Lettre ouverte – Le droit des motoneiges passe avant celui des propriétaires

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Par Michel Bélanger, avocat, président de Nature Québec et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement
et
Jean-François Girard, avocat et biologiste, président du Centre québécois du droit de l’environnement


Nous devons encore une fois déplorer le manque de considération que le gouvernement du Québec manifeste à l’égard du droit de propriété des citoyens québécois, après le privilège énorme accordé à l’industrie minière, il fait primer le droit des motoneigistes sur celui des propriétaires riverains de ces autoroutes hivernales…

D’une mesure présentée comme «temporaire» pour nous la faire avaler en 2004, le gouvernement vient de prolonger l’immunité de poursuite des motoneigistes qui empruntent des sentiers à proximité d’habitation leur causant des nuisances anormales jusqu’à 2017 soit pour au moins 13 ans… À l’époque, cette mesure «temporaire» devait permettre de trouver des pistes alternatives pour éviter d’imposer des nuisances que la Cour supérieure avaient jugé anormales.

Le gouvernement, sans motiver aucunement, ce qui explique qu’on ne se soit pas encore entendu pour déplacer les pistes de motoneiges conflictuelles, s’accommode plutôt facilement de la suspension du droit de ses citoyens au bénéfice des prétendues retombées économiques de ce type d’activité. Or, pourquoi ne pas suspendre le droit de tous les citoyens québécois au nom du développement économique de tout genre… Et les ministres Normandeau et Arcand se plaisent à dire qu’il s’agit de « développement durable »…

Le maintien de cette exception, par laquelle le gouvernement du Québec suspend des droits civils, est d’autant plus étonnant que, depuis l’adoption de cette mesure en 2004, la Cour suprême du Canada a justement confirmé la portée du droit des citoyens de ne pas avoir à supporter des nuisances anormales. La Cour suprême concluait même, dans cet arrêt,: «En dernier lieu, il importe de constater que la reconnaissance d’une responsabilité sans faute favorise des objectifs de protection de l’environnement (et) renforce aussi l’application du principe du pollueur-payeur».

Le projet de loi prévoit notamment que la circulation des véhicules hors route sera «interdite à moins de 100 mètres d’une habitation dans les nouveaux sentiers aménagés après le 31 décembre 2011» confirmant du coup le maintien des anciens sentiers dans une proximité reconnue inacceptable par les tribunaux, notamment dans l’affaire du Petit train du Nord.

Même si nous convenons que la procédure de médiation prévue par le ministre des Transports pour tenter de trouver des solutions aux situations plus problématiques est une voie intéressante de résolution des conflits, nous croyons qu’elle ne devrait pas justifier la suspension du droit des citoyens. Dans la situation actuelle, les auteurs des nuisances auront beau jeu de refuser tout compromis même dans le cadre de cette médiation. C’est d’ailleurs cette négation du droit des uns qui fait que même après 13 ans nous n’aurons toujours pas trouvé de pistes alternatives pour exercer cette activité malgré le vaste territoire du Québec…

Le droit de propriété a été traditionnellement reconnu comme l’un des droits les plus fondamentaux dans notre système juridique. On ne peut être contraint de céder ce droit, comme le rappelle l’article 952 du Code civil, que par voie d’expropriation «pour une cause d’utilité publique» et ce, moyennant juste et préalable indemnité.

Le gouvernement semble avoir une vision de l’utilité publique qui se rapproche dangereusement de l’intérêt économique de certains groupes d’individus, contrairement aux valeurs et principes juridiques reconnus jusqu’à ce jour. Si cette apparente expropriation, sans motif public légitime, ne se fait pas, de surcroît, sans juste et préalable indemnité, le prix à payer devra-t-il en être un politique?

 

 

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