Une convention internationale sur la participation publique : à découvrir… et à ratifier!

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens » et étudiant chercheur à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


 

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Mots clés : Droit international, environnement, accès à l’information, participation publique, évaluation environnementale, convention d’Aarhus.

Il ne fait pas de doute que le droit international joue un grand rôle en environnement; pensons seulement aux retombées de la Déclaration de Stockholm ou au fameux Protocole de Kyoto… De plus, le droit international de l’environnement influence le développement d’instruments juridiques nationaux et contribue à modifier positivement nos comportements. Cependant, il existe une convention internationale largement méconnue au Québec et au Canada, la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, aussi appelée « Convention d’Aarhus » (1). Selon nous, la ratification de cette convention par le Canada amènerait des changements positifs dans notre système juridique interne (2).

Cette convention a été signée à Aarhus, au Danemark, en juin 1998, par 39 des 56 pays membres de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU). Elle a toutefois une vocation universelle puisque, selon son article 19, tout pays membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) peut y adhérer. Elle est entrée en vigueur en octobre 2001 et 42 pays, ainsi que l’Union européenne, l’ont ratifiée. Il est déplorable que le Canada, pourtant membre de la CEE-ONU, ne l’ait pas signée, ni ratifiée (3).

Le premier des trois grands « piliers » de la Convention est celui de l’accès à l’information en matière d’environnement. La Convention définit l’expression « information(s) sur l’environnement » et indique les catégories d’informations qui doivent être rendues accessibles au public, c’est-à-dire l’information relative :

  • à l’état d’éléments de l’environnement – par exemple, eau, air et sol;
  • aux facteurs, activités ou mesures qui ont, ou risquent d’avoir, des incidences sur les éléments de l’environnement – par exemple, tourisme et transport;
  • à l’état de santé de l’homme, sa sécurité et ses conditions de vie ainsi que l’état des sites culturels et des constructions.

La Convention distingue ensuite deux voies d’accès à ces informations. La première offre au public la possibilité de demander aux autorités publiques des informations sur l’environnement et de les recevoir. Ce droit d’accès à l’information s’exerce auprès de toutes les autorités publiques (à l’échelon national, régional ou municipal) et inclut aussi les opérateurs privés exerçant des fonctions pour le compte de personnes publiques. Les motifs de rejet d’une demande d’accès sont plus limités qu’au Canada et doivent être interprétés de façon restrictive (4).

La deuxième voie d’accès du public à l’information a trait au rassemblement et à la diffusion d’informations et elle exige des autorités publiques qu’elles « possèdent et tiennent à jour les informations sur l’environnement qui sont utiles à l’exercice de leurs fonctions ». Elles se voient ainsi imposer une obligation de collecter l’information. La Convention exige aussi que des « mécanismes obligatoires soient mis en place » pour tenir les autorités « informées des activités proposées ou en cours qui risquent d’avoir des incidences sur l’environnement ». Ces informations doivent être « mises à la disposition du public de façon transparente », de manière à ce qu’elles soient « réellement accessibles ». Enfin, chaque Partie à la Convention doit publier un rapport national sur l’état de l’environnement, tous les trois ou quatre ans. Au Québec, au contraire, le dernier rapport de ce type remonte à 1992!

Le deuxième pilier de la Convention a trait à la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement. La Convention reconnaît que la population a le droit de prendre part aux décisions qui risquent d’influencer son environnement, et elle traite de la participation du public lors de :

  • décisions relatives à des activités particulières – par exemple, l’installation d’une raffinerie, d’un incinérateur, d’une industrie chimique, etc. (5);
  • l’élaboration des plans et programmes touchant l’environnement - par exemple, la stratégie énergétique du Québec, le plan de transport de Montréal, etc.;
  • l’élaboration des dispositions réglementaires et des instruments normatifs environnementaux – par exemple, l’élaboration de lois, règlements ou politiques en environnement et la discussion entourant leur adoption.

La Convention précise que la participation du public à des activités particulières doit avoir lieu « lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence », c’est-à-dire en amont du projet. Bref, le projet soumis à la discussion doit être réversible et la participation du public doit permettre de choisir entre diverses possibilités, voire même de remettre en question l’opportunité même du projet. Lorsqu’un processus décisionnel touchant l’environnement est enclenché, le public concerné doit être informé immédiatement. Il doit disposer de délais suffisants aux différentes étapes de la procédure et doit pouvoir consulter gratuitement et dès qu’elles sont disponibles toutes les informations pertinentes pour comprendre les enjeux de la décision. Le contenu de ces informations pertinentes est précisé. Les résultats de toute cette procédure doivent être dûment pris en considération au moment de la décision finale et celle-ci doit être rendue publique et doit être motivée.

