Par Valérie Ouellet
Mots clés : champs, décontamination, Institut de recherche en biologie végétale, jardins, métaux lourds, mines, phytodécontamination, phytoremédiation, terrains vagues. Après près d’un siècle d’activité industrielle, le Québec compte des milliers de terrains vagues contaminés. Pour dépolluer ces sites, des scientifiques proposent d’y implanter des super végétaux aux pouvoirs nettoyants. La technique, écologique, crée de nouveaux espaces verts et redonne vie à des endroits abandonnés par tous. Voyage dans le monde de la phytoremédiation.
Sur le terrain de l’ancienne gare de triage Saint-Louis du Canadian Pacific pousse à présent une importante biodiversité. Les citoyens ont baptisé le terrain Maguire-Roerich et souhaitent en faire une réserve de biodiversité urbaine décontaminée naturellement. (Photo : Valérie Ouellet) Le carré Maguire-Roerich est un havre de paix. Outre le bourdonnement des abeilles et des grillons, rien ne semble bouger dans cette campagne sauvage en plein cœur de la ville. Les pétales mauves de la chicorée côtoient les sphères illuminées de la tanaisie vulgaire tandis que les saules et les peupliers font ombrage à un immense cerisier sauvage. Pourtant, sous la terre, les racines de ces plantes bénéfiques s’activent pour pomper hors du sol les contaminants accumulés au fil du passé industriel de cette ancienne gare de triage.
Longtemps confinée aux laboratoires académiques, la phytoremédiation, aussi appelée phytodécontamination prône la réhabilitation des sols contaminés à l’aide de plantes. « Un terrain contaminé est un espace où la quantité de polluants inorganiques, comme les métaux lourds, ou organiques, comme les produits pétroliers, est concentrée en quantité dangereuse », résume Philippe Giasson, professeur associé au département des Sciences de la Terre de l’UQAM. Le cuivre, le plomb, le zinc, le cadmium et l’arsenic comptent parmi les principaux métaux lourds toxiques contenus dans le sol, indique-t-il. Pour extraire ces polluants du sol, les scientifiques font appel à deux types de plantes : les hyperaccumulatrices et les plantes à croissance rapide.
Les plantes hyperaccumulatrices : une endurance olympique
Les plantes hyperaccumulatrices peuvent supporter et concentrer dans leurs tissus des quantités de contaminants normalement toxiques pour la majorité des végétaux (jusqu’à 5 % de leur poids sec) Parmi les plantes hyperaccumulatrices, on compte le trèfle, la tanaisie vulgaire, la fétuque ainsi que des légumineuses et plusieurs autres plantes indigènes.
La chicorée est une plante fourragère appartenant à la famille des composées (Astéracées) et ayant de nombreuses vertus thérapeutiques. On la retrouve fréquemment sur le bord des champs ou en forêt. Parce qu’elle apparaît un peu partout sans y avoir été plantée, la chicorée est considérée comme une plante indigène. (Photo : Valérie Ouellet) Ces espèces proviennent de milieux arides et naturellement riches en métaux lourds, particulièrement en nickel et en magnésium, comme le Mont Albert ou encore la côte Ouest de Terre-Neuve. « Par un heureux accident de la nature, ces plantes ont survécu dans des sols arides, compacts et contaminés parce qu’elles étaient plus fortes que les autres », explique Annie Cavanagh, étudiante à la maîtrise à l’Institut de recherche en biologie végétale, un centre de recherche affilié au Jardin botanique et à l’Université de Montréal.
Une fois enracinées dans un terrain vague contaminé, les plantes hyperaccumulatrices absorbent les contaminants au même rythme que les nutriments de la terre. Ces polluants sont ensuite stockés dans les parties aériennes de la plante, soit les feuilles et les extrémités.
Les plantes à croissance rapide : toujours plus haut
Les plantes à croissance rapide, par exemple le saule et le peuplier, ont été sélectionnées pour leur rapidité de croissance et de restauration. Leur taille vertigineuse leur permet de répartir les contaminants le long de leur imposante structure. De plus, leurs racines s’étendent profondément dans le sol, ce qui permet d’absorber davantage de polluants. Ces végétaux sont souvent des hybrides manipulés en laboratoire pour un meilleur rendement, comme le saule à croissance rapide, très efficace dans les sols riches en zinc, en plomb ou en cadmium.
Après quelques mois, lorsque les plantes ont stocké un maximum de contaminants, ses branches sont recueillies et éliminées. « Le principal avantage de la phytoremédiation est de concentrer les contaminants en plusieurs emplacements restreints, soit dans les extrémités des plantes », analyse Annie Cavanagh. Une fois récoltées, les parties contaminées sont brûlées à plus de 500 degrés Celsius. La procédure permet de séparer les restes végétaux des contaminants, qui sont ensuite enfouis dans des lieux sûrs. « La phytoremédiation ne règle pas tous les problèmes, puisqu’il faut encore disposer des contaminants de façon traditionnelle par la suite », conclut Annie Cavanagh. Au Québec, un nombre restreint d’entreprises offre la procédure, qui est assez coûteuse.
Sur les sites riches en substances pétrochimiques, comme les anciennes stations-services, la décontamination est confiée aux bactéries friandes de carbone, indique Philippe Giasson. « Par la biooxydation, ces micro-organismes décomposent les contaminants pour s’en nourrir. On appelle ce procédé la biorestauration. » Le doctorant s’est aussi penché sur la question des champignons mycorhiziens, des micro-organismes permettant de meilleurs échanges entre la plante et le sol lors de la phytodécontamination.
