Par Joe-Christ Ndorere
Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement
Contrairement à d’autres sources de nuisance environnementale plus classiques, la question de la pollution sonore a soulevé moins d’intérêt de la part des médias et des décideurs publics. Cependant, depuis quelques années, on observe une recrudescence du nombre de recours collectifs en lien avec le bruit environnemental. Quand le bruit devient une nuisance, il hypothèque l’état de santé des citoyens et leur bien-être, de même que leur droit de vivre dans un environnement sain et de jouir paisiblement de leur propriété. Les plaintes et débats judiciaires sur la question du bruit environnemental ont permis d’identifier les nombreuses failles du cadre réglementaire et certaines incohérences de l’action publique en cette matière. Sur ces questions, nous nous sommes entretenus récemment avec Madame Paule Halley, professeure à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement, qui est revenue sur certaines des observations et recommandations qu’elle a formulées à l’occasion des 18es Journées annuelles de santé publique organisées par l’Institut national de santé publique du Québec.
L’insécurité juridique induite par une diversité de règles et d’acteurs
Dans un premier temps, elle rappelle que le gouvernement provincial peut intervenir pour réglementer la pollution par le bruit depuis l’adoption, en 1972, de la Loi sur la qualité de l’environnement, pièce maitresse de la législation québécoise en matière de protection de l’environnement. En effet, la Loi sur la qualité de l’environnement reconnaît, en son article 1 (5), que le « son » est un contaminant susceptible d’altérer la qualité de l’environnement. Selon son sens ordinaire, le bruit est « un ensemble de sons ou de vibrations perçus comme gênants ou pénibles »[1] ; c’est également un contaminant potentiellement nuisible à la qualité de l’environnement au sens de la législation québécoise.
De manière plus particulière, le législateur a introduit dans cette loi un cadre d’intervention de l’action publique en matière de pollution sonore. D’une part, elle précise que le ministre de l’Environnement a pour fonctions de surveiller et de contrôler le bruit (article 94) et que le gouvernement peut adopter des règlements afin d’interdire, limiter et prescrire des normes d’intensité du bruit (article 95). Toutefois, le gouvernement ne s’est jamais prévalu de ses pouvoirs réglementaires, préférant se rabattre sur la rédaction d’une note d’instruction de nature administrative : la note d’instruction sur le traitement des plaintes sur le bruit et exigences aux entreprises qui le génèrent (no 98-0, mise à jour en juin 2006).
La note présente les méthodes, paramètres et instruments permettant d’évaluer l’intensité du bruit, de même que les niveaux sonores autorisés pour différentes catégories de zonage municipal. Toutefois, sa portée demeure limitée car elle ne s’applique qu’aux sources fixes de nature industrielle. De plus, la professeure Halley explique que dans plusieurs affaires, les tribunaux ont conclu que la note d’instruction n’était qu’un « guide administratif » énonçant des « normes informelles et non contraignantes » et n’ayant au final, en droit, aucune « valeur de norme légale d’un niveau maximal de bruit toléré ou tolérable ». Cela étant, la jurisprudence l’admet comme un outil d’évaluation aux côtés des expertises professionnelles sur le bruit. Cette note sert également d’outil d’analyse supplémentaire dans le processus de délivrance des autorisations environnementales.
Par ailleurs, à l’échelle municipale, la problématique du bruit est loin d’être étrangère aux institutions locales. En effet, un historique des pouvoirs de réglementation des municipalités montre que, depuis l’époque confédérative, la municipalité de Montréal dispose de pouvoirs réglementaires en matière de nuisances[2]. À ce sujet, la Cour supérieure a rappelé récemment que la compétence en matière de nuisance sonore est, par essence, locale et, de rajouter, qu’en matière réglementaire, les autorités municipalités doivent jouir d’une certaine autonomie d’action pour définir des normes propres à la réalité de leur territoire[3].
En marge de la réglementation municipale, qui demeure disparate en matière de prévention des nuisances sonores, et de la note d’instruction, sans force obligatoire et limitée aux sources fixes du secteur industriel, on retrouve, ici et là, dans des règlements sectoriels des normes applicables aux émissions sonores, notamment dans les secteurs des carrières et sablières, des usines de béton bitumineux et des activités agricoles. De plus, le droit fédéral contient lui aussi des normes concernant les émissions sonores dans les secteurs relevant de ses compétences législatives, notamment celles relatives aux avions, trains et bateaux. Selon la professeure Halley, cette diversité de règles et d’intervenants dans la lutte contre le bruit environnemental manque de coordination et est susceptible de nuire à la connaissance des citoyens sur la teneur des normes en vigueur sur un territoire donné, d’engendrer de l’insécurité juridique, de la discrimination sociale sur le plan géographique, voire de l’injustice environnementale.
Quels stratégies et moyens juridiques pour lutter efficacement contre le bruit environnemental ?
La diversité des situations et des intervenants impliqués (gouvernements, municipalités, citoyens, les experts, ONG, opérateurs privés) soulève la question de l’à-propos d’adopter une politique nationale ou un règlement contraignant sur la gestion du bruit environnemental. En pratique, la complexité et les difficultés de l’opération ne devraient pas faire obstacle à l’édification d’une politique nationale ou d’une réglementation de contrôle du bruit environnemental. Les expériences recensées, notamment dans la législation américaine (Noise Pollution and Abatement Act – Noise Control Act), hollandaise, espagnole et française, montrent qu’il est possible de concilier la mise en œuvre d’une réglementation nationale en matière de bruit avec un partage des compétences et responsabilités entre un gouvernement central et les collectivités régionales.
Par conséquent, l’approche sectorielle et de portée limitée retenue jusqu’à maintenant au Québec gagnerait à laisser place à une approche davantage encadrée et ouverte à la concertation avec les municipalités afin de ne pas compromettre l’expertise locale développée en matière de gestion du bruit environnemental. Le gouvernement devrait faire office de pont entre les différents intervenants permettant à chacun de rationaliser ses actions. À l’exemple de la Directive 2002/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 relative à l’évaluation et à la gestion du bruit dans l’environnement, le gouvernement devrait chercher àélaborer en collaboration avec les municipalités une plateforme de données cartographiques suivant une méthode d’évaluation commune pour cibler les zones sensibles au bruit.
[1]Le nouveau Petit Robert, 2009, s.v « bruit ».
[2]Acte pour amender et consolider les dispositions de l’ordonnance pour incorporer la cité et ville de Montréal, S. Prov. C. 1851, 14 & 15 Vict., ch. 128, art. LVIII.
[3]Iredale c. Mont-Tremblant (Ville de), 2011 QCCS 760 [2011] J.Q. no 1669, EYB 2011-186946, au para 106. Voir également : Michel Bélanger et Julie-Anne Parizeau, « Le Bruit », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit public », Droit de l’environnement, fasc. 26, Montréal, LexisNexis Canada, à la p. 25.