« Il est possible et nécessaire de démondialiser, décroître et coopérer »

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Aurélien Bernier collabore régulièrement au Monde diplomatique. Se revendiquant de la démondialisation, il est l’auteur de nombreux ouvrages et spécialiste des questions politiques gravitant autour de l’écologie. À l’occasion de la sortie de son essai « La démondialisation ou le chaos » aux éditions Utopia, il nous a accordé un entretien au cours duquel on a pu discuter du programme qu’une gauche radicale digne de ce nom pourrait défendre. Au menu : démondialisation, sortie de l’Union européenne, écologie politique – l’autre nom de la décroissance – relocalisation et dénonciation des faux-semblants.

Le Comptoir : Selon vous, une alternative anticapitaliste doit reposer sur trois piliers : la démondialisation, la décroissance et la coopération internationale. En quoi ces trois composantes sont-elles essentielles ?

bernierAurélien Bernier : Pendant longtemps, j’ai insisté sur la nécessité de rompre avec les grands piliers de la mondialisation néolibérale : le libre-échange, le productivisme et, pour ses États membres, l’Union européenne. Il faut continuer à montrer pourquoi cette rupture est indispensable et comment elle peut être conduite. Mais ce n’est pas assez. Ceux qui nous disent que la sortie de l’euro ou de l’Union européenne ne suffisent pas à sortir du capitalisme ont tout à fait raison, et il faut aller beaucoup plus loin.

La mondialisation n’est pas qu’un problème d’institutions supranationales ou de traités commerciaux. Le problème qui englobe tous les autres est la domination des multinationales sur la sphère politique. Et, pour y mettre fin, du protectionnisme en France et la relocalisation d’une partie de l’activité ne sont pas suffisants. Ces mesures ne permettent pas, par exemple, de briser la mainmise des marchés sur les matières premières des pays du Sud. Elles ne permettent pas de modifier le comportement à l’étranger des multinationales françaises, souvent prédateur et parfois même criminel.

Nous avons besoin de penser en même temps la rupture (c’est à dire la sortie de l’Union européenne, de l’euro, des accords de libre échange…) et une véritable coopération internationale. Or, nous n’arrivons plus à penser la coopération. Nous avons tellement intériorisé le cadre de la concurrence internationale que nous n’osons plus imaginer de véritables mécanismes coopératifs, au niveau commercial, mais aussi dans la sphère non-marchande. Les propositions de la gauche radicale en la matière sont très limitées. Instaurer des taxes globales pour les redistribuer part d’une bonne intention, mais s’avère totalement impossible à mettre en œuvre, aujourd’hui et pour encore longtemps. Annuler la dette des pays pauvres est indispensable, bien que là aussi peu crédible, mais ce n’est pas de la coopération. Coopérer, c’est littéralement “faire ensemble”. Que ce soit dans les programmes politiques de gauche ou dans les discours altermondialistes, nous ne trouvons à ce sujet quasiment plus rien de concret, d’accessible, dans lequel nous pourrions nous projeter, alors même que nous sommes au bord d’un chaos planétaire qui impose de repenser l’ordre international.

Quant à la décroissance, il faut l’assumer. La crise écologique est avant tout une crise de la surconsommation, et pas seulement un problème de pollution comme les tenants du capitalisme essaient de nous le faire croire. Il faut réduire la consommation matérielle mondiale, la répartir équitablement, et cela s’appelle la décroissance. L’idée qu’une “autre croissance” est possible, défendue tant par la classe dominante que par la gauche non décroissante, a exactement la même fonction politique que celle d’une “autre Europe” : elle entretient l’illusion d’une réforme possible pour écarter l’idée de rupture.

La question institutionnelle est presque entièrement absente de votre livre. Un mouvement authentiquement socialiste pourrait-il se passer d’une vraie réflexion sur les institutions ?

Vous avez raison en ce qui concerne les institutions nationales, dont je ne parle quasiment pas. Ce n’est tout simplement pas le sujet du livre et je n’avais pas la prétention de faire un livre-programme exhaustif. Je pense également, je l’avoue, que l’on pourrait déjà faire énormément de choses dans le cadre des institutions de la Ve République. Je ne dis pas que ces institutions sont bonnes, bien au contraire. Mais rien qu’en supprimant la primauté du droit européen sur le droit national, une majorité de gauche radicale soutenue par les classes populaires pourrait mettre en place un programme anticapitaliste.

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Source : Le Comptoir

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