Par Chantal Gailloux et Edouard Sigward
Mots-clés : eau, crise mondiale, privatisation, marchandisation, Pacte de l’Eau, droits humains, conflits, Conseil des Canadiens
La communauté internationale se mobilise tranquillement pour que l’accès à l’eau devienne un droit humain à part entière. C’est justement ce que suggère Maude Barlow, ex-conseillère en chef en matière d’eau à l’Organisation des Nations Unies (ONU), dans son nouvel ouvrage Vers un Pacte de l’eau paru le 23 septembre dernier (Éditions Écosociété). Le Canada et les États-Unis s’opposent toutefois à ce qu’une quelconque convention internationale de l’eau, liante et contraignante, voit le jour. L’idée de cette convention internationale traîne depuis quelques temps. Elle a d’abord été émise par l’ancienne Haut-Commissaire aux droits de l’homme à l’ONU, Louise Harbour puis, en 2008, l’Espagne et l’Allemagne l’ont suggérée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans la Décision 2/104 intitulée « Les droits de l’homme et l’accès à l’eau ». Alors que plusieurs États des cinq continents y étaient favorables, seuls le Canada et les États-Unis s’y sont opposés en amendant les termes qui liaient clairement eau et droit humain. La convention à valeur morale légalement contraignante était alors dénaturée et limitée dans sa portée.
Sans protection ni statut particulier, l’eau est à la merci des tentations de mainmise économique des grandes entreprises américaines et européennes qui font des profits colossaux en embouteillant l’eau. On peut citer Nestlé Waters, premier vendeur d’eau en bouteille au monde, ou encore Coca Cola, qui en 2006 a soulevé des mouvements de protestations populaires dans l’Uttar Pradesh, une région du nord de l’Inde. Les militants dénonçaient la surexploitation commerciale qui a mené à une diminution inquiétante du niveau des nappes aquifères ainsi qu’à la contamination des sols de la région. Afin de mieux légiférer ce genre de situation et donner plus de pouvoir aux communautés, une convention internationale de l’eau est tout indiquée, explique Meera Karunananthan, porte-parole de la campagne nationale de l’eau au Conseil des Canadiens. Elle permettrait « la création d’un outil légal pouvant être utilisé par les peuples dont l’accès à l’eau a été restreint », poursuit-elle. Toutefois, selon Annie Rochette, professeure de droit international de l’environnement à l’UQAM, un consensus politique semble encore loin d’être atteint : « Peut-être s’entendront-ils dans dix ou quinze ans, mais pas tout de suite. Il est quasi impossible d’obtenir un consensus entre les États en raison des intérêts économiques liés à la commercialisation de l’eau, notamment à cause de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). » Elle demeure cependant convaincue qu’il est nécessaire que l’accès à l’eau devienne un droit humain dans le contexte actuel de crise de l’eau. Meera Karunananthan constate malheureusement que ce dossier n’est pas prioritaire à l’ONU et que « l’ONU n’a pas le pouvoir de changer le monde seul. »
Le droit national du Canada en matière d’eau est en retard par rapport à d’autres pays plus directement touchés par la sécheresse, le manque d’installations sanitaires ou encore les conflits liés à l’utilisation des ressources hydriques. Étonnamment peut-être, ces pays – tels que l’Afrique du Sud, l’Uruguay, le Bangladesh – ont fait évoluer leur droit interne en matière d’eau alors que le Canada ferme toujours les yeux. Meera Karunananthan précise que « le gouvernement refuse de faire évoluer son cadre législatif, un cadre désuet qui ne reconnait pas l’impact des grandes corporations sur une eau qu’elles polluent. » Cette lacune juridique a pour effet de priver certaines populations autochtones et rurales d’un accès démocratique à l’eau, explique la spécialiste de l’eau. « Quatre-vingt-dix pour cent de nos services de distribution et de gestion de l’eau dépendent des services publics, poursuit-elle. Mais une importante