Par Marie-France Doucet,
Écocitoyenne et étudiante en sciences de l'environnement
Mots-clés : Gentilly-2, Commission canadienne de sûreté nucléaire, audiences publiques, démantèlement
Mémoire écrit sans présentation orale présenté à la Commission canadienne de sûreté nucléaire dans le cadre du jour 2 des audiences publiques du dossier Hydro-Québec – Demande visant à renouveler et fusionner ses permis d’exploitation pour la centrale nucléaire de Gentilly-2 et son installation de gestion des déchets radioactifs solides situés à Bécancour (Québec), les 13 et 14 avril 2011.
Introduction Écocitoyenne depuis longtemps avant que le mot lui-même n’existe et étudiante en sciences de l’environnement, je dépose aujourd’hui, en toute simplicité, ma vision du projet de renouveler et de fusionner les permis d’exploitation de la centrale nucléaire Gentilly-2 et de son installation de gestion des déchets radioactifs solides situés à Bécancour. Spécialiste en devenir au moment où la majorité des personnes de mon âge rêvent de retraite, ma vie a été orientée et inspirée par l’amour et le respect de la nature. L’état d’alerte environnementale actuel m’incite à en savoir davantage pour ajouter une voix, pour faire un peu plus, pour mieux agir en connaissance de cause. Trois volets retiennent mon attention : les hydrocarbures, le nucléaire et la protection des éléments vitaux (eau, air, sol et forêts). La demande d’Hydro-Québec m’interpelle donc à tous ces niveaux. Bien que plusieurs ouvrages de tout acabit aient été consultés à travers le temps et pour la rédaction du présent mémoire, aucun ne sera mentionné. Aucune étude ne sera citée, puisque les données qu’elles contiennent, bien que valables, se contredisent ou s’opposent dépendamment de l’idéologie qui nourrit les auteurs. Le match est donc nul. Aucun chiffre ne viendra étoffer mes propos, pour les mêmes raisons, mais aussi et surtout parce que l’utilisation ou la non-utilisation du nucléaire comme source d’énergie n’est pas une question de chiffres, d’argent, de connaissance ou de prix, mais une question de valeur. Un seul document est mis en annexe [i] parce qu’il met en évidence le choix de société qui s’offre à nous. Comme il est possible de faire dire n’importe quoi aux chiffres, je m’en tiendrai donc aux constats. En fait, c’est la nature elle-même qui est en mesure de révéler le véritable état des lieux, au-delà de tous les mots et de tous les maux.
Considérant le risque nucléaire… Ce qui caractérise l’énergie nucléaire, plus que sa force elle-même, c’est la gravité. Tout est à risque dans cette énergie fabriquée, qui coûte très cher pour ce qu’elle produit d’énergie, qui coûte trop cher pour ce qu’elle produit de problèmes. En amont et en aval; avant, pendant et après; tout partout. Rien n’est sans conséquences, même pas les plans. Le risque zéro n’existe pas et la sûreté à cent pour cent non plus. Lorsque se perd le contrôle, c’est la catastrophe. Les accidents survenus dans les centrales le prouvent : le nucléaire n’est pas seulement dangereux, il est dangereux tout le temps et longtemps. Aucun pays n’est à l’abri d’un soubresaut de la nature. Aucun. Et aucune centrale nucléaire n’est à l’abri d’une défectuosité, d’une erreur, d’un accident, d’un attentat. Aucune. Les multiples protections nécessaires pour éviter fuites et contamination classent d’ores et déjà le nucléaire dans une catégorie à part. Dans tout ce que l’Humain a conçu, rien n’atteint un tel degré de dangerosité. Est-il vraiment nécessaire d’ajouter des risques de cette envergure à ceux qui existent déjà? Si nous prenons l’exemple du Japon, pays bâti à même les tremblements de terre et de mer, dont les génies ont réussi à construire des édifices capables de danser au rythme des séismes, comment expliquer que les centrales nucléaires aient été installées aux premières loges des raz-de-marée? Même pour le commun des mortels, l’évidence s’impose qu’une telle décision n’aurait jamais dû se prendre. La double catastrophe du Japon était prévisible, inévitable même quand on est assis à la convergence de plusieurs plaques tectoniques. Mais le nucléaire, plus dangereux encore, est venu tripler le désastre, faisant presque oublier les victimes du tsunami. Si le monde entier avait le regard tourné vers le Japon, maintenant il partagera les conséquences d’une catastrophe annoncée et, malheureusement, non évitée, conséquences dont il est impossible pour le moment de mesurer l’ampleur. Avons-nous vraiment besoin du nucléaire ici au Québec?
