Lettre aux médias du Regroupement Contre la Désinformation Climatique

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Par Mathieu Morin, candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Le Regroupement Contre la Désinformation Climatique, qui regroupe des professeurs et étudiants en sciences de l’environnement de l’UQAM, ne peut rester muet face à la désinformation promue par les panneaux publicitaires de Friends of Science, qui énoncent que les activités humaines ne sont pas à l’origine des changements climatiques.

N’en déplaise aux détracteurs de la législation environnementale et climatique qui préfèrent ignorer les faits, le réchauffement planétaire est bien réel et est causé par les activités humaines. De nos jours, de nombreuses études d’organismes internationaux aux mandats divergents soutiennent la thèse des changements climatiques de même que l’importance d’agir collectivement et de façon coordonnée à l’échelle mondiale. Ainsi, l’urgence d’agir n’est plus seulement le plaidoyer d’entités scientifiques telles que le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC, ou IPCC en anglais), la National Academy of Science des États-Unis et près de 200 autres organisations scientifiques à travers le monde. En effet, même des organisations internationales d’allégeance néolibérale poussent maintenant les gouvernements à prendre des actions concrètes pour limiter les changements climatiques; c’est notamment le cas de la Banque Mondiale. Ceci ajoute donc du poids au consensus poussant 97% des scientifiques du climat à soutenir que l’utilisation des combustibles fossiles est largement responsable de l’augmentation de la température moyenne qui atteint maintenant plus d’un 1°C par rapport à l’époque préindustrielle.

Nous sommes tous partiellement responsables de cette situation. En effet, la cause principale du réchauffement planétaire est l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre (GES), tout particulièrement le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane dans l’atmosphère. Ces gaz contribuent à retenir dans la troposphère (la couche inférieure de l’atmosphère) les rayons infrarouges émis par la  surface de la Terre chauffée par le soleil. Sans eux, on estime que la température moyenne sur Terre serait de -18°C plutôt que de 15°C. La hausse des concentrations de GES dans l’atmosphère implique une augmentation de cette température moyenne.

Le discours tronqué de Friends of Science

Or, des affiches du groupe Friends of Science avancent que les changements climatiques sont causés par l’activité solaire plutôt que par les émissions de GES. Personne ne conteste l’influence du soleil sur le climat. Des variations de l’insolation de la Terre causées par des irrégularités de l’orbite terrestre sont d’ailleurs à l’origine des cycles de glaciations des dernières centaines de milliers d’années. Cependant, l’hypothèse voulant que les changements climatiques observés actuellement soient dus au soleil a été invalidée par de nombreuses études (voir entre autre Forster et Rahmstorf, 2011; Huber et Knutti, 2011; Lean et Rind, 2008; Lockwood et Fröhlich, 2007; Mehl, 2004; Schurer et al., 2014). En fait, l’augmentation de l’indice d’activité solaire ne peut expliquer qu’au maximum le dixième de l’augmentation des températures depuis le début du 20e siècle et en aucun cas le réchauffement accéléré depuis la fin des années 1970 alors que cet indice diminue depuis cette période. Alors, pourquoi Friends of Science soutien-ils l’inverse?

Un astroturf

La réponse est que Friends of science constitue en fait un regroupement politique plutôt que scientifique. Ainsi, alors que le GIEC rassemble plus de 6000 experts et publie des études régulièrement, le « comité scientifique » de Friends of Science n’emploie que trois « experts » n’ayant  pas produit de littérature révisée par les pairs depuis un minimum de 10 à 15 ans. Ce comité tire d’ailleurs son information d’ouvrages n’ayant pas, eux non plus, été révisés par les pairs ou de scientifiques dont il déforme les propos.

En fait, Friends of Science serait ce qu’on appelle un astroturf, soit une organisation se faisant passer pour un mouvement citoyen, mais étant financée par des intérêts corporatifs et politiques. Les astroturfs servent de couvertures aux entreprises les finançant et leur permettent de faire campagne sans entacher leur réputation.

