Le 4 juillet dernier, le Gouvernement du Québec annonçait par voie de communiqué le lancement de sa Stratégie de soutien à l’agriculture urbaine. Cette nouvelle stratégie, dont les modalités restent à préciser, est accompagnée d’une enveloppe de deux millions de dollars. Ce premier soutien officiel de l’État québécois constitue un bon moment pour faire le point sur la situation l’agriculture urbaine au Québec et mesurer l’étendue du chemin parcouru.
Toit vert du Centre Culture et Environnement, Québec
Au début des années 2000, j’animais des jardins collectifs dans la région de Québec. À l’époque, l’expression « agriculture urbaine » n’était à peu près pas utilisée, hormis par certains chercheurs pour qui elle désignait un phénomène d’autoproduction à des fins de survivance, principalement dans les villes des pays “en voie de développement”. En Amérique du Nord, exception faite des jardins communautaires mis en place à partir des années 1970 à des fins de loisirs et des quelques jardins collectifs naissants, l’idée d’une agriculture spécifiquement urbaine paraissait sinon risible, du moins très marginale.
Pourtant, l’histoire semble avoir donné raison aux quelques militants qui prônaient la réappropriation de l’espace urbain à des fins de production alimentaire, de lutte contre la pauvreté, de création de liens sociaux et de verdissement des quartiers, notamment. En effet, de nombreuses recherches appuient désormais l’idée que l’agriculture urbaine constitue un outil flexible de développement durable pour les collectivités. Sa popularité ne se dément plus, si bien que les municipalités doivent désormais répondre à cette demande sociale qui ne se limite pas uniquement aux citoyens, mais également aux entreprises et aux institutions. Prenons quelques cas de figure pour s’en convaincre.
Intersection des rues Drolet et Castelneau, Montréal
Montréal. 2012. Environ 30 000 personnes signent une pétition demandant à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) de tenir des consultations sur l’agriculture urbaine. Plus de 100 mémoires sont déposés et 42% des Montréalais disent pratiquer l’agriculture urbaine. Le rapport de l’OCPM est alors sans équivoque : il y a nécessité de nommer un interlocuteur à la Ville de Montréal et de créer une instance de concertation afin d’assurer le développement harmonieux de l’agriculture urbaine sur le territoire montréalais. Au moment d’écrire ces lignes, la plateforme de cartographie participative agriculturemontreal.com fait état de plus de 134 hectares d’initiatives d’agriculture urbaine et de 369 ruchers dans la région de Montréal. Des fermes urbaines aux aménagements comestibles en passant par des jardins de tout acabit, les sols cultivés gagnent du terrain sur l’asphalte. Même les brebis s’en viennent tondre les pelouses dans l’arrondissement Rosemont-La-Petite-Patrie!
Dans la Ville de Québec, une recension réalisée en 2014 par Vivre en Ville a permis d’identifier 87 initiatives d’agriculture urbaine, une augmentation substantielle par rapport aux années précédentes. Plusieurs autres initiatives se sont ajoutées depuis. La Fête des semences et de l’agriculture urbaine de Québec attire une foule chaque année grandissante. En mars 2016, c’est près de 4 000 personnes qui se sont déplacées pour en apprendre davantage sur le jardinage, rencontrer les producteurs de semences québécois et les artisans de l’agriculture en milieu urbain. De plus en plus de restaurants, hôtels et institutions se dotent d’un potager ou d’une terrasse jardinée pour le confort et le palais de leurs clients. Depuis trois ans, même la façade de l’Assemblée Nationale du Québec est ornée d’un grand jardin permettant aux visiteurs nombre de découvertes horticoles.
