Il y a trois ans, si on l’avait mis en garde contre les pesticides, Noël Rozé, éleveur laitier, aurait «rigolé», mais il a pris un virage radical et vient de se convertir au bio: le cancer est passé par là.
«J’étais un adepte des phytosanitaires», reconnaît l’éleveur, installé à Caro, en Bretagne. «Mais quand je me suis retrouvé à l’hôpital, je me suis mis à penser à tous les agriculteurs que je connaissais et qui sont morts d’un cancer, à commencer par mon père, mort quand j’avais huit ans.»
Une palette de cancers, des cas de Parkinson ou autres maladies neurodégénératives: agriculteurs, techniciens agricoles ou employés dans les espaces verts, ils sont nombreux à avoir développé ces maladies lourdes, souvent liées aux pesticides qu’ils manipulaient régulièrement dans leur travail.
Les effets sur la santé de l’exposition aux produits phytosanitaires ont déjà été évoqués dans le cas des vignerons qui en sont les principaux utilisateurs en France. Mais en dehors de la vigne, la prise de conscience reste encore très modeste.
Quand le technicien agricole qui assure le suivi des exploitations passe dans une ferme, «en cinq minutes, il réussit à rassurer l’agriculteur sur tous les soupçons qu’il aurait pu avoir», déplore Noël Rozé, grand gaillard à l’apparence indestructible.
«J’ai commencé très tôt à travailler avec ces produits et personne ne parlait de leurs dangers (…) On bouffait les vapeurs sans se rendre compte, on travaillait sans protection», se souvient-il.
Collectif de soutien aux victimes des pesticides
Pourtant, le problème est bien présent. Il y a un an, Michel Besnard a fondé avec d’autres un «Collectif de soutien aux victimes des pesticides». Rapidement, plusieurs dizaines de personnes qui, jusqu’alors, vivaient leur maladie en solitaire, ont pris contact avec le collectif.
«Une majorité de paysans, des salariés agricoles mais aussi des techniciens travaillant dans les espaces verts. Le dernier (malade) rencontré traitait le varron (un parasite) dans les fermes. Il a développé un cancer des voies biliaires. C’est la colère qui nous mène!», assure l’énergique bénévole, à la retraite depuis peu.
Francis Sourdril a passé toute sa carrière dans les services espaces verts de collectivités territoriales. «J’ai commencé en 1974, à une époque où on ne supportait pas le moindre brin d’herbe qui dépasse», se souvient-il. «J’étais en charge de la roseraie. J’y allais à fond avec les produits, il fallait créer de l’émotion. On pulvérisait même en l’air pour traiter les pergolas et les gouttes retombaient sur nous…»
Ce n’est qu’au milieu des années 90 que les équipements de protection sont apparus, accompagnés d’examens de santé spécifiques chaque année.
«A partir de 2004, j’ai commencé à avoir mal partout, une grosse fatigue, je maigrissais. Les médecins ne trouvaient rien. On me parlait d’arthrose». Finalement, en 2016, le verdict est tombé: à 62 ans, Parkinson.
«J’ai retrouvé 48 spécialités commerciales que j’utilisais, dont 37 sont aujourd’hui retirées du marché», comptabilise le paysagiste. Avec cette maladie, «on est inscrit dans une déchéance programmée dont on ne connaît pas le calendrier», souligne-t-il, fataliste.
Administration réticente
Comme d’autres, Noël Rozé et Francis Sourdril ont entamé les démarches pour que leur état soit reconnu comme maladie professionnelle. Mais tous se plaignent du parcours du combattant imposé par une administration réticente à leur reconnaître ce statut.
L’administration «fait de l’obstruction permanente (…) Tout est fait pour que les gens ne soient pas informés de leurs droits», dénonce Michel Besnard dont le Collectif aide ceux qui le souhaitent à constituer leur dossier. «D’où l’importance de l’action collective: quand on arrive à deux ou trois dans un bureau, la personne est tout de suite mieux prise en compte…»
«Ceux qui soutiennent les pesticides sont des criminels», affirme l’animateur du collectif, soulignant «les vies détruites et les drames créés par ces produits dans les familles».
«La maladie est partout dans les campagnes, mais, considère-t-il, on n’en parle pas à cause de la pression sociale.»
Source : Agence France Presse