L’entreprise, le citoyen et l’information environnementale

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Par Joe-Christ Ndorere
Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


 

 

L’édification des premières politiques publiques environnementales s’est faite au rythme des inquiétudes citoyennes sur l’état de dégradation de nos écosystèmes. Par la suite, ces politiques se sont mues en des règles juridiques reconnaissant un droit de vivre dans un environnement sain à tous. Toutefois, il a fallu détenir une connaissance exacte de ces atteintes et des risques qu’elles posent pour pouvoir poser les jalons de ce nouveau droit. En d’autres termes, l’information sur l’état de la ressource environnementale a été à l’origine de l’action des autorités publiques dans l’édification du droit de l’environnement.

Intitulée « L’information environnementale et ses implications sur les particuliers et l’entreprise »[1], la conférence de monsieur François Guy Trébulle, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et membre de la Commission sur l’environnement du Club des juristes français, confirme le rôle moteur de l’information environnementale dans l’action environnementale. Le droit de l’environnement implique, par exemple, des paramètres de prévention, de précaution, de réparation des dommages ou de répression, exigeant une action positive des intervenants de l’administration publique, des opérateurs privés ou des citoyens. En amont de ces interventions, l’information environnementale s’impose comme une « matière première des décideurs privés ou publics, économiques ou citoyens »[2]. En ce sens, le professeur Trébulle rejoint les conclusions du dernier rapport de la Commission sur l’environnement « Mieux informer et être informé sur l’environnement ».

 

L’État et le devoir d’information environnementale

Le degré d’information et la rétention de renseignements pouvant avoir une incidence sur la qualité de l’environnement n’est pas une question nouvelle. Toutefois, elle demeure toute entière et sujette à débat à plusieurs égards. En effet, en adoptant la première génération de lois donnant un droit d’accès à l’information, l’intention était d’affirmer le droit fondamental des citoyens d’être informé. C’est l’ère du « Freedom of information »[3] où l’État reconnait son obligation d’informer le citoyen des processus décisionnels relatifs aux enjeux sanitaires et environnementaux, et ce dans un souci de transparence. C’est également à l’intérieur de cette logique que quarante-sept États ratifient la Convention d’Aarhus, dont le Canada n’est pas signataire, qui admet le droit des citoyens de réclamer des autorités publiques toutes informations susceptibles de porter atteinte à la qualité de l’environnement.

La Cour européenne des droits de l’homme a également permis une consécration progressive de ce devoir d’information dans les systèmes juridiques européens. Par exemple, malgré l’absence d’une mention expresse de l’obligation de divulguer l’information environnementale dans la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « Convention »), la Cour a reconnu, à partir d’une jurisprudence relative au droit à la santé, que l’accès à l’information environnementale était un droit fondamental de l’homme protégé par l’article 8 reconnaissant le droit au respect de la vie privée et familiale.

En 2013, la Cour européenne, dans Vilnesc. Norvège,un litige impliquant une compagnie de plongée aux prises avec des mesures de décompression non réglementaires, a reconnu que les conditions de décompression constituaient des « informations sensibles » qui auraient dû être communiquées aux plongeurs. Selon les conclusions de la Cour, la Norvège a contrevenu à son obligation de protéger la vie privée et familiale prescrite par l’article 8 de la Convention. La Cour introduit la question environnementale en déclarant qu’un État qui ne s’assure pas de détenir de l’information environnementale dans un contrat privé, omet de respecter ces obligations au regard de la Convention précitée. Également dans Brincatc. Malte, la Cour renforce son argumentaire en affirmant que la passivité d’un État en possession de l’information environnementale équivalait à une violation de l’article 8 de la Convention.

 

L’entreprise privée et l’information environnementale

Lorsqu’on analyse la logique qui a présidé à l’adoption des lois d’accès à l’information, on remarque aisément que le législateur s’est volontairement focalisé sur le devoir de l’administration publique d’informer le public, en déchargeant l’entreprise privée de ces nouvelles contraintes. Pour comprendre ce raisonnement, il faut se rapporter à la fin du XXe siècle. En effet, à cette époque, le triomphe du libre-marché, de la propriété et de la libre-entreprise commandait de ne pas contraindre les opérateurs privés à divulguer des renseignements qui pouvaient mettre à mal leur compétitivité et ainsi fausser la concurrence. Par conséquent, les opérateurs privés ont à leur disposition deux avantages significatifs, soit la détention de tous les renseignements concernant l’utilisation, la production et la revente des produits chimiques ou nocifs pour l’environnement et ensuite, la protection légale contre la divulgation de ces renseignements.

 

Son importation dans le droit commun des contrats

Le professeur Trébulle constate que le droit public de l’environnement irrigue, et ce d’une manière progressive, le droit des contrats. Il est vrai que lorsqu’on évoque le droit d’accès à l’information environnementale, on a tendance à penser à la verticalité du droit administratif. Cependant, la question de l’information environnementale en est une qui est multipolaire et transversale. Cette situation s’illustre parfaitement dans le droit commun des contrats.

Le contrat est la rencontre de deux volontés. Le principe de la liberté d’engagement est la base de tout contrat. Les parties en présence doivent consentir à l’objet du contrat d’une manière libre et éclairée. En ce sens, l’information environnementale sert à éclairer le consentement des parties. Une mauvaise information, une tromperie ou une méprise sur la performance environnementale d’un produit pourra éventuellement vicier le consentement et entamer lourdement la validité du contrat.

