Mondialement, 70 % de nos cultures et 35 % de notre production alimentaire dépendent de la pollinisation effectuée par les abeilles. Ces importants insectes souffrent de l’usage des insecticides de la classe des néonicotinoïdes à des concentrations que l’on trouve sur le terrain. Utilisés depuis à peine une dizaine d’années, les « néonics » sont devenus la classe d’insecticide la plus utilisée dans le monde, occupant 40 % du marché des insecticides. Au Québec, la quasi-totalité des semences de maïs-grain et 30 % des semences de soya sont enrobées de néonics, ce qui représente plus de 500 000 hectares de culture chaque année. Ils se trouvent également dans certains pesticides destinés aux pelouses.
En 2013, l’Europe a imposé un moratoire sur l’usage de trois néonics sur des cultures attirant les abeilles. L’Ontario proposait en novembre un règlement afin de réduire de 80 % les superficies cultivées avec des semences de maïs et de soja traitées aux néonics d’ici 2017 et interdit depuis 2009 les néonics dans les pesticides destinés aux pelouses. Le Québec doit emboîter le pas sans plus de délai.
Les néonics agissent sur le système nerveux central des insectes : ce sont des neurotoxiques. Ils sont systémiques, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de se répandre dans tous les tissus de la plante : feuilles, racines, tige, fleurs, fruit, pollen, nectar. Les néonics sont des composés relativement mobiles dans les sols, aussi très solubles dans l’eau, et sont par conséquent aisément lessivables vers les cours d’eau, et peuvent contaminer les sources d’eau potable. Ils sont également persistants dans l’environnement, alors l’exposition est continue.
Les dangers dépassent les risques
Le « Worldwide Integrated Assessment of the Impact of Systemic Pesticides on Biodiversity and Ecosystems », effectué par un groupe international réunissant 29 scientifiques indépendants (le Groupe de travail sur les pesticides systémiques), a conclu que les néonics posent aussi un risque élevé pour un grand nombre d’espèces utiles, dont les papillons, les vers de terre, les oiseaux et une grande diversité d’invertébrés bénéfiques, en contaminant les sols, la végétation, les eaux souterraines et de surface et les habitats aquatiques et marins. L’étude affirme qu’il existe à présent suffisamment de preuves évidentes de préjudices pour instaurer des mesures réglementaires.
Considérations importantes
L’usage « prophylactique » des néonics comme traitement de semence, entre autres usages, est injustifié et abusif. Selon une étude québécoise du Centre de recherche sur les grains (CEROM) où on a comparé l’abondance des insectes ravageurs visés par les néonics et les rendements de champs avec et sans semences traitées, aucune différence significative n’a été constatée.
D’autres pesticides systémiques risquent d’entrer sur le marché, comme le flupyradifurone, un insecticide qui possède le même mode d’action que les néonics et un profil de risques écologiques similaire, dont la toxicité aiguë par voie orale pour les abeilles. Les mesures adoptées par le gouvernement doivent être durables.
Loin de protéger la production alimentaire, l’usage de néonics menace l’infrastructure même qui permet la production d’aliments, mettant en péril les organismes qui sont au coeur des écosystèmes : les pollinisateurs, les organismes clés soutenant l’équilibre écologique des habitats, tels que les vers de terre et ceux qui contrôlent de manière naturelle les organismes indésirables.
Réduire, voire éliminer les néonics pourrait également avoir des co-bénéfices sur la santé humaine. L’Autorité européenne de sécurité des aliments a conclu que les néonics peuvent avoir une incidence sur le développement du système nerveux humain. Or nous savons que ceux-ci se retrouvent dans les rivières et les puits échantillonnés par le ministère de l’Environnement du Québec.
Il y a urgence d’agir d’ici la fin de 2015. Nous demandons au gouvernement du Québec de renforcer l’encadrement juridique sur les néonics et tout pesticide systémique en vue d’éliminer la présence de ceux-ci dans l’environnement.
Source – Ont signé cette lettre:
Sidney Ribaux, directeur général d’Équiterre
Karel Mayrand, directeur général pour le Québec à la Fondation David Suzuki
Léo Buteau, président de la Fédération des apiculteurs du Québec
Caroline Poirier, vice-présidente de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique
Jean Zigby, président de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement
Madeleine Chagnon, professeure associée au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et coauteure du «Worldwide Integrated Assessment of the Impact of Systemic Pesticides on Biodiversity and Ecosystems»