Considérant le chalenge scientifique… Le nucléaire détient deux grandes propriétés : il offre un chalenge scientifique de très haut calibre et une promesse généreuse de trouver une source d’énergie inépuisable pour répondre aux besoins de l’humanité. Malgré ces ambitions prometteuses, dans la balance, les avantages n’équilibrent pas les inconvénients. En cas de défectuosité, c’est la vie elle-même qui est menacée, dans tous ses écosystèmes. Il ne s’agit pas pour autant de cesser la recherche, mais le nucléaire doit y rester confiner jusqu’à ce qu’il atteigne ses prétentions, à petite échelle. À ce moment-là, et à ce moment-là seulement, il pourrait prendre de l’expansion s’il est en mesure de répondre aux impératifs de protection. Le feu vaut-il vraiment la chandelle en termes de risques encourus chez les être vivants? L’ingéniosité des scientifiques est impressionnante. Le fonctionnement d’une centrale nucléaire est un véritable exploit intellectuel, technique et technologique qui n’a d’égale grandeur que son principal atout direct : une production d’énergie sans ou à faible émission de gaz à effet de serre. Encore faut-il tout considérer : les GES générés lors de la construction, de l’entretien, du démantèlement, de l’enfouissement des déchets, du transport de l’énergie et de tout ce qu’elle mobilise juste pour assurer sa sûreté et sa sécurité, de l’exploitation des mines d’uranium et de tout ce qui s’y rattache. Lorsqu’on regarde la dévastation qui suit un accident nucléaire, force est de constater que les sources d’énergies renouvelables ne peuvent causer autant de destruction. La nature elle-même, lorsqu’elle explose, remet en place les cellules de sa propre régénération. Aucun cataclysme naturel ne détruit définitivement la vie. Cette capacité intrinsèque est si forte que, laissée à elle-même, la nature réparera n’importe quel méfait de l’Humain. Elle a tout son temps et elle prendra le temps. Mais nous, les Humains, on n’a pas le temps. On est pressé, on ne veut pas attendre, on veut tout tout de suite, vite toujours plus vite. Toujours plus d’énergie pour répondre à nos besoins illimités et insatiables. Toujours plus… la capacité de régénération de la nature n’arrive plus à suivre notre rythme effréné. Nous sommes dénaturés. Et plutôt que de nous adapter aux contraintes du temps, nous exigeons davantage. Plus, toujours plus, voilà où mènent nos exigences incontrôlées : elles produisent l’incontrôlable! Pourquoi l’intelligence humaine n’utilise-t-elle pas ses talents, ses connaissances, son imagination pour développer des sources alternatives d’énergie moins dangereuses que le nucléaire et renouvelables? Pourquoi les bailleurs de fonds ne s’intéressent-ils pas davantage au développement de ces ressources durables? Le vent, le soleil, la géothermie, l’énergie marémotrice, les biogaz issus des déchets que nous produisons en quantité industrielle et qui pourraient servir de combustible et éviter qu’on croule sous nos détritus. Pourquoi faut-il absolument vivre avec l’épée de Damoclès Nucléaire au-dessus de la tête? Quel est ce désir de défier constamment la nature au lieu de travailler avec elle? Quel est ce plaisir malin de mettre la vie en péril? Au nom de qui et à titre de quoi? On n’arrête pas le progrès, paraît-il. Le moment est peut-être venu de redéfinir ce mot, car pendant que les cerveaux s’acharnent sur le nucléaire, ils ne travaillent pas à développer les autres sources d’énergies renouvelables. C’est du gaspillage de potentiel, à tous les niveaux.
Considérant la toxicité des déchets nucléaires… Bien sûr, l’expectative du nucléaire est alléchante, lorsqu’on pourra disposer des déchets de façon sécuritaire ou, mieux encore, que la fusion parfaite sera devenue réalité, laquelle théoriquement ne crée aucun déchet. Le défi se comprend, est légitime et de taille. Sauf que l’enjeu est démesuré, pour le moment. Le nucléaire n’aurait jamais dû prendre l’expansion qu’il connaît aujourd’hui et ce, tant et aussi longtemps que subsiste le problème des déchets. À lui seul, le dilemme relié à la disposition sécuritaire des résidus radioactifs est suffisant pour arrêter toute production et justifier le démantèlement de Gentilly‑2. Nous hypothéquons l’avenir des générations pour des centaines, voire des milliers d’années, car nous ignorons les véritables conséquences à court et à long terme de la radioactivité sur les espèces vivantes et ce, malgré tout ce qu’on en dit. On a pelleté la résolution de cette complication par en avant. Maintenant, les prétentions ont été rattrapées et nous devons faire face. On aura beau enfouir les déchets n’importe où, dans le Bouclier canadien, sur la Lune, Mars ou ailleurs, il n’en demeure pas moins que nous léguons des résidus toxiques à nos descendants. Ne méritent-ils pas plutôt d’hériter d’une planète saine où il fait bon vivre?
