Les Anticostiens sont profondément attachés à leur territoire. La nature est au cœur de leur vie et leur mode de vie reflète cet ancrage. « Anticosti! C’est la nature, l’immensité du territoire, c’est le contact humain, c’est la découverte constante ». Mais la réalité économique et la précarité actuelle obligent! Comment pouvoir continuer à y vivre et pouvoir mettre « du pain et du beurre sur la table »? Y a-t-il des voies alternatives au projet d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures, où est-ce que ce dernier est-il réellement synonyme d’espoir et de survie?
Au départ, je souhaitais centrer le projet de recherche sur le projet d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures. Très rapidement, les citoyens d’Anticosti m’ont fait comprendre qu’il n’y avait pas que le pétrole, qu’ils étaient un peu « tannés que le pétrole soit le centre de l’attention » et que« toute autre forme de développement mérite d’être examinée ». J’ai donc du intégrer ces commentaires dans le questionnaire de recherche, qui s’est ainsi enrichi. Nombreux sont ceux pour qui le développement fait appel à des « propositions » appropriées, en soulignant que « la transformation de la viande de chevreuil et des produits de la pêche, la restauration de l’industrie forestière, le tourisme été comme hiver, la promotion de l’île comme lieux de séjour et de loisirs » seraient des projets à explorer. Chose certaine, le développement est un souci, un débat qui suscite émotions et réactions.
Par quelle forme de développement passe alors l’avenir d’Anticosti?
À cette question, les Anticostiens étaient invités à répondre selon plusieurs choix possibles : 68% des répondants considèrent que oui, l’écotourisme et la conservation du territoire sont des voies à privilégier; 60% sont d’accord pour dire que l’avenir passe par le développement de l’industrie de la transformation des ressources sur place (cerf de Virginie); 42% par l’industrie forestière et 38% par le développement des énergies renouvelables. Seuls 20% était d’accord pour dire que oui, l’avenir d’Anticosti pourrait passer par le projet pétrolier. Les obstacles aux alternatives sont toutefois nombreux : « ressources humaines et financières inadéquates »; « manque de volonté politique »; « l’isolement géographique de l’Île »; « la peur du changement, les mentalités »; le « manque d’informations et de connaissances »; « la nécessité d’une plus grande autonomie : les gens doivent prendre les choses en mains sans attendre que d'autres le fassent pour eux » et « le peu de population qui rend tous les coûts et le transport plus élevés ». Voilà des contraintes qui« rendent le développement très difficile ».
Rapport au projet d’hydrocarbures : entre savoirs et positionnement
Le projet pétrolier quant à lui, suscite beaucoup d’émotions, de questionnement, d’espoir et d’inquiétudes.
Il permettrait de «donner de l’emploi dans la communauté »; « c’est une source potentielle de diversification économique »; « ce serait bon pour les commerces »; « c’est une bouée de sauvetage ». Le projet est synonyme de « travail, d’investissement, de survie et de prospérité ». Il « offre une opportunité de développer un savoir, d’inventer une façon de faire sécuritaire qui n’existe nulle part ailleurs ». Le développement pétrolier doit toutefois « être fait en concert avec tous les organismes du milieu et ne doit pas nuire à la pêche, à la chasse et à toute autre industrie ». Il suscite « l’espoir qu’il va se réaliser sinon tout le monde va déménager ailleurs ». Par contre, le projet est source de grandes « incertitudes, de controverses, de craintes, d’ambivalence, d’arguments, de bouleversements en vue, d’intrusion, de peur, de préoccupations, de divisions, de questionnement et d’insécurité », car « qui peut nous promettre de ne rien détruire? ». Il représente « des risques de contamination, de pollution; c’est une industrie sale ou lourde qui représente un danger : danger pour le milieu, pour le bord de mer, pour l’eau, pour le contour de l’île, pour l’environnement, et la destruction pour les générations futures ». Et pourtant, « il reste encore beaucoup de questions sans réponses, car on a besoin de pétrole (camions, transport, chauffage, électricité 4) ».
Le projet pétrolier est un « enjeu politique, de l’abus de pouvoir, plus nécessaire au gouvernement qu’à nous »; « il y a un manque d’expertise et c’est avancé sans considération pour les résidents ».Les Anticostien.nes en avaient long à dire sur la confiance, car malgré le haut taux de participation aux assemblées publiques à cet effet (54%), 72% des répondants disent qu’ils ne se sentent pas écoutés par les politiciens et 42% non écoutés par les promoteurs (Pétrolia a un ‘Responsable des relations avec le milieu’ sur place ce qui explique la « meilleure performance » des promoteurs) et 65% pensent que leurs préoccupations ne sont pas prises en considération.