Le coût de l’impatience
Les propriétaires de terrain qui préfèrent laisser agir Mère Nature devront toutefois s’armer de patience, car la phytodécontamination est un processus long. « C’est encore une technique hautement expérimentale, avec très peu d’exemples concrets en milieu urbain. Ça peut prendre de 10 à 25 ans avant de voir les résultats concrets de la phytoremédiation. On ne peut pas construire immédiatement », admet Annie Cavanagh.
Un délai trop long pour la plupart des promoteurs, qui optent souvent pour la décontamination traditionnelle afin de gagner du temps. « La technique actuelle consiste à creuser profondément le terrain pour enlever plusieurs mètres de sols contaminés et déplacer le tout dans un autre lieu », résume Martin Forgues, chargé de projets en environnement pour l’entreprise Pavco qui décontamine jusqu’à deux cents sites par année.
Toutefois, ne décontamine pas qui veut. Si elle est plus rapide que la phytodécontamination, la décontamination traditionnelle est très coûteuse. « Le prix pour décontaminer un terrain varie en fonction de son emplacement, du type de contaminant et du niveau de contamination. Les coûts montent très rapidement, surtout lorsque l’analyse des sols a été superficielle », informe Martin Forgues. Souvent, la découverte d’une nappe d’eau souterraine ou de nouveaux contaminants fait grimper la facture rapidement. Selon Martin Forgues, un promoteur sur trois annule son projet immobilier après avoir constaté les coûts de décontamination.
Ce n’est pas tout : une fois les sols contaminés retirés, les promoteurs doivent payer à nouveau pour l’enfouissement des matières dangereuses. « Il en coûte de 75 à 100 dollars la tonne pour enfouir des contaminants comme le plomb, le nickel et le zinc », indique Martin Forgues. Malgré les coûts astronomiques de la décontamination, la plupart des promoteurs ne peuvent se permettre d’attendre, au risque de perdre des contrats lucratifs.
Repenser les espaces verts
La phytoremédiation demeure toutefois une solution viable pour les terrains contaminés laissés à l’abandon entre deux transactions immobilières. En plus de contribuer à décontaminer le sol, la phytoremédiation crée des espaces verts supplémentaires, qui doivent être valorisés et protégés au même titre que les parcs municipaux. C’est ce que croit Roger Latour, auteur du Guide de la flore urbaine (1) « Qui a dit qu’un espace vert, c’est nécessairement un parc avec des carrés de gazons, des bancs et de la garnotte? », questionne le naturaliste.
Depuis 2005, il observe avec fascination la biodiversité du terrain Maguire-Roerich. Situé dans l’ancienne gare de triage Saint-Louis, bordée par la voie ferrée du Canadian Pacific, ce champ contaminé par les graisses et les lubrifiants des locomotives d’antan cache une biodiversité inédite.
À l’image des terrains vagues, les plantes indigènes et les mauvaises herbes cachent un écosystème entier. Ici, une coccinelle et un papillon profitent de la plateforme d’une ombelle de carotte sauvage pour se reposer. (Photo : Valérie Ouellet)
Un écosystème unique que l’amoureux des plantes souhaite mettre en valeur en créant la première réserve de biodiversité urbaine (REBU), une aire protégée pour les espèces indigènes poussant sur le terrain vague. Le projet inclut également une aire de phytoremédiation expérimentale à l’aide du saule à croissance rapide en collaboration avec l’IRBV, ainsi que l’implantation d’un corridor végétal pour les animaux et les pollinisateurs le long de la voie ferrée voisine. « Il existe des milliers de terrains vagues contaminés à Montréal. Au lieu de les laisser à leur sort, pourquoi ne pas les transformer en espace vert? » propose Roger Latour.
Une question inévitable, même pour la Ville de Montréal. « Montréal est le berceau de l’industrialisation au Canada. Nous ne pouvons pas échapper à l’omniprésence des terrains vagues contaminés. D’ailleurs, la Ville détient un inventaire complet de ces endroits, incluant les types de contamination ainsi qu’une évaluation du coût pour les dépolluer », explique le responsable du développement durable à la Ville, Alan de Sousa.
Il cite en exemple qu’en décembre 2008, la Ville de Montréal a octroyé un contrat de 400 000 dollars à l’IRBV pour la réhabilitation des eaux souterraines du parc d’entreprises de la Pointe-Saint-Charles à l’aide de la phytoremédiation.
Quant à lui, Roger Latour espère que son projet servira de modèle aux promoteurs. « Les terrains vagues sont toujours associés au danger, à la pollution et aux mauvaises herbes alors qu’ils recèlent une grande biodiversité. Il faut regarder les terrains vagues d’un autre œil et apprendre à les valoriser au lieu de les neutraliser. »
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Sources : (1) LATOUR, Roger. Guide de la flore urbaine, Montréal, Fides, 2009, 303 pages.
Lexique
L’expression phytorémédiation est un terme général qui provient de la contraction entre le terme grec phyto, qui signifie plante et l’expression latine remedium, qui signifie rétablir l’équilibre ou remédier à une situation. En fait, il existe sept types de phytorémédiation. Chacune d’entre elles est utilisée dans une situation particulière : Phytorestauration Phytoextraction Phytotransformation (ou phytodégradation) Phytofiltration (ou rhizofiltration) Phytovolatilisation Phytostabilisation Phytostimulation
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