Dans la forêt de la Chiquitania, en Bolivie orientale, l'amande pourrait être une voie « délicieuse et croquante » vers le développement durable.
À la tombée de la nuit, un concert de bruits secs et de craquements remplit l'air de Palmarito de la Frontera, un petit village des basses terres de la Bolivie orientale à deux heures de route du village le plus rapproché, sur un sentier cahoteux et poussiéreux. La conductrice est Augustina Aporte, une femme d'âge moyen, mère de trois filles.
Chaque soir, Augustina et d'autres membres de l'Association des femmes du village se rassemblent dans une hutte de bois et de paille qui leur sert d'atelier, et ensemble elles cassent des amandes.
Photo de Miguel Hortiguela – Tous droits résérvés |
« C'est difficile car nous ne pouvons casser qu’une seule amande à la fois. Un sac de cinq kilos d'amandes demande une journée complète de travail », dit-elle. La tâche est pénible, mais Augustina n'a pas hésité à s'engager dans le projet lorsqu'elle a été approchée par la Fondation pour la protection de la forêt de la Chiquitania (the Fundación del Bosque Chiquitano ou FCBC), une ONG bolivienne dont le mandat consiste à préserver la forêt tropicale et la savane exceptionnelles de la Chiquitania.
Le travail dans la Chiquitania fait partie d'un partenariat unique entre la FCBC, Cuso International et le Réseau international de Forêts Modèles (RIFM) pour créer de nouvelles opportunités économiques durables pour les communautés dans les forêts d'Amérique latine et ailleurs.« J'attendais depuis longtemps qu'une occasion comme celle-ci se présente, j'ai toujours essayé de vendre différents produits, mais je ne savais pas quels produits au juste, ni comment m'y prendre. », dit-elle.
Une solution de rechange délicieuse
Augustina et son association font partie d'un groupe de 40 communautés de la région qui se sont engagées dans le projet de la FCBC pour commercialiser les amandes sauvages de la Chiquitania. Après un début timide, le projet prend de l'ampleur et on a enregistré en 2011 une production record de cinq tonnes d'amandes traitées, une réussite due en partie à l'établissement, par la FCBC, de nouveaux centres de collecte directement dans les communautés.
« Les dépôts permettent à n'importe quel résidant du village de cueillir des amandes dans les champs voisins et de vendre sa récolte, même s'il s'agit d'une petite quantité. De cette façon, tous peuvent participer à la cueillette et gagner quelques bolivianos [la monnaie de la Bolivie], », souligne Augustina.
En Bolivie orientale, l’élevage du bétail et l'agriculture extensive détruisent rapidement l'écosystème amazonien exceptionnel. Longtemps négligé, l'amandier local pourrait jouer un rôle important dans une stratégie efficace contre la déforestation. Le fait de donner à l'amande une valeur commerciale offre aux communautés locales la possibilité d'utiliser leur environnement de façon plus viable.
Photo de Miguel Hortiguela – Tous droits résérvés |
La FCBC travaille sur ce projet depuis 2004. « On veut permettre aux communautés d'améliorer leurs moyens de subsistance en utilisant les ressources locales de façon viable », explique Diego Javier Coimbra Molina, coordonnateur général du projet de la FCBC. « Nous avons d'abord dû identifier quels produits non ligneux de la forêt de la Chiquitania seraient le plus attrayants pour les communautés locales et avaient un potentiel commercial réel », ajoute-t-il. En plus de l’amande, la FCBC apporte également un appui aux communautés pour la mise en marché d’une série de produits de la forêt..
Tout au long de ce projet, la FCBC a reçu l'appui de l'ingénieur forestier de Québec Ulysse Rémillard. Ce dernier travaille pour l'organisation en tant que coopérant‑volontaire de Cuso International depuis novembre 2004, et sur ce projet précis depuis octobre 2009. Durant ce temps, il a participé à la conception de plans de gestion forestière et défini des méthodes de production permettant l'exploitation de ces produits naturels par les communautés locales. « C'est très motivant de montrer aux gens ce qu'ils peuvent faire avec leurs propres ressources », dit-il.
Le jeune Canadien passe sa vie entre le Bureau de la FCBC de Santa Cruz – la capitale du département – et de nombreuses visites sur le terrain dans la Chiquitania. « Nos modestes projets évoluent petit à petit et donnent des résultats; j'ai le sentiment que mon travail a vraiment le pouvoir de changer les choses ». Il ajoute que la FCBC collabore surtout avec des femmes qui souvent ont peu de chances de s'engager dans des activités rentables dans les communautés traditionnellement patriarcales de la Chiquitania.
Robillard admet cependant que le projet d'amandes est toujours au stade embryonnaire, et que beaucoup de travail reste à faire sur le plan marketing pour assurer son avenir. Actuellement, les stocks limités d'amandes traitées sont vendus exclusivement dans les foires commerciales de la Bolivie et dans quelques boutiques de Santa Cruz. La FCBC a engagé récemment un représentant commercial pour développer de nouveaux marchés.
La récolte, une stratégie de conservation
L'objectif de la FCBC est non seulement d'aider les communautés rurales de la Chiquitania à joindre les deux bouts, mais aussi d'aider à préserver les forêts tropicales sèches de la région. « La principale cause de la déforestation est l'élevage de bétail. Le projet d'amandes a pour but d'offrir une source additionnelle de revenu et d'inciter les agriculteurs à mettre en valeur les arbres de leurs terres plutôt que de les couper », souligne Molina. De plus, le bétail peut se nourrir du fruit de l'arbre, laissant derrière le noyau qui peut être ramassé et cassé pour en extraire l'amande.
En fait, un grand nombre de petits agriculteurs de la Chiquitania commencent à planter des amandiers, car ils sont conscients de leur potentiel commercial. Si l'on revient à Palmarito de la Frontera, l'époux d'Augustina, Estanislado, est l'un d'entre eux. « Il est conscient que le projet peut réussir et il veut en faire partie », explique Augustina.
Estanislado appuie l'engagement de son épouse dans les projets de la FCBC, contrairement à d'autres hommes du village qui ont peur que leur femme devienne indépendante financièrement. Avec l'appui de son époux, Augustina peut accomplir des tâches non ménagères et utiliser ses gains comme elle l'entend.
Augustina a choisi d'utiliser ses épargnes pour permettre à ses filles de terminer leurs études secondaires. « J'ai toujours voulu que mes enfants s'instruisent, j'ai toujours voulu que mes filles aient une meilleure vie que la mienne », dit-elle. Grâce à ses efforts, sa plus jeune fille étudie à l'université. Sa fille est le premier membre de la famille à atteindre ce niveau scolaire. « Elle aime le monde rural et a décidé de devenir vétérinaire », ajoute Augustina.
L'étudiante fait la fierté de sa mère; les femmes analphabètes n'en croient pas leurs yeux lorsqu'elle leur confie : « Avec l'argent que j'ai mis de côté durant les deux dernières années, j'ai même pu lui acheter un ordinateur! »
Source: Anouk Desgroseilliers, Cuso International