Humaniser la ville

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Le «Mange-Trottoir» situé sur la rue de Castelnau. Photo: Nathalie St-Pierre

Montréal, comme plusieurs grandes villes de la planète, mise sur la qualité de vie pour convaincre les citoyens de s’y installer.

C’était l’une de ces soirées de juillet où le soleil s’accroche à l’horizon. Sur le parvis de l’église Sainte-Cécile, dans le quartier Villeray, le vieux piano mis à la disposition des passants s’animait sous les doigts d’un citoyen doué. Des dizaines de résidants avaient pris le temps de s’arrêter pour l’écouter, tandis que de l’autre côté de la rue de Castelnau, les discussions allaient bon train dans les «placottoirs», ces aires de détente sous forme de terrasses non commerciales qui ont essaimé à Montréal au cours des dernières années. À quelques pas de là, des citoyens désherbaient les potagers improvisés dans les saillies du trottoir, une autre innovation urbaine joliment désignée «Mange-Trottoir». Quelques cyclistes empruntaient la piste cyclable. Peu de voitures circulaient sur la voie à sens unique.

Ce scénario aurait été impensable il y a à peine 10 ans. La rue de Castelnau, à double sens, n’avait ni piste cyclable ni placottoirs. Ce sont les citoyens et les élus du quartier qui ont travaillé de concert afin de mettre en place des aménagements visant à renforcer les interactions sociales. «C’est ce que l’on appelle de l’acupuncture urbaine ou de l’urbanisme tactique, explique Sylvain Lefebvre, professeur au Département de géographie et directeur du Groupe de recherche sur les espaces festifs. Les gens ont envie de se réapproprier les rues et les ruelles de leur quartier, qui étaient jadis des espaces de socialisation. C’est un phénomène à l’œuvre dans plusieurs grandes villes sur la planète, y compris Montréal.»

Réduire la place de l’auto

La rue est au cœur même de l’histoire des villes. Autrefois, on y commerçait, on y déambulait, on y discutait et on y faisait du sport. On s’y est promené en carriole, puis en tramway. L’arrivée de l’automobile a tout bouleversé, refoulant les gens sur les trottoirs. «Dans certaines villes, les voies carrossables, les stationnements et les stations-services occupent aujourd’hui jusqu’à 50 % de la superficie totale», fait remarquer le géographe.

L’heure de pointe sur la piste cyclable au coin des rues Berri et Cherrier. Photo: Nathalie St-Pierre

Humaniser la ville passe forcément par une volonté de réduire la place accordée à l’automobile, source de pollution sonore et environnementale. New York l’a fait en piétonnisant de nombreux espaces, dont Times Square et une partie de l’avenue Broadway, en plus de créer ds espaces publics attrayants, comme la High Line, cette infrastructure ferroviaire désaffectée devenue l’un des lieux de déambulation les plus connus à travers le monde. Si New York peut le faire, pourquoi pas Montréal?

On se réjouit de la popularité croissante de la voiture électrique et de la multiplication des services d’autopartage et de véhicules en libre-service, mais les chiffres ne mentent pas: le nombre de voitures ne cesse d’augmenter à Montréal. «Nous traitons la culture de l’automobile comme une fatalité, mais ce n’est pas le cas. Il faut être plus coercitif, par exemple en réduisant les places de stationnement ou en augmentant leur tarification», estime Florence Paulhiac, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM et titulaire de la Chaire de recherche-innovation en stratégies intégrées transport-urbanisme (In.SITU).

Maire de l’arrondissement Rosemont–La-Petite-Patrie et doctorant en études urbaines, François Croteau (M.B.A., 07) partage cet avis. «Il faut une politique publique beaucoup plus agressive envers la voiture», juge-t-il. Cela implique, selon lui, de faire des choix controversés: retrancher une voie de circulation, par exemple. «Même si c’est contre-intuitif, cela n’augmente pas la congestion, dit-il. Dans toutes les villes du monde où une voie de circulation a été convertie en piste cyclable ou en voie réservée aux autobus, on a observé une diminution de la congestion automobile due au transfert modal.»  Même sur les grandes artères, les commerçants qui maugréent finissent par reconnaître que la piétonisation a du bon. «Leur chiffre d’affaires augmente, car les clients déambulent librement, discutent et tendent à demeurer sur place plus longtemps que s’ils étaient venus en voiture», explique Sylvain Lefebvre.

Encore plus d’espaces verts !

La ruelle Milton, une ruelle verte située en plein centre-ville, juste au nord de la rue Sherbrooke, entre les rues Clark et Saint-Urbain. Photo: Nathalie St-Pierre

L’un des plus grands défis des villes comme Montréal est de retenir les familles qui s’exilent en banlieue, où elles ont les moyens d’acquérir une maison avec un terrain. «On ne peut pas contrôler le prix des propriétés, alors il faut miser sur l’accès aux services de proximité en matière de transport, de loisirs, de santé et de consommation, estime François Croteau. C’est l’avantage comparatif des grandes villes telles que Montréal. La banlieue, où il faut utiliser sa voiture pour toutes les courses, ne pourra jamais concurrencer cela.»

Une ville à échelle humaine doit être pensée en fonction des besoins réels de ses résidants, affirme Florence Paulhiac. «Il faut écouter les gens, comprendre leurs modes de vie, leurs habitudes et leurs aspirations», note la professeure. Les études révèlent que ceux qui choisissent d’habiter en ville veulent d’abord et avant tout éviter de passer trop de temps dans les transports pour se rendre au travail, d’où la nécessité d’investir dans les transports collectifs. «Cela dit, le transport en commun est particulièrement efficace à Montréal, rappelle la chercheuse. Plus qu’à Vancouver et à Portland, en Oregon, deux exemples souvent cités comme modèles de villes à échelle humaine.»

Les citadins veulent également des parcs sécuritaires, des espaces verts bien aménagés et des espaces publics agréables à fréquenter. Et ils n’attendent plus nécessairement les pouvoirs publics pour réaliser des projets qui embellissent leur milieu de vie. Sylvain Lefebvre a vu le phénomène à l’œuvre à Detroit, une ville qui tente de se reconstruire depuis la débâcle de l’industrie automobile et la crise financière de 2008. «Là-bas, on ne se fie plus à l’État, raconte-t-il. Le credo est: Do it yourself. On en revient au troc, aux échanges de services, au partage entre voisins.»

À Montréal, ce sont de plus en plus les comités de quartier et de ruelle qui font bouger les choses et qui incitent les administrations publiques à leur emboîter le pas. «C’est là que se joue au quotidien l’enjeu d’une ville à échelle humaine», constate François Croteau, qui est particulièrement fier des ruelles vertes créées par les citoyens de son arrondissement. «Quand j’ai été élu, il y avait cinq ruelles vertes. Cette année, nous inaugurerons la 100e!», souligne-t-il.

«Le verdissement est l’un des meilleurs moyens pour humaniser la ville», croit Éric Duchemin (Ph.D. sciences de l’environnement, 00), professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement et directeur du Laboratoire sur l’agriculture urbaine. «Et l’on ne parle plus uniquement de planter des arbres.» Le chercheur salue les initiatives comme les potagers Mange-Trottoir du quartier Villeray, un projet citoyen qui vise à cultiver des plantes dans les saillies de trottoirs traditionnellement aménagées par la Ville. «L’agriculture urbaine est de plus en plus populaire, car les citadins aussi aiment jouer dans la terre. Il n’y a rien de plus apaisant», souligne Éric Duchemin.

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Source : Actualités UQAM

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