Par Marie-Josée Richard
Mots-clés : eau, préservation, approvisionnement, compteurs d’eau, Canada. Pour bien des Canadiens, l’eau est une ressource intarissable qui peut se recycler à l’infini. Selon de nombreux experts présents à la conférence Le Canada et son eau : vers une nouvelle stratégie, organisée par l’Institut des études canadiennes de l’Université McGill les 25 et 26 mars derniers, la persistance de ce mythe est le plus grand frein à l’avancement de la préservation de l’eau. Or, un sondage publié en mars dernier a révélé que les Canadiens plaçaient la qualité de l’eau des lacs au premier rang de leurs préoccupations, devançant même le pétrole. Serions-nous enfin prêts à agir pour protéger l’eau?
Le vrai coût de la protection de l’eau Mais au fait, risque-t-on vraiment de manquer d’eau un jour? Aux dires du Dr. Peter G. Brown, professeur à l’École de l’environnement de l’Université McGill et co-auteur du livre Water Ethics – Foundational Readings for Students and Professionals, « c’est moins l’approvisionnement en eau qui pose problème que sa qualité, parce que l’eau que l’on renvoie dans la nature est de moins bonne qualité que celle que l’on consomme. » La priorité, selon le professeur, est d’introduire des compteurs d’eau pour les résidents et les industries pour que, au-delà d’un certain seuil de consommation, chacun paie pour son utilisation. « La population doit se rendre compte que l’usage de l’eau a un coût énergétique : il faut, notamment, l’acheminer aux utilisateurs, l’entreposer dans d’immenses réservoirs, la traiter, surveiller sa qualité, etc. En réalité, protéger notre eau demande des investissements majeurs. Tant que les usagers auront à l’esprit que l’eau est gratuite et illimitée, on fera fausse route. »
Des défis de taille David Schindler, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de l’Alberta à Edmonton, également présent à la conférence, dresse un bilan peu reluisant de la pollution de l’eau. « Dans l’est du pays, l’industrie métallurgique relâche des métaux lourds et les manufacturiers de sièges pour véhicules relâchent des PBDE, déclare-t-il. Autour des Grands Lacs, c’est la surconsommation d’eau qui est une menace et, dans les Prairies, l’agriculture intensive à base de fertilisants et d’engrais cause une eutrophication des ruisseaux, rivières et lacs. » Les réserves en eau douce sont rares dans cette dernière région du Canada et, selon le professeur, nous pourrions faire face à une situation pire que la sécheresse des années 1930. Les sables bitumineux sont un cas à part, ajoute-t-il. Nous ne semblons pas nous inquiéter que d’importantes quantités d’eau polluée et inutilisable soient tout simplement… entreposées. « À travers tout le Canada, poursuit M. Schindler, nous avons besoin de règlementations fortes, pas seulement des guides d’emploi de l’eau. Des politiques nationales uniformes doivent être mises en place afin que l’eau soit bien protégée d’est en ouest. »
Revoir notre rapport à l’eau « Quand il est question de l’eau, la majorité des citoyens ne songent qu’à la consommation entourant leurs besoins résidentiels. Pourtant, les enjeux de l’eau sont bien plus vastes », a rappelé Tim Morris, agent de programme pour la Protection des ressources en eau douce à la Walter and Duncan Gordon Foundation, un organisme indépendant très actif dans le dossier hydrique. « L’eau est liée à une foule d’enjeux sociaux, dont la prévention de maladies et la production de fruits et légumes, entre autres, note Antonia Maioni, coprésidente de la conférence de McGill et directrice de l’Institut des études canadiennes de l’Université McGill. Positionner l’eau dans un contexte plus global demeure essentiel. »
Le rôle des médias dans l’équation Selon plusieurs panelistes, les journalistes manquent de connaissances pour bien présenter les débats autour de l’eau et y attirer l’intérêt du public. De fait, tous les yeux sont tournés vers les changements climatiques alors que les hausses de température entraîneront des variations dans les précipitations, les périodes de pluie et les chutes de neige. En conséquence, les enjeux de l’eau devraient figurer au premier plan, et pourtant les journalistes le rappellent rarement. « Une vingtaine de journalistes étaient présents lors de l’allocution du ministre fédéral de l’environnement, Jim Prentice, mais seulement cinq à six ont assisté à l’ensemble de la conférence, s’indigne Pascal Zamprelli, attaché de presse de l’événement. Rapporter la version officielle, c’est important, mais je trouve désolant que les journalistes n’aient pas été plus nombreux à vouloir en apprendre davantage sur les enjeux de l’eau, alors que des experts des États-Unis et du Canada étaient présents. »
À voir également :
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Growing concern over Canada’s lakes : Study (Canwest News Service) Calculatrice de l’utilisation de l’eau (Gouvernement du Canada) Pour protéger l’eau, Ottawa devrait s’attaquer aux changements climatiques (La Presse, 26-03-2010) Qualité de l’eau du Saint-Laurent – Ottawa tarde à renouveler sa stratégie pour le fleuve (Le Devoir, 27-03-2010) Fresh Water Resources Program (Walter & Duncan Gordon Foundation) Eau Canada – The Future of Canada’s Water (Karen Bakker, UBC Press) |