Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l.
Mots-clés : climat, émissions de gaz à effet de serre (GES), Western Climate Initiative (WCI), marché du carbone, système d’échange de droits d’émission, Amérique du Nord. La stagnation politique en Amérique du Nord, dans l’optique de la création d’un marché du carbone nord-américain, reflète bien l’état des discussions internationales : incertitudes et négociations difficiles. Les intérêts économiques sont énormes et la compétitivité des industries visées par une future règlementation est au centre des préoccupations. Malgré ce climat politique, les membres du Western Climate Initiative (WCI) continuent leurs travaux en vue de créer le plus imposant marché du carbone à ce jour en Amérique du Nord. Les tenants du WCI ne sont pas à l’abri des remises en question politiques face à un tel marché limitant les émissions de gaz à effet de serre (ci-après « GES »). En effet, certains États actuellement membres du WCI pourraient ne pas être prêts à participer activement au programme lors de l’ouverture du marché en 2012. De plus, des discussions font présentement l’objet de débats dans l’État de la Californie quant à un possible retrait ou moratoire du programme applicable dans cet État. Les membres ont néanmoins présenté cet été l’esquisse finale de l’architecture du marché prévu pour les membres du WCI. Le document s’intitulant « Design for the WCI Regional Program » se veut un document central qui pourra être modifié par les parties prenantes au fur et à mesure du développement du programme. Ce document n’ayant pas une valeur juridique se veut davantage une base consensuelle à l’égard des principaux mécanismes qui doivent être instaurés dans chacun des systèmes d’échange de droits d’émission de chacune des juridictions membres du WCI. En effet, chacune des juridictions devra implanter son propre système d’échange de droits d’émission, avec un langage juridique pouvant être différent, mais une structure similaire, afin que toutes les parties visées ou impliquées dans le marché du carbone, peu importe la juridiction, puissent s’échanger les droits d’émission créés par ces systèmes en toute quiétude, notamment quant à la reconnaissance légale de ces droits à l’extérieur de leur propre juridiction.
Les grandes lignes Le document réitère l’objectif de réduire les émissions de GES de 15 % sous le niveau d’émission des émissions globales des membres calculées en 2005, et ce, d’ici l’année 2020. Rappelons que le Québec s’est donné pour objectif de réduire ses émissions de 20 % sous le niveau d’émission de l’année 1990, et ce, d’ici l’année 2020. La première étape de mise en vigueur du programme (2012-2015) vise les activités industrielles et les producteurs d’électricité qui sont responsables d’au moins vingt-cinq mille (25 000) tonnes métriques de CO2 équivalent (CO2e) émises dans l’atmosphère au cours d’une année. Ces données doivent faire l’objet d’une vérification en bonne et due forme. Une entité visée par les cibles de réduction qui veut être dispensée desdites obligations inhérentes auxdites cibles doit démontrer des émissions vérifiées sous la barre des vingt-cinq mille (25 000) tonnes métriques de CO2e pour trois (3) années consécutives. Aussitôt qu’une telle entité connaît une année au-dessus de cette barre, l’entité redevient visée par la règlementation. La structure générale du design n’est pas en soi révolutionnaire en regard à ce qui existe déjà en termes de structure de systèmes d’échange de droits d’émission : on retrouve des mécanismes visant la déclaration et la vérification des données ; des mécanismes de distribution des droits d’émission ; la possibilité limitée d’utilisation de crédits compensatoires provenant de projets de réduction d’émission de GES ; des systèmes de gestion des droits échangés pour les fins du respect de la règlementation; la possibilité de mise en valeur des actions hâtives (2008-2011), etc. Les gaz règlementés par le système Certains éléments distinctifs sont cependant à noter. Dans un premier temps, le trifluorure d’azote (NF3) est ajouté aux GES faisant partie des gaz règlementés par le système en sus du dioxyde de carbone (CO2), du méthane (CH4), de l’oxyde nitreux (N2O), des hydrofluorocarbones (HFC), des hydrocarbures perfluorés (PFC) et de l’hexafluorure de soufre (SF6). Le NF3 a un potentiel de réchauffement 17 000 fois plus élevés que le CO2. La présence de ce gaz dans l’atmosphère n’a été que récemment confirmée étant donné les avancées techniques. Ce gaz aurait une durée de vie dans l’atmosphère qui dépasserait les 500 années. Ce gaz est utilisé notamment pour la fabrication d’ordinateurs, d’écrans tactiles, de panneaux solaires et de téléviseurs à écran plat. Le design proposé annonce aussi que les entités visées devront utiliser leurs droits d’émission au moins une fois par trois (3) ans pour les fins de conformité. Donc, il est possible que dans certaines juridictions, les périodes de conformité s’échelonnent sur une période de trois (3) ans et non sur une année, comme la plupart des systèmes d’échange de droits d’émission. La rédaction du design ne ferme pas la porte à ce que les juridictions utilisent des périodes de conformité plus courtes. Une période de conformité de trois (3) ans pour les sources polluantes visées octroie une marge de manœuvre intéressante pour ces dernières même si les données relatives aux émissions seront comptabilisées annuellement. Il semble que les droits seront échangeables entre les entités visées par les cibles de réduction mais aussi entre des tiers, notamment, aux fins de spéculation. Toutefois, le WCI innove par la création d’un mécanisme pouvant être précurseur de nouvelles modalités commerciales. En effet, le contexte non universel du WCI à travers le Canada et les États-Unis oblige les membres à se doter d’outils permettant la continuation de la distribution d’énergie entre les États (ou Provinces), membres ou non du WCI, tout en s’assurant que la production de combustible fossile ou d’électricité ne se concentre pas dans les États non visés par une législation contraignante limitant les émissions de GES. D’où la règlementation de l’importation de l’électricité à l’intérieur d’une juridiction membre du WCI. Le marché de l’électricité sous contrôle