Fait intéressant, le projet d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures sur Anticosti est perçu à 64% comme étant de nature spéculative : il « risque de ne jamais se matérialiser ». Comment alors se positionner si on ne croit pas en un projet qui : « est présent depuis 50 ans »; « 60 ans »; « n’est qu’une source potentielle »; « une gimmick »; faisant déjà partie d’un « bulletin d'information au secondaire en géo dans les années 70 » et pour lequel « rien ne bouge sur le terrain, et ce depuis autant d’années »? Cela étant dit, 28% des répondants sont totalement d’accord pour affirmer que ce projet améliorera leur qualité de vie et 36% pensent qu’il créera des emplois permanents pour eux et les générations futures. Pour 77% cependant, ce projet aura des séquelles environnementales et pour 81%, il y aura, sous une forme ou une autre, des impacts négatifs sur la nature et la culture anticostienne.
Malgré ce regard en amont – ces réponses aux questions qui furent posées avant la question finale relative au positionnement –, 50% de la population d’Anticosti croit au bout du compte que le projet d’exploration et d’exploitation aux hydrocarbures « est acceptable pourvu qu’il se développe en harmonie avec le reste de l’usage actuel du territoire, et en tout respect pour l’environnement (chasse, pêche, tourisme, etc.) ». Ce paradoxe a nécessité un retour sur l’Île en novembre 2013, pour clarifier la notion d’acceptabilité du projet pétrolier. Lorsque confrontés à ces contradictions,, les citoyens furent assez unanimes pour affirmer que s’ils avaient un choix de développement écologique qui leur permettrait de sortir de leur précarité comme ce projet pétrolier le prétend, leur positionnement serait clairement en faveur de cette autre proposition moins intrusive et néfaste à leur environnement.
Plusieurs citoyens se joignent à ces paroles de l’un des leurs : « J'aimerai que le monde élabore des technologies propres, durables, de sorte que nous n'ayons plus besoin de pétrole, mais on est encore loin d'y arriver. La nature est fragile et toute activité humaine comporte des risques et il est difficile de connaître l'étendue de ces risques. Il est certain que nous ne voulons pas de tragédies, mais j'ai l'impression qu'on découvrira la limite de l'acceptable quand on l'aura malheureusement franchie!!! ». De façon à pouvoir prendre une vraie décision libre, préalable et éclairée, les citoyens demandent d’ailleurs qu’ait lieu un réel débat entre les pétrolières, les groupes environnementaux, les gouvernements et les scientifiques, tous réunis autour d’une même table afin d’échanger « et que le débat ait lieu à Anticosti. De nombreux protagonistes n’ont jamais mis les pieds sur l’île et n’ont aucune idée de la réalité des insulaires. La tenue d’un tel exercice amènerait peut-être une certaine conscientisation et viendrait soutenir l’économie locale ».
La « Planète » ni les populations concernées n’ont l’argent pour se défendre contre les géants du pétrole et des mines. Il en revient pourtant aux citoyens de se lever. Sur Anticosti, la précarité économique de la vie sur l’Île rend cette inégalité encore plus démesurée. Beaucoup sentent qu’ils n’ont pas le choix!
1. Shields, Alexandre. 2011a. « 40 milliards de barils de pétrole à Anticosti – Hydro-Québec a cédé ses permis d'exploration au privé en 2008 ». Le Devoir (Montréal). En ligne.
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/332472/40-milliards-de-barils-de-petrole-a-anticosti%3E . Consulté le 3 octobre 2011.
2. Bélair-Cirino, Marco. 2011. «Ressources naturelles – Le gouvernement accusé du «vol du siècle»». Le Devoir (Montréal), 23 novembre 2011. En ligne.
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/336761/ressources-naturelles-le-gouvernement-accuse-du-vol-du-siecle%3E . Consulté le 23 novembre 2011.
3. Statistiques Canada. 2012. Le bénévolat au Canada. (Pourcentage canadien p.27 et québécois p.32). En ligne. http://www.statcan.gc.ca/pub/89-649-x/89-649-x2011001-fra.pdf. Consulté le 05 novembre 2013
4. Note : L’électricité sur l’Île d’Anticosti est générée par une centrale au diésel