René Audet, Institut des sciences de l’environnement, membre de la délégation AQLPA à la COP21
Ce vendredi, suite à une nuit de travail des délégations, les négociations se déroulent derrières des portes closes, en rencontres bilatérales ou en petits groupes de décideurs stratégiquement sélectionnés. Le Président de la COP Laurent Fabius a annoncé tôt ce matin qu’une nouvelle version du texte de l’accord serait présentée demain, samedi. C’est donc dire que les délégués non gouvernementaux (comme moi) et les journalistes sont contraints d’errer dans le centre de conférence…
Profitons-en pour faire œuvre utile! Mon projet d’aujourd’hui est de remettre l’éventuel Accord de Paris dans le contexte des négociations climatiques lancées en 1992 avec l’adoption par le Sommet de la Terre de RIO de la Convention-cadre des nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Il existe entre cette convention, le Protocole de Kyoto et la COP21 une continuité qu’il n’est pas si facile de saisir. Ce billet – avec le schéma qui l’accompagne – permettra de mieux comprendre l’enchainement des évènements ayant mené au projet actuel d’accord.
La Convention-cadre
La CCNUCC fut adoptée lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, aussi appelé « Sommet de la Terre », à Rio en 1992. Son objectif, énoncé à l’article 2, « est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. » Ce texte comporte des articles sur plusieurs sujets qui donnèrent lieu à des discussions subséquentes, dont la question du financement des pays en développement pour lutter contre le changement climatique. La Convention prévoit aussi la création d’une Conférence des Parties (COP) devant régulièrement faire « le point de l'application de la Convention et de tous autres instruments juridiques connexes qu'elle pourrait adopter » (article 7). Le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, constitue un premier instrument juridique issu de la Convention-cadre.
Le Protocole de Kyoto
Le Protocole est entré en vigueur en 2005 après qu’un nombre suffisant de pays représentant un grand pourcentage des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) l’eut ratifié. Il engage les pays développé – auquel on demandait de prendre le leadership dans la lutte au changement climatique – à réduire de 5% en moyenne leurs émissions de GES par rapport au niveau de 1990 sur une période de 5 ans, de 2008 à 2012. Le PK permet aussi de mettre sur pied de nouveaux mécanismes internationaux venant appuyer les efforts des pays développés, comme le Mécanisme de développement propre et les marchés du carbone. Il propose une méthodologie rigoureuse de comptabilisation des émissions qui continue de servir de modèle dans les négociations actuelles.
Kyoto 2
Les discussions pour ouvrir une deuxième période d’engagement sous le Protocole de Kyoto furent lancées à la COP11 de Montréal en 2005. Ces discussions n’aboutirent qu’en 2012 à la COP18 pour des raisons complexes et politiques. D’une part, les pays développés considéraient que les pays émergeants étaient dorénavant capable de participer à l’effort de réduction, d’autant plus qu’ils représentaient des émetteurs de plus en plus importants. L’ensemble des pays en développement ne voyait pas cela du même œil. D’autre part, le fait que les États-Unis ne ratifièrent jamais le premier protocole contribua à l’affaiblir. En 2011, le Canada et le Japon annoncèrent leur sortie du protocole. Il ne reste donc plus que les pays membres de l’Union européenne et quelques autres dans la deuxième phase d’engagement. Malgré tout, cette deuxième période d’engagement a bien lieu. Elle permet notamment à l’Union européenne de poursuivre l’expérience du marché du carbone dont les bases reposent en partie sur le Protocole de Kyoto.
Le Plan d’Action de Bali
En 2007 à Bali, les pays en développement se liguèrent pour créer une « deuxième voie de négociation », en parallèle des discussions sur la deuxième période d’engagement sous le Protocole de Kyoto. Le Plan d’action abordait plusieurs enjeux d’importance, notamment pour les pays en développement : une vision à long terme pour la lutte contre le changement climatique qui a donné lieu à l’apparition de la cible du 1.5 degré; les engagements pour l’atténuation (les 2 annexes des décisions de la COP16 de Cancun contiennent les cibles des pays développés et des pays en développement); l’adaptation au changement climatique et le transfert de technologie, pour lesquels des mécanismes a été mis sur pied; la création d’un dispositif pour la réduction des émissions liées à la déforestation (REDD+) et le financement des efforts des pays en développement qui a donné lieu à la création du Green Climate Fund. Le plan d’action n’est donc pas un traité en tant que tel, il s’agit plutôt d’un ensemble de décisions de la COP ayant pour effet de créer des mécanismes et de préciser les éléments de leur gouvernance.
De la Plateforme de Durban à l’Accord de Paris
L’épisode des négociations sur la seconde période d’engagement sous Kyoto et sur le Plan d’action de Bali ne fut pas de tout repos. La poursuite des négociations en deux « voies » (two-tracks dans le jargon des COP) favorisait notamment une dynamique d’adossement : « nous ne bougerons pas sur le PK si vous ne bougez pas sur le Plan d’action », et vice-versa. L’échec de la COP15 de Copenhague a permis de vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un bluff. Le grand succès de la COP16 de Cancun fut de produire une entente que l’on disait « équilibrée » entre ces deux textes. Et le grand succès de la COP17 de Durban fut de trouver une sortie de ce double processus : les deux textes allaient devoir être finalisés l’année suivante à Doha, en même temps qu’un nouveau cycle de négociation allait être lancé. Ainsi, la « Plateforme de Durban pour l’action améliorée » allait-elle viser la mise sur pied d’un accord plus ambitieux, ayant un statut juridique renforcé devant prendre effet en 2020. Entre temps, l’entente de Durban prévoyait que les partis se donnent des cibles pour notamment combler le fossé d’ici 2020. C’est pourquoi les partis ont convenu d’un format, à la COP20 de Lima, pour déclarer leurs « contributions » – les fameux INDC qu’il s’agit maintenant de renforcer.
L’Accord de Paris est donc une promesse faite à Durban en 2011. Il repose à la fois sur des engagements à réduire les émissions dans les cinq prochaines années et sur le projet de se donner de nouvelles cibles périodiquement, à chaque cinq ans. Il permettra aussi de formaliser une série de règles et de dispositifs concernant le format des cibles, le financement, l’adaptation et d’autres sujets déjà présents dans les accords précédents.
Et c’est demain (espérons-le!) que nous saurons si cet accord sera réellement ambitieux.
Note : Tous les textes produits par la COP et la CCNUCC sont disponible ici : http://unfccc.int/2860.php