Il est important de constater que pour quatre (4) des sept (7) membres américains du WCI, la plus importante source d’émission de GES est le secteur de l’électricité. Aux États-Unis, une grande majorité de l’énergie produite provient de la combustion du charbon. Donc, même si un État ne produit pas nécessairement de l’électricité émettant des émissions de GES de façon importante, il est possible que cet État importe d’un autre État de l’électricité qui a été produite à l’aide de fortes émissions de GES. Il serait alors relativement facile pour un État membre du WCI d’importer de l’électricité d’un État voisin qui n’a pas d’obligation de réduction et, par le fait même, respecter les exigences du WCI, tout en consommant l’électricité qui a été produite en émettant de fortes émissions non comptabilisées. Pour pallier à cette problématique, les membres du WCI ont pris la décision de considérer les émissions provenant de la production d’électricité à l’extérieur d’un État membre, mais consommé par un État membre. Le point de règlementation est alors l’entité qui importe cette électricité à l’intérieur d’une juridiction du WCI où l’électricité est consommée. Une approche alternative est aussi créée dans le cas où la source initiale ne peut être clairement identifiée. Des modalités à venir Des modalités plus précises seront élaborées dans la législation à venir pour les différentes juridictions. Nous devons saisir que le marché de l’électricité est souvent régi par des contrats à termes (forward market) établissant la distribution physique de l’électricité transigée dans un délai futur et par l’entremise de négociations anonymes où la provenance de l’électricité achetée n’est souvent divulguée que lors de la distribution physique de celle-ci. Les États membres ont donc établi des mécanismes facilitant cette gestion des importations d’électricité. La personne ou l’entité qui aura un titre de propriété au moment de la transmission de l’électricité d’un État non membre du WCI vers un État membre du WCI, aura alors la responsabilité d’évaluer l’ensemble de ses transactions annuelles visant l’État membre du WCI. Si cette personne ou entité importe de l’électricité qui, lors de sa consommation, atteint au cours d’une année la barre des vingt-cinq mille (25 000) tonnes métriques de CO2e dans ladite juridiction membre, cette personne ou entité sera visée par les obligations de réduction. Il est à noter que la structure proposée avance aussi la possibilité aux juridictions du WCI de pouvoir distribuer des droits d’émission (parmi les droits d’émission établis par le budget de droits d’émission de cette juridiction) aux entités exportant à l’extérieur de leur juridiction de l’électricité produite à l’aide d’énergie renouvelable, tel que l’hydroélectricité. Il semble donc que les États membres du WCI reconnaissent implicitement l’hydroélectricité comme étant une énergie renouvelable. Les combustibles fossiles contrôlés lors de la distribution en 2015 Il est à noter qu’à compter de janvier 2015 seront aussi visés les distributeurs de combustibles tels le gaz naturel, le gaz propane ou tout autre combustible fossile vendu ou importé pour consommation à l’intérieur des juridictions visées si, lors de la combustion, ces combustibles distribués par une entité émettent au moins vingt-cinq mille (25 000) tonnes métriques de CO2e lors d’une même année. Cette situation vise pratiquement les mêmes sources d’émission que vise actuellement la taxe sur le carbone au Québec, par l’entremise de la Loi sur la Régie de l’énergie. Encore une fois, le système proposé vise à réguler la consommation ou l’utilisation de combustibles à l’intérieur des juridictions du WCI, et ce, même si le produit consommé provient d’une juridiction qui n’est pas visée par des objectifs contraignants de réduction d’émissions de GES. Conclusion On remarque donc que le système proposé par le WCI aura un impact direct sur les importations et exportations régionales d’électricité ou de combustibles aux États-Unis et au Canada, et ce, même si certains états et/ou provinces ne sont pas dûment participantes au système d’échange de droits d’émission, tel que proposé actuellement. Cet état de fait rend le système proposé du WCI des plus intéressants en ce qu’il aura des effets importants partout en Amérique du Nord, même si l’application directe du système ne s’effectuera que par l’entremise des États membres du système. Dans un contexte plus global, la question de barrières au commerce est souvent soulevée lorsqu’il est question de l’implantation d’un système d’échange nord-américain en regard à l’importation de produits provenant de pays qui ne limitent pas les émissions de GES. Peut-être avons-nous avec le WCI une éclosion normative qui pourrait se transposer dans certains domaines du commerce international.
Par Me Alain Brophy, LL.M.
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l. Me Alain Brophy est membre du Barreau du Québec depuis 2002 et pratique au sein de l’étude Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert et associés, s.e.n.c.r.l. principalement en droit civil, commercial et transactionnel. Détenteur d’une maîtrise en droit, ses travaux académiques et publications ont surtout été orientés sur les systèmes d’échange de droits d’émission dans le cadre de régulation environnementale.
Pour plus de détails, du même auteur :
« Le Système canadien de crédits compensatoires et le Mécanisme pour un Développement Propre du Protocole de Kyoto », dans les Développements récents en droit de l’environnement 2009, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2009
L’efficacité des systèmes d’échange de droits d’émission – Des enjeux juridiques, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2007
« The Canadian Regulatory Framework for Carbon Trading : Sailing Away from Consensus while waiting for the U.S. Federal Scheme », dans Carbon & Climate Law Review, 2/2008, Lexxion, 2008.
« ALÉNA, ANACDE et Environnement : 10 ans plus tard », dans les Développements Récents en droit de l’environnement 2006 (Barreau du Québec), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2006. |