Jardin potager devant l’Assemblée Nationale, Québec
Les autres régions du Québec ne sont certainement pas en reste puisque l’on voit éclore des forêts nourricières – des petits écosystèmes alimentaires inspirés de la permaculture – en Gaspésie, au Saguenay – Lac-Saint-Jean, dans les Laurentides et Lanaudière, notamment. En fait, le mouvement des Incroyables comestibles se répand partout au Québec, de Gatineau à Rimouski en passant par Sherbrooke et Saint-Élie-de-Caxton. De plus en plus de municipalités, à l’instar de Chambly, Victoriaville et quelques autres, autorisent désormais les citadins à élever quelques poules dans leurs cours. Des municipalités régionales de comtés (MRC) comme Argenteuil mènent également des projets d’agriculture communautaire destinés à nourrir les ménages les plus vulnérables.
Signe d’un intérêt du grand public pour le jardinage et l’agriculture de proximité, des émissions de télévision telles que Le Fermier urbain de Ricardo et les Urbaincultrices attirent les téléspectateurs, presque aussi friands des jardins que des recettes de cuisine, les deux se mariant évidemment à merveille. La quotidienne radiophonique Bien dans son assiette de Radio-Canada a maintenant une chronique régulière sur l’agriculture urbaine.
L’intérêt des jeunes – et des boomers – pour l’agriculture à petite échelle est indéniable. Les programmes collégiaux de formation en agriculture biologique comptent plus d’étudiants que jamais. La participation, bon an mal an, d’environ 200 personnes à l’école d’été en agriculture urbaine de Montréal a également contribué à la diversification et la professionnalisation de la pratique. Des petites entreprises agriurbaines voient d’ailleurs le jour occuper des niches laissées vacantes par l’industrie et se rapprocher des mangeurs. Dans un contexte où la relève agricole traditionnelle est insuffisante, plusieurs de ces jeunes sont à la recherche d’espaces pour cultiver des denrées et nourrir leur communauté.
Jardins communautaires aux Habitations Jeanne Mance, Montréal
Face à cette mouvance qui ne semble pas en voie de s’essouffler, le milieu agricole se montre ouvert, mais tout de même sur ses gardes. Tant que l’agriculture urbaine demeure une vitrine pour la « vraie » agriculture, il n’y a pas de véritable enjeu. Mais cela pose pourtant une question fondamentale : quelle agriculture est la plus à même de nourrir nos villes et nos villages? Dans un contexte de changements socio-environnementaux si important, le Québec est mûr pour une réflexion en profondeur sur ses agricultures, y compris l’agriculture urbaine et périurbaine. De la ville à la campagne, du Sud au Nord, c’est la vocation nourricière du territoire qu’il nous faut réaffirmer. Il en va de notre capacité à assurer la sécurité alimentaire de l’ensemble de la population, de la qualité de nos milieux de vie et de la cohérence de nos politiques publiques.
Par sa Stratégie de soutien à l’agriculture urbaine, le Gouvernement du Québec semble vouloir encourager le développement d’une agriculture écologique pratiquée à proximité des milieux de vie en soutenant ses artisans et leur partenaire incontournable : le monde municipal. Il s’agit d’un pas important vers une reconnaissance formelle de l’agriculture comme activité urbaine à part entière. Espérons maintenant que la collectivité québécoise saura suffisamment s’investir pour pérenniser les initiatives mises en place et garantir que celles qui fleuriront à l’avenir auront aussi une place au soleil.
Vincent Galarneau Conseiller Agriculture et environnement, Vivre en Ville Vincent Galarneau est titulaire d’un baccalauréat en sciences de l’environnement et d’une maitrise en anthropologie de l’Université Laval. Il a coordonné la réalisation de jardins collectifs et participé à des projets de recherche et de développement sur l’agriculture urbaine et la mise en marché des aliments locaux. Conseiller et conférencier pour Vivre en Ville depuis 2012, il s’intéresse aux rôles de l’alimentation, de l’agriculture et de la végétation dans l’aménagement des milieux de vie. Vincent Galarneau est le rédacteur principal de Villes nourricières: mettre l’alimentation au cœur des collectivités, un ouvrage de Vivre en Ville paru en 2015. Il est également membre de plusieurs groupes de travail sur les systèmes alimentaires durables et jardinier dans la région de Québec. |