Automobile, électrique ou pas: fausse bonne idée? fuite en avant? passage obligé?

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Par Harvey L. Mead
Commissaire au développement durable 2007-2008
Auteur, L'indice de progrès véritable: Quand l'économie dépasse l'écologie (MultiMondes, 2011)

 

Le Québec se prépare pour l’élaboration d’une politique énergétique, et les enjeux sont assez dramatiques. Une série de textes dans Le Devoir par Pierre-Oliver PineauJean-Robert Sansfaçon en éditorial, et Jean François Blain, montre finalement la difficulté de bien situer ces enjeux dans un cadre approprié. Un texte que j’ai soumis au Devoir en élabore quelques unes des difficultés, en soulignant que c’est l’automobile elle-même et non son électrification qui doit être mise en cause. Toute la discussion s’insère dans l’approche au développement économique du gouvernement et de nombreux intervenants privés, et c’est rare d’y trouver une prise en compte des implications du pic de pétrole, de l’empreinte écologique (ou l’empreinte carbone) ou d’autres indicateurs de contraintes écologiques. Pourtant, ces contraintes paraissent de plus en plus incontournables et rendront inutile l’effort de conception de la politique si elle n’en tient pas compte.

Le mémoire que j’ai soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques est tout à fait irréaliste, ciblant une transformation rapide et complète de notre flotte de véhicules en hybrides ou électriques, au fur et à mesure de leur remplacement. Le débat tourne autour d’analyses qui montrent jusqu’à quel point nous sommes confrontés à des situations où bon nombre de décisions en matière de développement paraissent, et aujourd’hui sont, irréalistes. À l’instar de la Commission, l’annonce de sa Stratégie d’électrification des transportscible, en priorité, non pas le bienfait que représenteraient une diminution de notre dépendance du pétrole et une certaine réduction de nos émissions de GES, mais plutôt la possibilité qu’une industrie manufacturière puisse naître de cette initiative. Comme c’est presque toujours le cas, les objectifs environnementaux, qui deviennent de nos jours des enjeux reconnus explicitement même si tardivement par les interventions en faveur d’une «économie verte», doivent s’insérer dans la poursuite du développement économique, de la croissance de l’économie.

Ceci se manifeste dans les chiffres proposés dans le débat concernant la flotte de véhicules québécois. Je retiens la référence de Pineau à 350 000 véhicules ajoutés à la flotte chaque année, mais je me demande s’il ne s’agit pas plutôt du nombre de véhicules remplacés; sur 15 ans, on remplacerait la flotte de 4,5 M de véhicules au complet – sauf qu’il faut bien reconnaître qu’il y aura des augmentations aussi selon les tendances bien en place. Le gouvernement Charest proposait, suivant Pineau et Sansfaçon, d’électrifier 300 000 véhicules pour 2020, ce qui n’aurait été que 10% de la flotte, tout en étant un nombre impressionnant et probablement hors d’atteinte selon une vision réaliste. Le gouvernement Marois, dans la nouvelle Stratégie, ne propose d’électrifier que 12 000 véhicules, nombre dérisoire mais probablement plus réaliste…

 

En réalité, et contrairement aux orientations gouvernementales, l’intérêt de l’initiative visant l’électrification de la flotte de véhicules n’est pas qu’elle semble verdir l’économie, surtout pas l’espoir que nous développions une expertise mondiale pour la filière manufacturière en cause. L’initiative est une exigence économique en soi. Les économistes Pineau et Sansfaçon, dans leurs contributions au débat, ne semblent pas voir ceci. Ils ciblent une réduction des émissions de GES en priorité mais ne montrent d’aucune façon comment ils voient cela arriver, face aux constats de la Commission sur les enjeux énergétiques. Celle-ci montre que l’objectif de réduction des GES rentre directement dans le modèle économique et sociétal que nous avons et suggère dès le départ que l’objectif est irréaliste.

 

C’est Blain qui voit ceci de façon claire, dans son calcul des coûts. Électrifier toute la flotte de 4,5 M de véhicules réduirait les dépenses des ménages pour le transport de 6,5 G$ par année. Il suggère par contre que cela libérerait autant pour «oxygéner l’économie intérieure et soutenir la diversité de nos activités économiques productives». Ceci souligne le véritable enjeu de cette initiative, que Blain ne met pas en évidence.

 

Le Québec sera-t-il en mesure de supporter les coûts du maintien de son modèle des transports actuel, inscrit profondément dans son modèle économique? Est-ce que la transition vers une indépendance du pétrole nous permettra de soutenir le coup des effondrements en cours et à venir dans un avenir de plus en plus rapproché? L’électrification nous mettra peut-être à l’abri de certains soubresauts économiques ailleurs dans le monde, sans pour autant que nous puissions poursuivre l’ensemble de nos «activités économiques productives» qui sont en cause dans ces effondrements.

 

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