Par exemple, dans un litige impliquant un contrat de vente entre l’acheteur et une compagnie d’installation de piscine, la Cour d’appel de Nancy a conclu qu’il appartenait à l’entrepreneur de connaitre les défauts des systèmes de jointures et ses interactions avec le milieu particulier des eaux vosgiennes. À cet effet, la Cour rappelle que le vendeur a le devoir de détenir les informations sur l’impact environnemental du produit. Également, dans un autre litige, le juge français a reconnu l’obligation des notaires d’informer les nouveaux propriétaires sur les particularités environnementales du bien sujet à achat.

En France, le législateur a modifié le droit des contrats afin de tenir compte de l’importance de l’information environnementale entre l’acheteur et le vendeur. En effet, le vendeur et le bailleur ont l’obligation d’information et de réalisation d’un audit environnemental. En droit de l’environnement, ils doivent se soumettre à un diagnostic des pollutions ayant présidé à l’élaboration des secteurs d’information sur les sols et l’état des risques naturels. En droit immobilier, il y aura une consultation du registre cadastral et un audit environnemental. Enfin, en droit de la construction, le vendeur devra réaliser un diagnostic technique comprenant un examen exhaustif de plusieurs facteurs.

L’objectif de ces règles est de fournir un état des connaissances environnementales du produit et de favoriser un consentement libre et éclairé de l’acheteur. Cependant, le Club des juristes souligne la disparité de ces normes et par conséquent, la pertinence de centraliser ces informations en une base de donnée unique et accessible à tous les citoyens.

 

S’informer pour consommer durablement

La crise écologique est, en grande partie, causée par nos habitudes de consommation irraisonnées qui nécessitent toujours un peu plus de ressources qui sont malheureusement en déclin. Cependant, la consommation durable peut être une solution à cette crise. En fait, le choix du consommateur peut se porter sur la catégorie des produits « verts », « durables » ou « écoresponsables » qui sont réputés être moins énergivores et ont des incidences moindres sur l’environnement.

Cependant, la consommation durable se heurte à un obstacle de taille : le greenwashing (« verdissage mensonger »). En raison de la multiplication de publicités globalisantes et imprécises qui ne permettent pas d’affirmer ou d’infirmer la véritable performance environnementale du produit, il émerge une incertitude et une méfiance des consommateurs sur l’affichage environnemental.

Le Club des juristes français souligne à juste titre que cette imprécision est facilitée par l’absence d’une méthodologie commune d’évaluation de la performance environnementale. Dans son rapport, le Club propose la création d’une méthode admise par tous les États européens et la généralisation de l’affichage environnemental standardisé, qui achève actuellement sa période d’expérimentation. Cet affichage permettrait, entre autres, de favoriser la clarté des informations fournies au consommateur, d’établir une égalité des armes entre les entreprises et de mettre en concurrence des performances environnementales des produits pour un choix durable.

 

L’argument économique : un obstacle à l’accès à l’information environnementale

Les opérateurs privés ont été longtemps à l’abri de l’obligation de divulguer certaines informations jugées « sensibles ». L’obtention de ces renseignements pouvait semble-t-il altérer l’équilibre économique et fausser la libre concurrence. Cependant, certains auteurs soulignent que, contrairement aux idées reçues, le « droit d’accès à l’information par les compagnies, [aiderait]au développement économique parce qu’il [permettrait]d’établir de meilleurs plans d’affaires, en favorisant une saine compétitivité et en réduisant les barrières commerciales. »[4] Par conséquent, les entreprises capables d’intégrer une réflexion écologique dans leur processus de production améliorent leur propre productivité et créent un cercle écologique vertueux à travers leurs fournisseurs et leurs sous-traitants.

Toute réflexion sur l’accès à l’information environnementale exige une mise sous tension d’intérêts contradictoires, notamment le droit des citoyens d’être informé sur les enjeux environnementaux et le droit des entreprises de sauvegarder leurs pratiques et secrets de fabrication. En effet, le droit au secret industriel demeure une exception à la règle de divulgation prévue par les lois d’accès à l’information. Cependant, le législateur québécois a reconnu le caractère fondamental du droit des citoyens de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité dans la Charte des droits et libertés des personnes. Comment les citoyens peuvent-ils exercer ce droit sans un accès libre et complet à l’information environnementale détenue en grande partie par l’entreprise privée?  

Ce droit fondamental ne peut cohabiter avec une situation de monopolisation de l’information par les acteurs publics ou privés. Ainsi, à l’aune des objectifs de développement durable prescrits, depuis 2006, dans la Loi sur le développement durable, le législateur québécois devrait prendre acte de l’importance de renforcer le droit des citoyens d’être informés sur l’usage de certaines substances dans le cycle de production, les caractéristiques environnementales d’un bien contractuel et les véritables performances environnementales d’un produit.

 



[1]
François Guy Trébulle, « L’information environnementale et ses implications sur les particuliers et l’entreprise », conférence organisée par la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement présentée à l’Université Laval, 16 octobre 2014.

[2] Club des juristes, Mieux informer et être informé sur l’environnement, Commission sur l’environnement, Rapport final, septembre 2014, page 17.

[3] Jean Baril, Droit d’accès à l’information environnementale : pierre d’assise du développement durable, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, à la p. 106.

[4] Ibid, page 179.

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