Par Ian Ward,
Propriétaire de la firme d’éco-conseils dur.Agence
Mots-clés : Centre-ville de Montréal, stationnement, taxe, transport en commun, Plan de transport de la Ville de Montréal, Projet Montréal, navette ferroviaire. Normal 0 21
Les commerces du centre-ville de Montréal devront composer avec une nouvelle hausse de leurs taxes : le récent budget municipal inclut le paiement d’une redevance d’environ 400 $ par an pour chaque place de stationnement qu’ils possèdent, en plus de l’augmentation des impôts fonciers qui varie selon l’arrondissement. Les quelque 20 millions de dollars prélevés au total serviront à financer le transport en commun, et l’administration de Gérald Tremblay estime que les commerces ne seront pas accablés outre mesure. Aux prises elle-même avec la récession et des finances serrées, l’administration publique devra trouver environ 350 M$ de plus par année, si elle veut réaliser les projets prévus dans son ambitieux Plan de transport, tels la navette ferroviaire vers l’aéroport et le réseau des tramways. La Ville a déjà largement exploité les impôts fonciers et les autres leviers financiers habituels. La taxe sur le stationnement serait donc raisonnable, si elle améliorait l’accessibilité et la qualité du transport en commun. On n’y arrivera cependant pas avec 20 M$.
La proposition de Projet Montréal Ne vaudrait-il pas la peine d’étudier la proposition de Projet Montréal, qui consiste à élargir cette taxe à tous les commerces de la Ville? « Plus équitable », cette initiative assurerait un plus grand financement aux transports en commun et permettrait de réduire le taux d’imposition par unité de stationnement à 325 $ par an, en moyenne. Tous les stationnements non résidentiels hors rue de plus de cinq places seraient taxés, ce qui permettrait aux commerces du centre-ville de concurrencer les grands centres de la périphérie qui offrent gratuitement le stationnement à leurs visiteurs. C’est du moins l’opinion de Peter McQueen, porte-parole de Projet Montréal en matière de finances. Regardons les deux scénarios de plus près, celui de la taxe découlant de la Loi 22 et celui de la proposition de Projet Montréal. Des rentrées d’argent nécessaires Le Parti Projet Montréal estime que sa proposition permettrait à la Ville d’engranger environ 135 M$, soit 115 M$ de plus que la Loi de l’administration Tremblay. Cet argent pourrait servir à améliorer la qualité des transports en commun et leur accessibilité, quoiqu’il en faille encore plus pour financer tous les projets du Plan de Transport. Projet Montréal voudrait un jour étendre la taxe à toute la région métropolitaine, mais cela nécessiterait l’aval des villes de la banlieue et ne serait donc pas réaliste à court terme. La Ville a mis sur pied une commission pour étudier la question de l’impact sur les commerces. Ces derniers auraient le choix de refiler la facture à leurs clients ou de l’absorber, soit environ 1,12 $ par jour pour la Loi actuelle, contre 0,94 $ par jour pour la proposition de Projet Montréal qui vise ainsi à limiter le choc pour les propriétaires de stationnement. Aussi minime soit-elle, la taxe pourrait suffire pour inciter des commerces à fuir le centre‑ville, si elle ne visait pas les autres arrondissements, selon le docteur Craig Townsend, spécialiste en transport urbain à l’Université Concordia. « L’inquiétude, c’est que si on vise uniquement le centre-ville, certains commerces iront là où les frais sont moins élevés, ce qui pourrait augmenter la tendance vers l’étalement urbain. L’élargissement de l’application de la taxe à l’ensemble de la Ville permettrait d’éviter ce problème. Le fait est que le stationnement, c’est une activité à très petite valeur économique, qui occupe un espace à très grande valeur économique. »
Réduire les déplacements en auto? L’effet serait plutôt nul sur le plan environnemental dans les deux scénarios, ajoute le docteur Townsend. « Une taxe d’un ou deux dollars par jour n’empêcherait pas les gens de conduire, car c’est relativement peu en comparaison avec le coût d’utilisation d’un véhicule, » qui s’élève à 6 500 $/an, selon les plus récentes données de l’Association canadienne des automobilistes. Chose certaine, les centres commerciaux en périphérie se prêtent si mal au transport en commun, et l’offre de service y est si faible, que relativement peu de gens laissent l’auto à la maison pour éviter d’y payer le stationnement. M. McQueen estime pour sa part qu’une taxe étendue permettrait d’améliorer l’accessibilité aux centres commerciaux en périphérie au point où « plus de gens feront le choix des transports en commun. Les entreprises vont alors évaluer leurs vrais besoins en matière de stationnement, et peut-être même qu’elles en remplaceront par quelque chose de plus utile, comme des arbres et des espaces verts. »
