Protection et la mise en valeur des milieux naturels : les dangers d’une financiarisation verte?

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Par Sophie Fillion

 

La CMM a officialisé, le 1 mai dernier, la création de la Table des maires et mairesses pour la protection et la mise en valeur des milieux naturels du Grand Montréal. Cette initiative se veut une plate-forme pour permettre aux élus d'échanger sur les meilleures pratiques et les outils à leur disposition afin de soutenir la mise en oeuvre du Plan métropolitain d'aménagement et de développement (PMAD).

Ce dernier a pour louables objectifs de protéger 17 % du territoire du Grand Montréal et de porter son couvert forestier à 30 %, seuil au deçà duquel on assiste à une perte de biodiversité. Néanmoins, au-delà des beaux discours et des impératifs tangibles, la protection de l’environnement revêt une dimension politico-légale qui se doit d’être abordée. Ce sujet fut par ailleurs traité par Me Marc-André LeChasseur, avocat en droit municipal et professeur adjoint à l'école d'urbanisme de l'Université Mc Gill, lors du point de presse tenue par la CMM.

 

Un flou législatif

Qu'en est-il exactement? Grosso modo, si la Loi sur le développement durable du Québec dicte les principes à intégrer par l’administration publique afin de mettre en place un cadre de gestion respectueux de l’environnement et de la biodiversité, il n’en demeure pas moins que le fardeau de la mise en œuvre de la planification et de la coordination des actions en aménagement du territoire est dévolu aux MRC et municipalités locales, comme prescrit par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU). Et cela prend tout son sens du fait que ces dernières sont les mieux placées pour connaitre et adresser les enjeux propres à leur territoire[1].

 

Il est conséquemment étonnant d’apprendre que les dispositions de la Loi DD ne trouvent qu’un très faible écho par la formulation d’obligations à l’intérieur de la LAU et par le fait même, à l’intérieur des schémas d’aménagement et de développement (SAD) et des plans d’urbanisme (PU). La responsabilité légale d’une gestion durable des milieux naturels s’y présente davantage sous la forme d’éléments facultatifs reposant sur la volonté des acteurs locaux et régionaux.

 

À titre d’exemple, l’obligation de déterminer les grandes orientations de leur territoire offre aux MRC et aux municipalités la possibilité d’inclure le DD dans l’aménagement territorial, quoique la profondeur et l’interprétation de cette prise en compte soient laissées à leur discrétion. On constate un manque de cohérence entre les contenus obligatoires des SAD et des PU prescrits par la LAU par rapport aux orientations du gouvernement sur le sujet. Autrement dit, les acteurs locaux disposent de moyens certains d’assurer la protection de leurs écosystèmes si et seulement s’ils choisissent de le faire. Mais qu’en est-il vraiment des moyens retenus par la CMM pour la mise en œuvre de ses ambitieux objectifs?

 

La valeur économique des écosystèmes

À l’heure actuelle, on assiste à une appropriation des terres par le secteur privé qui s’intensifie sous les pressions du développement urbain. Cela amène à devoir trouver des moyens légaux, entendre ici économique, de protéger l’environnement du domaine privé. La tendance actuelle revient pour ainsi dire à attribuer une valeur économique aux écosystèmes basée sur les biens et services rendus. D’autant plus que les gouvernements affirment que les finances publiques ne peuvent plus assurer seules la gestion durable des forêts et qu’il faut donc faire appel à des fonds privés. À l’évidence, ces fonds privés ne vont venir que dans la mesure où il y a un profit à faire tel que démontré par les systèmes de compensation écologique, la biorégionalisation et les biobanques[2].

 

Bien que cette pratique semble la réponse logique afin d’inscrire la nature comme variable dans les systèmes de gestion et de développement, on doit se mettre en garde contre une surfinanciarisation de la biodiversité. Le fait de traiter les écosystèmes selon une logique économique avec la production de titres et leur spéculation risque de réduire notre conception de la nature à celle de capital à rentabiliser, pour lequel même une perte de biodiversité devient synonyme de profits[3].

 

Orientations de la CMM

Ainsi, la CMM se propose d’importer la vision mercantile de la nature telle que pratiquée par nos voisins du sud par l’utilisation d’outils économiques afin d’encadrer la réalisation d’objectifs de protection et de conservation. Sachant qu’à l’heure actuelle, le bilan des milieux naturels sur le territoire affiche un constat alarmant avec seulement 19% de milieux naturels et 9,6% de zones protégées, il y a tout lieu de se demander si la CMM se donne vraiment les moyens de ses ambitions.

 

Par exemple, la CMM a approuvé la modification du SAD de la MRC de la Vallée du Richelieu comme quoi celui-ci était en concordance avec les énoncés du PMAD et ce, en dépit du fait que la MRC n’affiche qu’un couvert forestier de 17% et aucun plan stratégique pour l’en augmenter[4]. Et puis, il faut mentionner que les collectivités du Grand Montréal n’ont pas toutes le même poids et que le manque d’efforts de certaines mène souvent à pénaliser les plus vaillantes. Sans parler de la question de la reconnaissance des agriculteurs dans la préservation des écosystèmes telle que soulevée dernièrement par la pétitionréclamant leur rémunération pour contribution à la conservation et à la régénération des sols. Toutes ces questions demeurent en suspens.

 

Le temps est venu

En dépit des bonnes intentions affichées par la CMM, il y a tout lieu de se demander si cette dernière se pose les bonnes questions. C’est-à-dire comment soustraire la nature de la logique économique et ainsi lui assurer le juste traitement que son statut de bien collectif lui confère? Lors de la conférence de presse, Me LeChasseur a soulevé la reconnaissance par les tribunauxdu caractère collectif des milieux naturels et de la jurisprudence existante en ce sens. On n’a qu’à se remémorer la décision de la cour d’appel dans l’affaire Sutton qui démontre bien qu’il n’y a pas de droits acquis en matière d’environnement. Le temps est venu d’aller collectivement de l’avant afin d’établir une fois pour toutes, un cadre légal assurant la protection de nos milieux naturels.

La CMM, s’elle veut réaliser ses objectifs, se doit de les traduire en obligations légales et ne pas faire de compromis quant à la protection et l’utilisation durable des milieux naturels. Cela passe, en autres choses, par la protection avant la réhabilitation, l’inclusion des conceptsde capacité́ de charge et des principes de gestion adaptative, ainsi que la caractérisation en amont de l’élaboration des plans d’urbanisme. Elle se heurte bien-sûr à d’imminents risques de poursuites et de fortes oppositions, mais à la lumière de la législation et de la jurisprudence existante et forte de l’appui des élus et des collectivités, il est grand temps d’agir. Nous ne pouvons négocier avec mère-nature afin qu’elle s’ajuste à nos modes de vie.



[1]
https://www.usherbrooke.ca/environnement/fileadmin/sites/environnement/documents/Essais_2015/Lambert_PA__2015-01-19_.pdf

[2] https://www.youtube.com/watch?v=OUMHl91DArI

[3]http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/439906/trop-de-finance-nuit-a-l-economie-previent-le-fmi

[4]http://www.mrcvr.ca/territoire_amenagement.php?menu2=2

 

Source: GaïaPresse

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