Un développement durable mal conçu

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Par Jonathan Jubinville
L'Encyclopédie de L'Agora


Mots-clés : Développement durable,
 

Il m'arrive souvent de chercher d'autres mots pour désigner ce que je conçois comme étant le développement durable (DD). Ce n'est pas tant que je considère ma conception bien éloignée des principes fondamentaux du DD tels que présentés dans les livres fondateurs que sont le Rapport Brundtland ou Halte à la croissance, titre français de la « première étude importante soulignant les dangers écologiques de la croissance économique et démographique que connaît alors le monde » [1]. Cela tient plutôt à la conception populaire du développement durable qui, elle, s'en est éloignée. Ce n'est pas tant l'utilisation des mots que je remets en cause, que les métaphores qui y sont associées et que l'on perpétue.

À une époque où il importe d'intégrer les principes du développement durable à la culture générale, l'éducation de la population devient essentielle. C'est par l'éducation que les citoyens deviendront conscients de l'impact de leurs choix quotidiens comme consommateurs, membres d'une société et, plus fondamentalement, êtres humains. Toutefois, quand on illustre le développement durable par des éoliennes, des bacs de récupération et des voitures électriques durant deux décennies, difficile de concevoir autre chose qu'un ensemble d'initiatives à saveur environnementale quand il en est question. Je ne suis donc plus étonné lorsque je me présente comme consultant en DD qu'on fasse spontanément allusion à la protection de l'environnement. Ce problème conceptuel ne m'interpellerait probablement pas autant si le développement durable ne nécessitait pas une profonde remise en question de notre fonctionnement en société et si l'urgence d'agir était moins importante.

 

Une société atteinte d'alexithymie

Vous connaissez l'alexithymie? C'est ni plus ni moins que le mal du siècle. Dans un article consacré à ce dysfonctionnement publié dans L'Encyclopédie de l'Agora, Jacques Dufresne rappelle les quatre principales manifestations alexithymiques [2] :

0. L'incapacité à exprimer verbalement les émotions ou les sentiments
1. La limitation de la vie imaginaire
2. La tendance à recourir à l'action pour éviter et résoudre les conflits
3. La description détaillée des faits, des événements, des symptômes physiques

 

Le système économique tel que nous le connaissons nous conduit, comme individu ou comme société, à « jouer le jeu » sans trop faire de vagues. En respectant l'ordre établi, on arrive assez bien à gagner un salaire acceptable, encouragés par cette mesure du succès que constitue l'expression de la richesse par des possessions matérielles. Puisque le travail occupe la majorité de notre vie active (avec le sommeil) et que l'économie demeure orientée sur l'exécution de tâches et l'atteinte de résultats, les idées, les échanges, la stimulation des sens et l'imagination en général s'en trouvent sous-valorisés, sinon valorisés de façon hypocrite. Ce mal social est tellement ancré dans notre quotidien et répandu dans la culture occidentale qu'il est à peine visible, ou encore est-il suffisamment déstabilisant pour que nos mécanismes de défense le refoulent dans notre inconscient. Ce mal est pourtant observable jusque dans nos universités, ces hauts lieux de la connaissance qui devraient justement favoriser l'émergence de la pensée critique. Or, ces institutions favorisent plutôt des enseignements dits « professionnalisants ». On s'en remet à des études de marché lorsque vient le temps de développer de nouveaux programmes ou de modifier les programmes existants. S'immisçant au sein de systèmes auparavant distincts de la sphère comptable, le calcul économique prive nos sociétés, chaque jour davantage, de créativité; il réduit notre imagination à une légèreté maladive et laisse les tumeurs proliférer. Nous en arrivons à accepter l'inacceptable, à laisser l'impuissance nous envahir et à côtoyer chaque jour, en s'efforçant de l'ignorer, la souffrance, la misère et la pauvreté.

 

Une occasion à saisir

Devant ce constat, il incombe d'enseigner le développement durable autrement, en y intégrant une conception plus systémique. D'abord, la prise de conscience que le concept de développement durable émerge des problèmes liés au système économique que nous continuons d'entretenir m'apparaît fondamentale. La nouvelle tendance vers l'intégration générale du DD au sein de l'enseignement supérieur est une formidable occasion de porter un nouvel éclairage sur ce concept.

Si les principes scientifiques nous permettant d'atteindre une société durable sont déjà suffisamment développés pour être intégrés à nos prises de décision, c'est au niveau conceptuel qu'il m'apparaît important d'apporter un changement. Oui, la science nous permet de comprendre la nécessité d'agir, mais elle reste muette sur ce qui peut nous motiver à participer au changement. Comment pouvons-nous parler de DD autrement que par le discours pessimiste sur l'évitement de la catastrophe? Si on considère que notre société est un super-organisme vivant, le développement durable ne devrait-il pas plutôt viser son meilleur accomplissement?

Un sérieux examen de conscience s'impose pour identifier les maux qui nous empêchent d'évoluer vers cet accomplissement collectif. Il importe aussi de valoriser plus que jamais l'imagination et la créativité, qui pourront agir à la fois comme remèdes et antidotes naturels pour nous éviter de recréer des patterns destructeurs. De cette façon, nous pourrons espérer atteindre le confort humain et social, plutôt que strictement matériel, et acquérir la connaissance de soi (individuelle et collective) essentielle à l'atteinte du bonheur.

 

Notes de bas de page

1. Wikipédia
2. L'Encyclopédie de L'agora: http://agora.qc.ca/dossiers/Alexithymie

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