Considérant les matières premières… Qui dit nucléaire dit une panoplie de substances radioactives. Au Québec, en particulier, aucune raison ne peut motiver l’exploitation d’une centrale nucléaire – et encore moins l’exploration et l’exploitation de minerais radioactifs tels que l’uranium. Ces matières, fossiles, exigent une multitude de précautions. Tant qu’à faire dans la précaution, pourquoi ne pas privilégier LA précaution ultime : dire non au nucléaire?
Considérant les dégâts environnementaux… Pour planter ses réalisations, l’Humain transforme et détruit les habitats naturels. Il anéantit la végétation pour ériger des forêts de béton. Il asservit les sols qui deviennent stériles et doivent être « assaisonnés » d’ingrédients chimiques pour produire quoi que ce soit. Il (é)puise l’eau sans vergogne. Il souille les océans et l’air. Malgré tout, la vie dans la nature se débat pour « digérer » nos trop-pleins et essayer de remettre en condition les éléments dont nous avons essentiellement besoin pour vivre. Tout est dévasté sur un site de centrale nucléaire, même pas besoin d’incident pour ce faire. Pas de vie sauf l’espèce humaine. Pas de verdure pour filtrer. Que du béton, de l’air, des sols et de l’eau à risque et ce, sur des kilomètres à la ronde. Et même au-delà, les populations périphériques vivent dans l’éventualité d’une possible catastrophe « imprévue ». L’Humain n’est pas génétiquement conçu pour vivre ainsi.
Considérant les pour et les contre… Les personnes qui chantent les bienfaits du nucléaire sont principalement celles dont le regard se fixe sur l’aspect financier de la médaille industrielle : les politiciens, certains scientifiques et les investisseurs. Les autres, pour la majorité, sont contre ou se résignent en silence. La majorité silencieuse…
Considérant le manque de transparence… D’ailleurs, en consultant les mémoires déposés dans le cadre des présentes audiences, nous avons appris que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec avait accordé une concession gazière pour l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire de la centrale Gentilly-2 et les environs. Rien de moins!! Heureusement qu’un « moratoire » vient d’être appliqué. Heureusement que les citoyens se sont tenus debout et ont fait valoir leurs appréhensions dans le dossier des gaz de schiste et … heureusement qu’ils se tiennent encore debout dans le dossier du nucléaire! Petit détail intéressant : Gentilly-2 se trouve dans l’axe est-ouest d’une zone sismique où des tremblements de terre de magnitude 5 et plus ont déjà été enregistrés. La carte des activités sismiques près des centrales nucléaires majeures du Canada présentée sur le site de la Commission canadienne de sûreté nucléaire n’est d’ailleurs pas à jour en ce qui concerne le Québec. Je demeure moi-même dans la zone sismique la plus active de l’Est du Canada, celle de Charlevoix-Kamouraska, et pour n’en préciser qu’un, le tremblement de terre du 6 mars 2005 n’apparaît pas. Il avait pourtant été ressenti jusqu’à Boston, au Nouveau-Brunswick et dans la Vallée de la Matapédia en Gaspésie. La secousse a été suffisamment forte pour réveiller les gens encore endormis dans le petit matin… à quatre heures de route de l’épicentre (environ 300 km).
Considérant l’état de santé du monde… Le nombre de centrales nucléaires est en hausse dans le monde. Le nombre de cancers aussi, pour ne nommer que ce type de maladie. Et l’on ose se demander pourquoi!! Plus les éléments vitaux (eau, air, sol et forêts) sont contaminés et ne peuvent remplir pleinement leurs rôles, plus la santé des organismes vivants décline. La radioactivité issue du nucléaire fait partie des contaminants qui empoisonnent la vie. Maintenant, il n’est plus nécessaire d’avoir un réacteur nucléaire pour obtenir des isotopes radioactifs utilisés dans le traitement de plusieurs maladies. Cette production aurait été la seule véritable raison de maintenir un réacteur en opération. Elle ne tient plus la route.
