Par Julie Lemieux
Auteure de Avez-vous peur du nucléaire? (MultiMondes, 2009)
Les dirigeants de la centrale nucléaire Bruce Power ont demandé un permis à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) afin d’obtenir le droit d’acheminer à l’étranger 16 générateurs de vapeur contaminés, des objets qualifiés de ferrailles alors qu’il s’agit en fait de déchets radioactifs.
Bruce Power affirme que les risques potentiels de ce projet sont infimes puisque chaque générateur de la taille d’un autobus contiendrait à peine une once de produits radioactifs. Présenté ainsi, c’est rassurant. Je vous rappelle cependant que ces produits comportent une toxicité sans égale. Il y a plusieurs années, Enrico Fermi (1901-1954), l’inventeur de la première pile à uranium et un des pères de la bombe A, a été invité par le Sénat américain. Les sénateurs s’inquiétaient du danger pour la santé des relâchements de produits radioactifs dans l’atmosphère suite à l’explosion de plusieurs bombes atomiques américaines, des produits cancérigènes et mutagènes qui retomberaient inévitablement au sol un jour. Fermi leur expliqua que tous les produits de fission relâchés jusque là étaient peu abondants et qu’ils tiendraient dans un seau de la taille de ceux qu’on utilise pour laver les planchers. Mais il ajouta ensuite : si on jette une cuillerée à café de son contenu sur New York, cela tuerait instantanément 100 000 à 150 000 personnes. Ça donne une idée du niveau de toxicité auquel on fait face dans ce dossier. Et si on parlait de l’accident de Windscale au Royaume-Uni en 1957? Cet incendie dans un réacteur nucléaire a rejeté dans l’environnement 20 000 curies d’iode radioactif en plus de nombreux autres produits de fission, ce qui est énorme. Eh bien, ce niveau radioactif de 20 000 curies correspond à moins de 2/10 de gramme d’iode-131. Vous avez bien lu : moins de 2/10 de gramme. Et cette quantité a suffi pour provoquer diverses pathologies, tuer des gens et rendre impropre à la consommation le lait et plusieurs autres denrées alimentaires sur un territoire de 500 km2 durant des semaines. Revenons aux 16 générateurs de Bruce Power qu’on s’apprête à faire voyager sur les grands lacs et le fleuve Saint-Laurent, la principale source d’eau potable de millions de personnes. J’ignore quels produits radioactifs ils renferment exactement, mais chacun d’eux en contient une once, ce qui correspond à 28 grammes (140 fois la quantité d’iode-131 relâchée à Windscale). Pire : si on recycle le métal faiblement ou moyennement radioactif en produits d’usage courant, un autre problème, les produits les plus toxiques feront à nouveau le voyage en direction de la centrale de Bruce Power. En fait, ce projet ne considère ni l’environnement ni la santé publique. Il vise plutôt à réduire le volume de déchets radioactifs à traiter au Canada, comme l’a clairement dit Michael Binder, le directeur de la CCSN, aux audiences publiques du 29 septembre. Et cela, même si ça implique de faire voyager des produits hautement dangereux dans la vallée du Saint-Laurent, en plus de permettre la refonte de métaux eux aussi toxiques qui seront ensuite mélangés avec d’autres métaux avant d’être revendus sur le marché mondial, la dilution des produits radioactifs étant une solution déjà pratiquée par l’industrie nucléaire. La CCSN doit refuser cette requête de Bruce Power. Au moment où plusieurs réacteurs canadiens nécessitent des rénovations majeures, le voyage et le recyclage de ces générateurs de vapeur contaminés constitueraient un dangereux précédent. |