Par Martin Patenaude-Monette
Biologiste M.Sc., collaborateur à l’étude du comporterment du Goéland à bec cerclé de l’UQAM
Mots-clés : Goéland à bec cerclé, peste aviaire, gestion de la faune, écologie comportementale, matières résiduelles
Cris stridents, fientes sur les voitures et les terrasses, comportement agressif envers les pique-niqueurs : le Goéland à bec cerclé, souvent nommé « mouette », à tort, compte parmi les animaux mal-aimés par les urbains.Les plaintes récurrentes de plusieurs résidents de la région de Montréal et l’absence de mesures de gestion connue efficace ont même mené à la formation du Comité régional de coordination de la gestion des goélands. S’en est suivi le financement d’un projet d’étude du comportement du Goéland à bec cerclé en milieu urbain et péri-urbain. Menée depuis 2009, cette étude a pour but de mieux comprendre l’écologie de l’espèce pour élaborer un plan de gestion intégrée.
De nos jours, lorsqu’il est question de la faune, on parle davantage de conservation des espèces en péril. Au cours du siècle dernier, l’aménagement anthropique du territoire a entraîné des pertes d’habitats qui menacent la survie de quelques dizaines d’espèces animales au Québec. Toutefois, certaines espèces ont tiré profit de cette modification des habitats. Plusieurs espèces de laridés, mouettes et goélands, en font partie. Après son établissement dans la région de Montréal dans les années 50, la population du Goéland à bec cerclé, un oiseau au comportement alimentaire généraliste et opportuniste, a connu une croissance exponentielle.
Le Goéland à bec cerclé (Larus delawarensis) fait partie des espèces qui ont été protégées par la Convention concernant les oiseaux migrateurs depuis 1916. Sa présence dans les régions maritimes était jadis menacée par l’exploitation de ses plumes et de ses œufs (Pollet et al. 2012). Les goélands ont profité des îles artificielles créées par la construction de la voie maritime du Saint-Laurent pour nicher dans la région de Montréal, mais ce sont les ressources alimentaires d’origine humaine qui auraient entraîné la croissance exponentielle de sa population dans les années 70 et 80, comme celle de plusieurs populations de laridés dans le monde (Duhem et al. 2008).
Dans certains pays d’Europe, les gestionnaires ont tenté de contrôler les populations de laridés en optant pour l’abattage d’adultes ou par la destruction des nids et des oeufs. En plus de soulever des questions éthiques, les résultats obtenus ont été très mitigés : dispersion des oiseaux et des nuisances vers d’autres sites, augmentation rapide du nombre de nids après la cessation des contrôles, effets néfastes sur d’autres espèces d’oiseaux nicheurs. Suite à ces échecs, des questions biologiques et éthiques sont soulevées : quels niveaux de populations et de nuisances peuvent être tolérés par les écosystèmes et par les citoyens? Quelles seraient les méthodes plus efficaces d’un point de vue biologique et plus éthiquement acceptables?
Trop nombreux et nuisibles : une question de perception?
Certaines espèces de goélands sont jugées surabondantes d’un point de vue biologique. Par exemple, le Goéland de Californie (Larus californicus) se nourrit d’espèces d’oiseaux de rivage considérés en péril dans la baie de San Francisco (Ackerman et al. 2006). En Méditerranée, le Goéland leucophée (Larus michahellis) s’accapare des meilleurs sites de nidification et en chasse les espèces patrimoniales (CEN-LR et al. 2006). Quant au Goéland à bec cerclé, d’un point de vue biologique, il n’apparaît pas surabondant dans le sud du Québec. Malgré une forte croissance de sa population en milieu urbain et péri-urbain, il ne cause pas d’altérations connues aux écosystèmes qu’ils fréquentent. Certains citoyens de la région montréalaise redoutent toutefois les organismes pathogènes transportés par les goélands qui pourraient contaminer l’eau potable et de baignade. D’autres se plaignent des fientes déposées sur leurs biens matériaux par les goélands qui doivent faire plusieurs allers-retours entre les sites d’alimentation et leur colonie, où ils doivent revenir pour incuber leurs œufs ou nourrir leurs jeunes. Certains citoyens se sont plains à raison des colonies bruyantes à proximité de leurs résidences privées. Toutefois, près de la moitié des personnes sondées au courant de notre étude ont une perception neutre ou positive des goélands (Moreau 2012). La plupart des citoyens vivent peu de nuisance et reconnaissent que la gestion des matières résiduelles a un impact sur la présence des goélands en ville. Une minorité de personnes expérimentent des désagréments réels, dont certaines réclament des mesures drastiques pour résoudre la situation (Moreau 2012).