La conférence donnée en l’honneur de la création de l’organisation en 2002 à Ottawa présente des indices soutenant cette allégation. En effet, cette dernière fut financée par Imperial Oil et organisée par Apco, une firme de relations publiques très impliquée dans les milieux climato-sceptiques américains.  Apco fut par ailleurs très active aux côtés de l’industrie américaine du tabac, à l’époque où cette dernière tentait d’atteindre la crédibilité des rapports scientifiques prouvant l’impact de la cigarette sur la santé. Cette firme serait en outre l’instigatrice de la stratégie visant à créer des organisations «scientifiques» se présentant comme étant objectives, mais relayant toutes les arguments d’une poignée de scientifiques dont les idées ne proviennent pas de la littérature révisée par les pairs… C’est également Apco qui aurait conseillé à Friends of Science de produire sa vidéo promotionnelle «Climate Catastrophe Cancelled: What You’re Not Being Told About the Science of Climate Change», toujours présentée sur son site Internet.

Un autre grand collaborateur de l’industrie du tabac et de l’industrie pétrolière était également à cette soirée; il s’agit de Frederick Singer, un scientifique ayant été financé par l’industrie du tabac et par ExxonMobil, le géant du pétrole américain. À ce jour, M. Singer soutient toujours que la fumée secondaire n’a aucun effet sur la santé et que les changements climatiques, s’ils existent, seront bénéfiques pour la société humaine.

L’un des fondateurs de Friends of Science, Tim Ball, était également présent à cette conférence. Utilisant certains des arguments relayés par M. Singer, M. Ball est lui aussi affilié à l’industrie pétrolière à travers son implication pour la BC Oil and Gas Association, le Natural Ressources Stewardship Project et le Heartland Institute, un Think tank de droite financé par les frères Koch, autres géants de l’industrie pétrolière américaine et fondateurs du Tea Party. Le Heartland Institute a notamment été dénoncé par la revue scientifique Nature:

            «Despite criticizing climate scientists for being overconfident about their data, models and             theories, the Heartland Institute proclaims a conspicuous confidence in single studies and   grand interpretations….makes many bold assertions that are often questionable or   misleading…. Many climate sceptics seem to review scientific data and studies not as       scientists but as attorneys, magnifying doubts and treating incomplete explanations as        falsehoods rather than signs of progress towards the truth. … The Heartland Institute and its    ilk are not trying to build a theory of anything. They have set the bar much lower, and are happy muddying the waters.»

Comme mentionné plus haut, le comité scientifique de Friends of Science est composé de trois «experts». Il s’agit de Timothy Patterson, Madhav Khandekar et de Chris de Freitas. Tous trois sont connus pour leur contribution au Heartland Institute.

Engagement politique et scandale financier

Friends of Sciencea notamment œuvré contre les partisans du protocole de Kyoto lors de la campagne électorale fédérale de 2006. Une de ses campagnes radiophoniques a d’ailleurs été planifiée par Morten Paulsen, lobbyiste et organisateur de campagne pour le Parti Conservateur. De plus, une de leur vidéo promotionnelle apparaissant toujours sur leur site Internet aurait été financée par Talisman, un des géants canadiens de l’industrie pétrolière. Le groupe est également à l’origine de tournées dans tout le Canada afin de promouvoir l’idée selon laquelle les activités humaines ne sont pas à l’origine des changements climatiques.

En 2006, Charles Montgomery, journaliste au Globe and Mail, a révélé que Friends of Science recevait son financement directement d’un compte en fiducie à l’Université de Calgary, tirant lui-même son argent de la Calgary Fundation. Or, ce compte fut mis en place par un professeur, Dr Barry Cooper, connu pour ses liens avec Stephen Harper et le parti conservateur. Le stratagème permettait ainsi à quiconque de donner indirectement à Friends of Science à travers la Calgary Fundation tout en obtenant de généreux allégements fiscaux pour leur contribution à la science politique.