Constat… Les Humains n’ont pas été « conçus » pour vivre masqués afin de se protéger des radiations, sinon la nature les aurait dotés d’un appendice nasal autrement perfectionné, d’une membrane cutanée plus résistante. Les Humains n’ont pas été « conçus » pour vivre dans la souillure de l’eau, de l’air et des sols contaminés, des forêts dévastées, sinon l’évolution aurait retardé leur apparition sur la planète il y a environ cinq millions d’années. Les Humains sont des animaux « évolués » « conçus » pour vivre en harmonie avec la nature, à l’instar de toutes les autres espèces vivantes. Si les éléments vitaux sont mis en péril au profit du développement, c’est que les Humains n’ont pas pris les bonnes décisions et qu’ils doivent absolument modifier leurs priorités, leurs façons de vivre et mettre leur intelligence au service du mieux-être de l’humanité, et non au service du pouvoir, du profit et du nombrilisme. Lorsque la nature est laissée à elle-même, elle régénère ses écosystèmes, elle ne les détruit pas. La vie foisonne, c’est l’équilibre dans l’abondance. Elle s’autorégule. Lorsque l’on regarde ce qui reste de la nature après certains passages de l’Humain, c’est la destruction, la désertification, le déséquilibre, la mort, l’enfer comme dirait l’autre. Après une catastrophe naturelle, la vie rejaillit, peu importe la catastrophe. Après une catastrophe nucléaire, c’est la déchéance. Bien sûr, la nature finit par reprendre ses droits, mais à quel prix?
… Par conséquent Le seul avenir valable à mes yeux en ce qui concerne la centrale Gentilly-2, c’est le démantèlement. Cessons de pelleter nos problèmes par en avant aux générations futures. Arrêtons de produire des déchets toxiques et de contaminer le présent et l’avenir. Nous disposons d’une panoplie de ressources renouvelables moins dangereuses pour produire de l’énergie. Avec les ressources financières qu’exige l’exploitation d’une seule centrale nucléaire, il serait possible de développer des sources d’énergies alternatives et renouvelables beaucoup moins nocives et plus respectueuses de l’environnement et des êtres vivants. Le démantèlement de Gentilly-2 donne l’occasion de rediriger les priorités environnementales du Québec vers ce type de développement. Les accidents de Tchernobyl (niveau de gravité 7 sur l’échelle INES), de Three Mile Island (niveau de gravité 5) et maintenant celui de Fukushima (pour le moment, classé niveau 6 sur l’échelle INES) sont autant de preuves que l’ingénierie nucléaire n’est pas au point. Quantité d’autres incidents et accidents nucléaires sont survenus et surviennent régulièrement. Même si nous le souhaitons tous, il est utopique de penser qu’il ne surviendra pas d’autres désastres. Alors, si nous voulons vraiment bâtir une planète plus intelligente, comme le prône une certaine compagnie, il faudrait d’abord faire les bons choix, c’est-à-dire ceux qui permettent de respecter et de protéger l’essentiel, les éléments vitaux que sont l’eau, l’air, les sols et les forêts. Faut-il rappeler que le haut de la chaîne alimentaire est occupé par une espèce qui est en train de tout détruire (une première dans l’Histoire), y compris elle-même, et que cette espèce, c’est l’Humain? Si les technologies étaient si salvatrices qu’elles prétendent l’être dans le futur pour régler les problèmes actuels, elles auraient déjà prévenu et réglé ces dits problèmes. Le futur ne sera pas meilleur que le présent, il sera seulement différent. Échec et mat!
Solutions… Si nous déployons autant de temps, d’énergie, de compétences, de ressources financières et scientifiques pour développer les filières d’énergies renouvelables, nous pourrons implanter des systèmes de production d’énergies complémentaires, beaucoup plus en harmonie avec la nature, qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde, dont les conséquences comportent beaucoup moins de risques que le nucléaire. Plusieurs entreprises planchent sur des solutions innovatrices et respectueuses de l’environnement. Il faut les soutenir et les aider à se développer. Elles sauront remplacer le nucléaire. Plusieurs organismes préconisent des alternatives accessibles et applicables maintenant. Il faut les écouter et leur permettre d’agir auprès des populations. Si les écosystèmes de la planète n’étaient pas altérés par l’utilisation du nucléaire – et des énergies fossiles –, j’accepterais les risques liés à cette exploitation. Comme ce n’est pas le cas, que les éléments vitaux sont de plus en plus mis en péril, je considère qu’il faut revenir aux valeurs fondamentales de la vie. La véritable question qui se pose envers la centrale nucléaire Gentilly-2 n’est pas de savoir si elle respecte les normes de sûreté et de sécurité ou si elle doit être rénovée. Le véritable enjeu est de décider si nous voulons poursuivre dans la voie du nucléaire pour subvenir aux besoins énergétiques du Québec. Avons-nous vraiment besoin du nucléaire au Québec, avec tout ce qu’il comporte de risque? Non. À nous de choisir, maintenant, pour l’avenir du Monde. Je demeure profondément convaincue que si nous sommes capables du pire, nous sommes aussi capables du meilleur.
« Le nucléaire est une énergie de l’avenir qui appartient au passé. »
« La science peut mener à la découverte de l’énergie atomique, mais elle ne peut pas nous préserver d’une catastrophe nucléaire. »
« Si les Égyptiens avaient stocké du nucléaire, qui aujourd’hui s’en occuperait? »
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