Équité commerciale ET sociale M. McQueen évoque la dimension équitable de la proposition de son parti, mais de quelle « équité » s’agit-il? Une taxe étendue créerait un meilleur équilibre entre les commerces du centre-ville et les magasins à grande surface, contribuant ainsi à limiter l’exode vers la périphérie et la banlieue. Cela favoriserait la vitalité du secteur par la densité, un aménagement également plus sain pour l’environnement, car il réduit le besoin de se déplacer, et donc, une meilleure planification urbaine… Quant à l’équité sociale, une augmentation du prix du stationnement pourrait bien entraîner un coût de vie marginalement plus élevé pour les propriétaires d’auto. La taxe étendue de Projet Montréal toucherait toute la ville, y compris les résidents des quartiers les plus pauvres. Elle ne toucherait cependant pas les blocs de moins de cinq places de stationnement, afin d’exonérer les petits commerces et leurs clients. De plus, M. McQueen estime que l’argent perçu grâce à la taxe permettrait d’améliorer l’accessibilité aux quartiers pauvres. Selon le docteur Townsend, si une légère augmentation du coût de la vie devait se traduire par « une amélioration quantifiable de l’offre du transport en commun aux quartiers mal desservis, ce serait une bonne chose. » De Vancouver à Nottingham Taxer le stationnement, ce n’est pas un nouveau concept. La Ville de Vancouver a expérimenté les deux scénarios à l’examen à Montréal. En 2007, elle a dû annuler une loi sur le stationnement non résidentiel dans la grande région de Vancouver à la suite d’un grand nombre de ratés – plusieurs espaces verts et stationnements à vélo adjacents aux stationnements pour véhicules avaient été comptés lors du recensement des espaces à taxer – et une vive opposition populaire. Cela fait longtemps que la Ville de Vancouver applique une taxe de 7 % sur tout stationnement payant de la grande région, mais le mois dernier, l’administration a triplé la taxe au centre-ville. Une coalition formée de plus de 30 groupes, dont la Building Owners and Managers Association et la Chambre de commerce, s’est vite dressée pour dénoncer l’inégalité de la mesure. La campagne qu’elle a menée pour combattre la taxe – affiches, brochures, médias sociaux, site Web sophistiqué et mobilisation des citoyens pour inonder les boîtes vocales des élus – devrait servir d’avertissement à Montréal, qui aurait intérêt à apprendre des erreurs de Vancouver. D’ailleurs, une coalition similaire vient de prendre forme à Montréal. Inversement, la Ville de Nottingham en Angleterre ira bientôt de l’avant avec une nouvelle taxe sur le stationnement, pour réduire l’engorgement et financer une nouvelle ligne de tramway. Les frais de gestion, que l’étude de faisabilité estime à seulement 10 % des montants encaissés, sont si bas, que les villes voisines de Cambridge et Oxford, entre autres, envisagent de s’inspirer de l’exemple de Nottingham. Cette ville ne vise toutefois que les espaces destinés aux employés, tandis que les deux scénarios montréalais visent tous les blocs de stationnement commercial. Malgré cette nuance, on peut dire que les taxes sur le stationnement ont le vent dans les voiles, par rapport aux options de rechange : Nottingham avait étudié la possibilité d’instaurer des péages aux entrées de la ville pour financer les grands projets de transport en commun, une option que Montréal étudie actuellement dans le cadre de ses deux commissions de consultation sur le Plan de transport. Nottingham a finalement préféré la taxe sur le stationnement, car « cette option réduira l’engorgement de façon plus simple et plus équitable et ciblera mieux les voyageurs de la banlieue, que les péages routiers, » a dit le conseiller Jon Collins, en entrevue avec la BBC. Étendre la taxe sur le stationnement constitue donc une option prometteuse que l’administration de Montréal devrait étudier rapidement, avant de se s’engager dans des péages sur les ponts. Cette dernière option nécessiterait l’accord des banlieues, et il est loin d’être acquis. À tout le moins, convenons que, puisqu’il est question de 135 M$, la proposition de Projet Montréal mérite d’être étudiée en bonne et due forme par une commission municipale appuyée d’une ou plusieurs audiences publiques.
Par Ian Ward, Il a décroché un baccalauréat en journalisme et en études environnementales à l’Université Concordia et il détient un certificat de rapporteur du développement durable de la Global Reporting Initiative. Il a également collaboré à une analyse du stationnement au campus, jointe à l’Évaluation du développement durable 2006 de l’Université Concordia. En tant que propriétaire de dur.Agence – sustainable.Agency, il aide les petites et les moyennes entreprises, les ONG et les OSBL à mesurer, à améliorer et à communiquer leurs initiatives en matière de développement durable.
Sources consultées : Peter McQueen : Interview du 26 janvier 2010
Craig Townsend : Interview du 28 janvier 2010
Translink : Parking Sales Tax and Parking Costs Association canadienne des automobilistes : Coût d’utilisation d’une automobile, édition 2009 [en ligne] Croteau, Martin. La Presse, Taxe sur les stationnements : les propriétaires du centre-ville fulminent Cayo, Don. Vancouver Sun : Vancouver Business Chief Launches Attack on Parking Tax |