Légiférer contre la désinformation

Alors, comment pouvons-nous empêcher de telles organisations de véhiculer des informations mensongères pour leur propre intérêt et au détriment de celui de la population? La Charte canadienne des droits et libertés protège le droit fondamental à la liberté d’expression, que l’information véhiculée soit fausse ou véridique. Toutefois, en vertu de l’article 1 de la Charte, l’État est autorisé à légiférer afin de limiter cette liberté lorsque nécessaire à l’épanouissement de la société démocratique :

« La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

L’État fédéral a ainsi pu légiférer spécifiquement afin d’empêcher l’industrie du tabac de propager de fausses informations au sujet de l’impact néfaste du tabac sur la santé. Les restrictions nécessaires à la liberté d’expression ont été soutenues sans équivoque par le Procureur Général du Canada dans son jugement final sur le cas opposant l’industrie du tabac à l’État canadien :

            «Les restrictions de la liberté d’expression qui sont en cause dans la présente affaire ont pour objectif général de régler le problème de santé publique que pose l’usage du tabac, en protégeant les Canadiens contre les maladies débilitantes ou mortelles liées à l’usage du tabac. […] L’objectif du législateur consistant à combattre la promotion des produits du tabac faisant appel à des demi-vérités et incitant à faire de fausses inférences constitue un objectif urgent et réel qui est susceptible de justifier des restrictions du droit à la liberté d’expression».

Or, les changements climatiques auront aussi d’importants impacts négatifs sur la santé et les activités humaines. Ces impacts incluent notamment l’augmentation des épisodes de chaleur accablante et leur effet sur la mortalité des individus les plus vulnérables, notamment nos ainés. S’y ajoutent les problématiques liées à l’augmentation du niveau de la mer, dont la disparition de nombreux États insulaires ainsi que l’augmentation des risques d’inondation, avec toutes les souffrances et les mouvements de population qu’elles impliquent.  De plus, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) met régulièrement en garde contre d’éventuelles famines d’envergure causées par l’impact des dérèglements climatiques sur la production agricole …

En 2015, les représentants des pays membres des Nations unies se réuniront à Paris à l’occasion de ce que certains appellent « le sommet de la dernière chance ». Il sera question pour les nations d’enfin prendre des engagements contraignants en vue de réduire notre impact collectif sur le climat. Ces négociations nécessiteront plus que jamais l’appui de la population. Conséquemment, ne serait-il pas pertinent que l’État se dote d’outils empêchant des organisations telles que Friends of Science d’affirmer publiquement que les changements climatiques, cancer de notre civilisation, n’ont rien à voir avec notre mode de vie?

Le Regroupement Contre la Désinformation Climatique estime qu’il est du devoir de nos gouvernements de légiférer afin que des mensonges au sujet des changements climatiques ne fassent plus l’objet d’une promotion publicitaire.

Signataires:

Mathieu Morin,
Porte parole,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Amélie Turcot,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Béatrice Lefebvre,
M.Sc en sciences de l’environnement,
Candidate au doctorat en sociologie, UQAM

Denise Proulx,
Chargée de cours à l’Institut des Sciences de l’Environnement, UQAM

Élyse Lacoste,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Éric Duchemin,
Professeur associé et chargé de cours à l’Institut des Sciences de l’Environnement, UQAM,
Expert auteur pour le GIEC,
Co-récipiendaire du prix Nobel de la paix 2007

François Delwaide,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Guillaume Sainte-Marie,
Candidat au doctorat en sciences de l’environnement de l’UQAM

Isabelle Catafard
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Jonathan Reeves-Latour,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Julie Déziel,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Lina Leduc,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Louis Tanguay,
Candidat au doctorat en sciences de l’environnement de l’UQAM

Marc Lucotte
Professeur associé à l’Institut des Sciences de l’Environnement, UQAM

Marie-Soleil L’Allier,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Marion Dulude,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Martine Gariépy,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Maryse Poisson,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Maxime Tremblay,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Olivier Collin-Haubensak,
Candidat au doctorat en sciences de l’environnement de l’UQAM

Pierre-Luc Gagné,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Sébastien Cloutier-Marenger,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Sébastien Pétrie,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Sebastian Weissenberger,
Professeur associé à l’Institut des Sciences de l’Environnement, UQAM

Simon Massé,
Candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAR (UQAM)

Vanessa Tremblay-Carter,
Candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

Vincent Carbonnelle,
Candidat à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

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