d’électricité provenant de la combustion de carburant (comme le charbon). En fait, une équipe de négociation se penche sur la possibilité d’intégrer la CCS dans les CDM. Les positions sont tranchées sur cette question. Alors que le Canada est en accord pour l’intégration des CCS dans les CDM, la plupart des pays en développement sont contre. En fait, la question n’est pas tant sur le bien fondé du CCS, mais plutôt sur la possibilité de les intégrer dans les CDM. D’une part, aucune étude n’a démontré la durabilité dans le temps de cette technologie. En cas de fuite du carbone, qui sera responsable? Le pays hôte ou la partie ayant reçu les crédits à l’origine? Même après 50 ans? De plus, de quelle manière un projet reposant sur la ségrégation du carbone contribue-t-il au développement durable d’un pays en développement, en opposition à la mise en place d’un projet d’énergie renouvelable? Bref, la confusion est grande et plusieurs arguments portent à rejeter l’intégration des CCS dans les CDM. C’est franchement plus une question d’intérêt pour les entreprises pétrolières qui y trouveraient ainsi des retombées multiples en termes de production et de réduction de leurs responsabilités de pollueur.
Par ailleurs, la question d’utiliser l’énergie nucléaire comme source potentielle pour réduire les émissions de GES est très marginale aux négociations officielles, quoique des discussions soient menées en coulisse. Le nucléaire n’a pas été inclus dans les accords concernant le CDM, il serait surprenant de le voir apparaître dans les articles du nouveau protocole Post-Kyoto.
Conclusion
Ce sont quelques enjeux importants qui occupent quotidiennement les délégués à Poznan. Les points de vue divergent grandement entre les intervenants, selon qu’ils soient de pays du nord ou du sud, lobbyistes environnementalistes, humanitaires ou industriels. Malheureusement, les parties ne semblent pas nécessairement de très bonne foi (dont le Canada). Il apparaît clairement que les parties provenant des pays riches font tout leur possible pour minimiser les efforts qu’ils devront introduire dans leur économie. Parce que c’est véritablement un effort que l’on attend d’eux pour protéger la planète des changements climatiques. Leurs délégations tendent plutôt à les considérer comme un fardeau, alors que le véritable fardeau sera porté par les populations les plus vulnérables.
Par François Décary-Giraldeau
Membre de la Délégation jeunesse du Canada
François Décary-Gilardeau poursuit présentement des études de cycles supérieurs à l’Université du Québec à Montréal au sein de l’Institut des Sciences de l’Environnement. Depuis plus d’un an, travaille pour la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’UQAM. Ses intérêts portent principalement sur la responsabilité sociale des entreprises, le développement durable, et les nouveaux mouvements sociaux. Trilingue, ses études l’ont mené au Mexique et aux États-Unis.
Sources :
(1) Voici en résumé une intervention pour initiés entendue récemment: « AOSIS s’est opposée hier à l’intégration des CCS dans les CDM et souhaite plutôt une recrudescence de NAMAs.» J’ai choisi d’utiliser les acronymes anglais puisqu’ils sont beaucoup plus utilisés.
(2) Acronymes :
LULUCF – Land Use, Land Use Changes and Forestery (Utilisation des terres, modification de l’affectation des terres et foresterie).
REDD – Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation in Developing countries (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et la Dégradation dans les pays en développement).
CCS – Carbon Capture and Storage (Fixation et séquestration du carbone).
CDM – Clean Development Mecahnism (mécanisme de développement propre)
JI – Joint Implementation (application conjointe)
CER – Certified Emission Reduction credits (crédits de réduction d’émission certifiés)
GES – Gaz à effet de serre
AI – Annexe one country (pays de l’annexe I) : Allemagne, Australie, Autriche, Bélarus, Belgique, Bulgarie, Canada, Communauté économique européenne, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, États-Unis, Fédération de Russie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Monaco, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse. Turquie, Ukraine.
(3) En général ces pays sont les pays en développement, les pays les moins avancés, les pays insulaires, regroupés sous le vocable de Chine +G-77. En 1997, la Chine, l’Inde et le Brésil n’étaient pas considérés comme des pays développés ni émergents.