LETTRE D’OPINION : 700 kilomètres de silence électoral

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Photo de Sanao – Wikipedi commons

Aux chefs des principaux partis politiques québécois.

Imaginez-vous à bord de votre autobus de campagne et entreprenez le périple vous faisant suivre le trajet de la portion québécoise du projet de pipeline Énergie Est, de Hawkesbury jusqu’au Témiscouata, visant à relier l’Alberta au Nouveau-Brunswick. Pour stimuler votre intérêt politique à entreprendre un tel voyage, sachez que vous traverserez les 2 grandes communautés métropolitaines du Québec, ainsi que 23 municipalités régionales de comté et71  municipalités. Pour saisir l’ampleur des travaux projetés, référez-vous à la Description du projet déposé par l’entreprise à l’Office national de l’Énergie (ONÉ) le 4 mars dernier, d’où les données suivantes sont tirées.

Vous suivrez le tracé de plus de 700 kilomètres de canalisations d’un diamètre de 42 pouces à enfouir, nécessitant une emprise moyenne de 40 mètres. Ces canalisations devront traverser 22 rivières, donc certaines des plus importantes du Québec méridional. Le pipeline traverserait le fleuve un peu avant d’arriver à Québec avant de poursuivre sa route vers l’Est. À Cacouna, un parc de réservoirs de stockage permettant d’entreposer 500,000 barils de pétrole serait construit de même qu’un terminal maritime permettant le chargement de pétroliers d’une capacité de 700 000 à 1,1 million de barils de pétrole. Onze stations de pompage, occupant chacune environ 9 hectares au sol, devraient aussi être construites sur le territoire québécois, principalement en milieu agricole. La partie plus « bucolique » de votre parcours vous ferait traverser un certain nombre d’aires protégées ainsi que des habitats fauniques et floristiques désignés, des aires de concentration d’oiseaux aquatiques et des aires désignées d’hivernage des cerfs de Virginie. À Cacouna, le terminal maritime prévu coïncide avec la limite spatiale de la population résidente menacée de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent et d’autres concentrations de mammifères marins jugés menacés en vertu de lois provinciales ou fédérales.

Vous constatez que les impacts de ce projet sur le territoire québécois sont nombreux et variés. En outre, ce projet inscrit le Québec comme un acteur majeur de l’expansion de l’industrie canadienne des hydrocarbures, particulièrement celle des sables bitumineux. Cela même si tous nos récents gouvernements se sont auto-déclarés à l’avant-garde de la lutte mondiale contre les changements climatiques. En passant, si dans votre autobus vous lisez la description du projet fournie par TranCanada à l’ONÉ, vous ne trouverez pas une seule fois les mots « changements climatiques ». Vous ne pourrez donc pas vous faire une idée des impacts de ce projet sur les objectifs québécois de réduction des GES et l’ONÉ ne les évaluera pas non plus.

L’actuelle constitution canadienne, sur laquelle vous vous entredéchirez à l’occasion, fait en sorte que la décision finale sur ce projet interprovincial reviendra au gouvernement fédéral. En revanche, cela n’est pas une raison pour abdiquer et laisser l'évaluation des impacts de ce projet sur le territoire du Québec à l'ONÉ! Le Règlement québécois sur l'évaluation et l'examen des impacts sur l’environnement assujettit à cette procédure tout nouvel oléoduc de plus de 2 km à être construit au Québec. Le prochain gouvernement québécois devrait donc immédiatement aviser l’entreprise qu'elle doit préparer une étude d'impacts selon une directive qui lui serait transmise par le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs. Cette directive devrait inclure la question des impacts du projet sur les GES et sur les objectifs fixés par le Québec en cette matière ainsi que le respect des lois spécifiques au Québec (Loi sur le développement durable, Loi sur l'eau, protection du territoire agricole et de notre biodiversité, etc.).

Cette façon de faire amènerait le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) à tenir des audiences publiques sur les impacts au Québec de ce projet pancanadien, ouvertes à tous sans exception, contrairement à l'ONÉ. Un rapport et des recommandations du BAPE auraient, pour le gouvernement du Québec, un poids politique beaucoup plus fort que les pauvres "conditions" de la dernière commission parlementaire sur le projet Enbridge face au fédéral.

Peu importe le parti politique et sa position sur la question nationale, il apparaît clair qu'un projet d'une telle ampleur exige une affirmation de nos compétences sur l'utilisation de notre territoire et l’évaluation de ses impacts selon les procédures québécoises. Pour pouvoir parler des vraies affaires, pour décider avec notre tête s’il faut donner, ou non, le « Go » à ce projet, vous devez être déterminés à exiger de TransCanada qu’elle se plie à la procédure québécoise d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. Prenez-en l’engagement durant la campagne!

 

Source: Jean Baril, avocat et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement

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