Une meilleure gestion des matières résiduelles pour une meilleure cohabitation
Les goélands de la région montréalaise ont un accès à une grande diversité d’habitats pour leur alimentation : terres agricoles, milieux fluviaux et aquatiques, centres commerciaux, sites d’enfouissement, etc. Pour mieux comprendre le comportement alimentaire du Goéland à bec cerclé, plus d’une centaine d’oiseaux ont été munis de balises GPS en 2009 et 2010 permettant de suivre leurs mouvements en période de nidification. Nos résultats montrent une fréquentation des sites d’enfouissement plus faible qu’attendue. En fait, le décret autorisant l’agrandissement du site d’enfouissement de Lachenaie en 2004 a obligé les gestionnaires du site à diminuer la présence des goélands au site. Pour ce faire, ils ont recours à la pyrotechnie et à la fauconnerie qui consiste à utiliser des buses et des faucons dressés pour faire fuir les goélands du site. Les gestionnaires du site de Ste-Sophie, près de St-Jérôme, ont emboîté le pas en mettant sur pied leur propre programme d’effarouchement. Ainsi, les suivis GPS démontrent que les méthodes d’effarouchement mises en place dans deux des principaux sites d’enfouissement de la région montréalaises ont réellement eu un impact négatif sur la consommation de déchets comestibles par les goélands en période de reproduction. Si les sites d’enfouissement demeurent très attractifs de par les aliments abondants et très énergétiques qu’ils contiennent, une minorité de goélands suivis s’y rendent. Depuis l’implantation de programme d’effarouchement rigoureux aux sites de Lachenaie et Ste-Sophie, la présence des goélands a en effet significativement diminué (Thiériot 2012).
Les inventaires triennaux du Service canadien de la faune et les données colligées par les ornithologues amateurs dans la base de données d’étude des populations d’oiseaux du Québec (ÉPOQ) démontrent que la population de Goélands à bec cerclé du sud du Québec s’est stabilisée au début des années 2000. Cette stabilisation ne saurait s’expliquer par un manque de sites de nidification : de nombreux îlots sont encore disponibles sur le fleuve Saint-Laurent et ses effluents, sans parler des toits plats qui représentent des îlots artificiels idéaux pour la nidification de plusieurs espèces de laridés. La diminution de l’accessibilité des principaux sites d’enfouissement de la région montréalaise est l’hypothèse la plus plausible expliquant la stabilisation de la population de goélands à bec cerclé.
Conclusion
Si certaines nuisances aigües et ponctuelles sont belles et bien causées par les goélands et subies par quelques citoyens, la cohabitation est toutefois possible. Dans un premier temps, il s’agit d’améliorer la perception du Goéland à bec cerclé, ancré dans notre imaginaire collectif comme un indésirable charognard associé à la saleté (Moreau 2012). En effet, le Goéland à bec cerclé a une alimentation plus diversifiée que ce qu’on pense et fréquente une panoplie d’habitats. S’il a su profiter des déchets comestibles, c’est essentiellement dû à notre mauvaise gestion des matières résiduelles. C’est pourquoi, dans un second temps, il s’agit de diminuer l’accès des goélands à la nourriture d’origine anthropique. Cela passe principalement par l’instauration de programme d’effarouchement dans les sites d’enfouissements et de transferts de déchets, et ultimement par le compostage des matières organiques. Déjà peu nombreux, les conflits deviendront ainsi de plus en plus rares et la cohabitation sera meilleure.
Références
Ackerman, J. T., Takekawa, J. Y., Strong, C., Athearn, N. & Rex, A. 2006. California Gull Distribution, Abundance and Predation on Waterbird Eggs and Chicks in South San Francisco Bay. USGS Final Report, 61 p.
Duhem, C., Roche, P., Vidal, E. & Tatoni, T. 2008. Effects of anthropogenic food resources on yellow-legged gull colony size on Mediterranean islands. Population Ecology 50: 91-100.
Moreau, C. 2012. La cohabitation entre les Goélands à bec cerclé et les résidents de la zone périurbaine Est de la région métropolitaine de Montréal : Quels problèmes pour quelles solutions? Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal.
Patenaude-Monette, M. 2011. Caractérisation des habitats d'alimentation du goéland à bec cerclé dans le sud du Québec. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 58 p.
Pollet, I. L., D. Shutler, J. Chardine & J. P. Ryder. 2012. Ring-billed Gulls (Larus delawarensis). The Birds of North America Online. Ithaca (New York): A Poole, Cornell Lab of Ornithology: http://bna.birds.cornell.edu.bnaproxy.birds.cornell.edu/bna/species/033doi:10.2173/bna.33
Racine, F., Giraldeau, L.-A., Patenaude-Monette, M., Giroux, J.-F. 2012. Evidence of social information on food location in a Ring-billed Gull colony, but the birds do not use it. Animal Behaviour 84:175-182.
Thiériot, E. 2012. Évaluation de différentes techniques d'effarouchement des goélands dans les lieux d'enfouissement technique. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 53 p.
Pour suivre les développements du projet de recherche et pour rapporter vos observations de goélands marqués : http://goeland.uqam.ca