Par Philippe Desjardins-Proulx
Etudiant et chercheur à la Chaire de recherche du Canada en écologie des écosystèmes continentaux
Mots-clés : biodiversité, espèces, organismes vivants, changement, évolution, spéciation, préservation. La biodiversité : un mélange en perpétuel changement Il est difficile de savoir combien d’espèces nous entourent. Chose certaine, les deux millions d’espèces identifiées ne représentent qu’une mince fraction de la biodiversité sur terre. Selon la biologie moderne, on doit voir cette biodiversité non pas comme un regroupement statique d’organismes, mais comme un mélange en perpétuel changement. De nouvelles espèces s’ajoutent, alors que d’autres disparaissent. Cette dynamique est le fruit de l’évolution. Pour développer des stratégies efficaces de préservation, il est important de bien comprendre l’origine de la biodiversité. La biodiversité résulte de disparitions d’espèces (extinction) et de naissances d’espèces (spéciation). Un brusque changement de l’environnement, un cataclysme naturel, une grave épidémie ou la compétition féroce pour une ressource peuvent causer la chute d’une espèce, et peut-être même son extinction. Les espèces qui disparaissent laissent un vide, une niche écologique, que d’autres espèces s’empresseront d’occuper. La spéciation : la naissance d’espèces Inversement, de nouvelles espèces apparaissent par un phénomène que l’on appelle spéciation. La biodiversité actuelle est donc le résultat de millions d’événements d’extinction et de spéciation qui ont façonné la vie sur terre. Alors que l’on parle souvent d’extinction, la spéciation est un sujet que l’on aborde rarement. La spéciation est un phénomène complexe et un sujet d’études qui fait couler beaucoup d’encre, mais l’essentiel du processus peut se résumer en deux étapes. Dans le cas le plus simple, la première étape est caractérisée par une barrière géographique qui divise la population initiale, limitant ainsi les échanges entre les populations.
L’importance des barrières géographiques fut découverte au XIXe siècle par l’explorateur allemand Moritz Wagner. En étudiant la géographie de l’Afrique du Nord-Ouest, Wagner observe que chaque fois qu’il traverse une des nombreuses rivières de la région, il rencontre de nouvelles espèces de coléoptères sans ailes apparentées à celles qu’il vient de croiser de l’autre côté de la rivière. Wagner émet l’hypothèse que la rivière forme une barrière géographique qui aurait séparé, il y a longtemps, les ancêtres de ces coléoptères. Aussi, plusieurs groupes ont été séparés par l’éloignement de continents dû aux mouvements des plaques tectoniques. C’est le cas des singes du Nouveau Monde qui auraient peuplé l’Amérique du Sud lorsque les continents africains et américains étaient plus rapprochés, il y a environ 40 millions d’années. Ces singes ressemblaient initialement à leurs parents d’Afrique, mais avec le temps ils se sont diversifiés en un groupe riche en caractères distincts.
Le temps est l’élément clé pour franchir la deuxième étape de la spéciation, soit l’isolement reproductif. Sans la première barrière, de constants mélanges entre les populations les empêcheraient de diverger. Les populations de chaque espèce changent dans le temps, principalement propulsées par trois mécanismes primaires : la mutation, la dérive génétique et la sélection naturelle. Lorsque des populations appartenant à une même espèce sont séparées, ces forces évolutives vont les amener à emprunter des parcours évolutifs différents, surtout si ces populations sont soumises à des environnements différents. Tôt ou tard, les deux populations seront tellement différentes que la reproduction entre des individus des deux groupes sera impossible. C’est l’isolement reproductif, et il n’y a plus de retour en arrière. À ce point, aucun mélange entre les deux groupes n’est possible, même si la barrière physique disparait. On a alors affaire à deux espèces distinctes.
La spéciation se résume donc à deux étapes : séparation puis divergence jusqu’à l’isolement reproductif. La notion de spéciation peut paraître abstraite, mais elle influence directement notre façon de percevoir le monde du vivant. La biodiversité peut être représentée par un gigantesque arbre. L’ancêtre commun de toutes les espèces forme la base de l’arbre, et pour chaque événement de spéciation, une branche de l’arbre se divise en deux. Reconstituer cet arbre est une des ambitions majeures de la science moderne, car cette généalogie de la biodiversité nous permet de mieux comprendre les relations entre les espèces et les mécanismes qui ont façonné l’univers qui nous entoure. Une perspective évolutive de la biodiversité influence aussi les stratégies de conservation. Des stratégies ont été développées pour maximiser la préservation de l’héritage évolutif en identifiant les espèces qui possèdent un patrimoine unique, mais aussi les espèces qui offrent un grand potentiel de diversification future. Alors que la destruction d’habitats par l’homme engendre un grand nombre d’extinctions, il est primordial d’établir des stratégies qui permettent de préserver au maximum l’arbre du vivant, et surtout de préserver sa capacité à se renouveler.
Philippe Desjardins-Proulx a un baccalauréat en mathématiques et biologie. Il fait présentement des études graduées à la Chaire de recherche du Canada sur les écosystèmes continentaux et à l’université de l’Illinois. Ses recherches portent sur les modèles théoriques en génétique évolutive et sur la relation entre la spéciation et la biodiversité. |