pression est exercée sur les municipalités à travers le Canada pour qu’elles privatisent leur eau par le biais des partenariats public-privé. » Hamilton (Ontario), Halifax (Nouvelle-Écosse) et Moncton (Nouveau-Brunswick) sont autant de municipalités qui ont succombé à l’appel des partenariats public-privé (PPP). L’eau étant une question de santé et de sécurité publique, on peut craindre que sa gestion par des entreprises assoiffées de profits ne porte atteinte à sa qualité et en augmente le coût. En 2001, à North Battleford, en Saskatchewan, plus de 7 000 des 14 000 habitants ont été malades après avoir consommé une eau impropre. En 2005, les habitants de la communauté Crie de Kashechewan, aux abords de la Baie James, ont été contraints d’abandonner leur domicile pour les mêmes raisons. La privatisation serait donc synonyme de perte de contrôle des communautés; elles verraient leur capacité de gestion de l’eau et de participation aux décisions concernant son usage leur échapper. « La marchandisation se ferait en faveur de ceux qui peuvent payer et non pas de ceux qui en ont le plus besoin. C’est donc le citoyen et l’environnement qui devront payer », ajoute Mme Karunananthan. Les enjeux de l’or bleu se situent encore bien loin des préoccupations du gouvernement fédéral actuel. Du côté du Québec, Meera Karunananthan espère que la situation est différente, mais émet des réserves. En effet, l’eau est protégée depuis novembre 1999 grâce à la Loi visant la préservation des ressources en eau qui interdit les transferts massifs d’eau à l’extérieur du Québec. Malgré cela, les entreprises ont encore le droit d’exporter l’eau embouteillée même si l’opposition demeure forte, du côté du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et d’Eau Secours, notamment. Le mythe de la surabondance de l’eau est donc toujours bien ancré au Canada, tant sur la scène politique qu’auprès des citoyens. Le pays possède à lui seul le cinquième de l’eau potable de la planète, mais « seul 1 % de cette eau est renouvelable chaque année », rappelle la porte parole du Conseil des Canadiens. Malgré ce taux de renouvellement fragile, soixante pour cent du PIB canadien dépendent des ressources hydriques du pays; ce qui montre une relation bien précaire.
L’accès à l’eau potale dans le monde
Le péril bleu Ordinaire et abondante pour les uns, rare et précieuse pour les autres, l’eau est conditionnelle à la vie. Cette crise mondiale de l’eau, annoncée au Nord, déjà réelle au Sud, déclenche dès lors passions et violences à l’échelle planétaire. En 2009, plus de 75 % de la population de cette « planète bleue » est confrontée à la rareté de l’eau. L’eau présente ainsi des enjeux géopolitiques sans précédent. En 2004, l’ONU recensait plus de 300 zones de conflits potentiels liés à l’eau dans le monde en plus des régions de conflits déjà avérés.
Les conflits et tensions liés à l’eau dans le monde
Source : Festival international de géographie
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La protection quantitative et qualitative à l’échelle mondiale de l’eau, cette ressource tangible mais aussi symbolique dans de nombreuses cultures, constituerait un positionnement philosophique essentiel de la part des États, pour le bien-être de chacune et chacun. La question de la responsabilité du Nord constituerait-elle un début de réponse à la crise mondiale de l’eau? Certes, le Nord est de façon générale moins confronté aux situations de stress hydrique que le Sud, mais il dispose des moyens d’y faire face. Ne reste que la volonté de le faire. Du 27 au 29 novembre 2009, ne manquez pas le Sommet bleu!
Liens d’intérêt Organismes Vers un pacte de l’eau, Maude Barlow
Waves of regret – What some cities have learned and other cities should know about water privatization fiascos in the United States, rapport de Public Citizen’s Water for All program
Outils juridiques Décision 2/104. Les droits de l’homme et l’accès à l’eau, Conseil des droits de l’homme |