On est bien loin ici de la situation québécoise où, selon la procédure d’évaluation environnementale régie par la Loi sur la qualité de l’environnement, le public n’est consulté qu’à la toute fin de la procédure d’autorisation et n’a accès aux informations qu’au moment où le ministre décide de rendre publique l’étude d’impact (6). Cette étude peut d’ailleurs être silencieuse ou incomplète sur des points importants, et le gouvernement n’a pas à motiver sa décision d’autoriser ou non un projet. Quant à la participation du public à l’élaboration des plans et des programmes touchant l’environnement, ou « évaluation environnementale stratégique », elle est pratiquement inexistante au Québec. Voilà autant de lacunes importantes entourant la procédure d’évaluation environnementale québécoise qui, advenant la ratification de la Convention d’Aarhus, devraient être corrigées.

Le troisième et dernier pilier porte sur l’accès à la justice en matière d’environnement, non seulement en cas de contravention présumée aux deux droits prévus par la Convention (information et participation), mais aussi pour « contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement » (art. 9.3). Par exemple, en cas d’étude d’impact ne respectant pas le contenu des informations obligatoires précisées dans la Convention, le public pourrait obtenir d’un tribunal l’obligation de réaliser une nouvelle étude d’impact et même l’annulation d’une autorisation accordée sur la base d’une étude d’impact déclarée en contravention aux obligations contenues dans la Convention (7).

Ce bref survol de la Convention d’Aarhus permet de comprendre qu’il s’agit d’un nouveau genre d’accord à l’intérieur du droit international de l’environnement. En effet, ce traité ne porte pas sur des milieux, des substances ou des espèces, mais reconnaît des droits qui peuvent être directement invoqués par tous devant les tribunaux. Au-delà de l’objectif de protection environnementale, cette convention touche aux questions de démocratie et d’exercice du pouvoir partagé entre l’État, les décideurs économiques et les citoyens, condition essentielle du développement durable. D’ailleurs, l’ex-Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan en a dit qu’elle était « la plus ambitieuse contribution à la démocratie environnementale prise sous les auspices des Nations Unies » (8). Faire connaître cette convention et en exiger la ratification par le Canada est donc une tâche qui devrait mobiliser quiconque s’intéresse à l’environnement et à la démocratie.



Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens » et étudiant chercheur à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement.


Sources :
(1) Un Guide d’application est aussi disponible en français.
(2)
Dans notre univers constitutionnel particulier, l’environnement est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et tous ont adopté des lois sur l’accès à l’information ou sur l’évaluation environnementale. Cependant, seul l’État canadien peut ratifier une convention internationale.
(3) En droit international, seule la ratification par un pays contraint celui-ci à mettre en œuvre le contenu du traité.
(4) Il est intéressant de comparer les articles 4.3 et 4.4 de la Convention avec les exceptions à la divulgation indiquées aux articles 18 à 41.2 de la loi québécoise sur l’accès à l’information, et aux articles 13 à 26 de la loi fédérale portant sur le même sujet. Par exemple, la divulgation d’une information qui « risquerait vraisemblablement d’entraver une négociation en vue de la conclusion d’un contrat » est interdite en vertu de l’article 24 de la loi québécoise sur l’accès à l’information, alors qu’elle serait autorisée en vertu de la Convention d’Aarhus.
(5) L’Annexe 1 de la Convention fournit une liste des activités concrètes particulières assujetties aux obligations d’Aarhus, un peu à l’image de ce que l’on retrouve au Québec à l’article 2 du Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement pour l’assujettissement des projets.
(6) Loi sur la qualité de l’environnement
, L.R.Q., c. Q-2, art. 31.3.
(7) Ce qui n’a pas été le cas l’an dernier dans la cause où des citoyens et des groupes environnementaux contestaient la faiblesse du contenu de l’étude d’impact réalisée pour le projet du pont sur l’autoroute 25 : Conseil régional de l’environnement de Montréal c. Québec (procureur-général) 2008 QCCS 2391
(8) Guide d’application de la Convention d’Aarhus, op. cit.
, note 2, p. iv.



Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux.

 

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