Opinion – Gaz de schiste : la Loi sur la qualité de l’environnement permet-elle vraiment de protéger l’environnement?

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Par Michel Bélanger,

Avocat et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE)


Le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) tient à réagir aux propos de Pierre Arcand, titulaire du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), lorsqu’il affirme que« le gouvernement n’est pas sans ressources pour assurer la protection de l’environnement», les activités de l’industrie étant « notamment encadrées par la Loi sur la qualité de l’environnement(…)»

Pour le CQDE, de tels propos ne sont pas sans soulever d’importantes interrogations sur l’encadrement légal des activités d’exploration des gaz de schiste, lesquelles nécessitent, à son avis, l’imposition d’un moratoire sur ces activités dans les meilleurs délais, soit avant même de connaître les conclusions du BAPE.

 

 La Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) : une loi émasculée!

S’il est exact, comme l’affirme le ministre, que le MDDEP encadre déjà les activités d’exploration des gaz de schiste «lorsqu’elles concernent les milieux humides», en revanche ces mêmes activités sont, depuis plus de 15 ans, totalement soustraites au contrôle environnemental de ce ministère lorsqu’elles ont lieu partout ailleurs sur la terre ferme (Règlement Q-2, r 1.001, art.2, par.6°). Comme on peut présumer qu’une bonne partie des 149 permis d’exploration délivrés à ce jour concerne un territoire autre qu’un milieu humide, il en résulte donc que la délivrance de ces permis n’a fait l’objet d’aucun contrôle environnemental en vertu de la LQE.

Cette exception majeure à l’application de l’article 22 de la LQE, introduite en 1993 par le gouvernement libéral de l’époque (décret 1529-93 du 3 novembre 1993), ne peut se comprendre qu’au regard de la force historique du lobby de l’industrie minière et, surtout, de l’absence ou de la faiblesse des connaissances scientifiques et techniques de l’époque en matière d’exploration des gaz de schiste.

Cette immunité dont bénéficie l’industrie en matière de forage depuis 1993 au regard de l’application de l’article 22 de la LQE ne peut non plus trouver sa justification dans le fait qu’il s’agit de travaux autorisés en vertu de la Loi sur les mines,celle-ci faisant peu de place aux considérations environnementales et sociales.

Il importe également de souligner ici que les projets de développement des gaz de schiste, tant au stade de l’exploration que de l’exploitation, ne sont pas davantage soumis à la procédure d’évaluation environnementale et d’audience publique prévue par la LQE (Règlement Q-2, r.9).

 

Une réglementation à modifier en urgence

Malgré des informations encore incomplètes quant aux risques de cette filière, nous pouvons d’emblée présumer que l’exploration des gaz de schiste est susceptible d’émettre des contaminants dans l’environnement ou d’en modifier la qualité, peu importe le milieu (hydrique ou terrestre). À ce titre, ces activités doivent dans tous les cas faire l’objet d’un véritable contrôle environnemental par le MDDEP en conformité avec les dispositions de la LQE. C’est pourquoi le CQDE demande au gouvernement de modifier sans délai la réglementation de manière que tous travaux de forage visant les gaz de schiste soient soumis à l’autorisation du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs prévue à l’article 22.

Cette proposition de modification réglementaire devrait faire consensus tant au sein de la population que de l’industrie. N’est-il pas exact en effet, comme l’ont rapporté certains médias, que le lobby de l’industrie gazière souhaite aussi des modifications au régime d’autorisation, lesquelles, selon les propos du porte-parole de l’APGQ, André Caillé, devraient garantir aux citoyens la protection de l’environnement. Comme le rappelait en effet M. Caillé le 14 septembre dernier, en réponse à une intervenante inquiète des impacts environnementaux de ces projets «il appartient d’abord et avant tout au ministère de l’Environnement d’assurer la protection de l’environnement en cette matière». Mais encore faut-il, M. Caillé, que ce ministère dispose du pouvoir et des outils légaux pour ce faire, ce qui n’est pas le cas actuellement!

 

Un moratoire sur l’exploration des gaz de schiste : une nécessité!

Si cette modification réglementaire constitue, de l’avis du CQDE, un minimum essentiel pour consolider rapidement le régime de protection de l’environnement, elle n’offre malheureusement pas une solution au problème que posent les permis d’exploration déjà délivrés en vertu de la Loi sur les mines.. De fait, un règlement du gouvernement ne peut avoir pour effet de porter atteinte aux droits acquis, ni avoir de portée rétroactive. Seule une loi peut avoir de tels effets, comme l’illustre très bien le moratoire imposé par loi dans le dossier de la production porcine. 

Du point de vue du CQDE, il y a véritablement urgence d’agir pour le gouvernement en présentant, dès la prochaine session parlementaire qui débute le 21 septembre, un projet de loi imposant un moratoire qui viserait à la fois la suspension de toute activité d’exploration des gaz de schiste actuellement autorisée et l’interdiction de délivrer tout nouveau permis, et ce, tant et aussi longtemps qu’un nouvel encadrement juridique n’aura pas été mis en vigueur.

Le fait que le gouvernement ait déjà annoncé des modifications au cadre légal régissant l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, de même que la déclaration du ministre à l’effet que les connaissances détenues par le MDDEP demeuraient fragmentaires, au point de devoir mandater le BAPE, constituent en définitive un puissant aveu de la faiblesse de l’encadrement juridique actuel de cette industrie et, partant, de la nécessité de surseoir sans délai à toute activité d’exploration des gaz de schiste déjà autorisée en vertu de cet encadrement dans le but de prévenir ou de limiter les atteintes à l’environnement.

Le CQDE est aussi fortement préoccupé par le fait que «Le titulaire de permis de forage doit, dans les 12 mois qui suivent la date de la délivrance du permis, débuter les travaux de forage.». (M-13.1, r. 1, art.19).Tout nous porte à croire que cette obligation légale, conjuguée avec l’éventualité déjà annoncée par le gouvernement d’un resserrement prochain des normes législatives et réglementaires applicables aux hydrocarbures, pourrait constituer pour les entreprises gazières un puissant incitatif à débuter au plus tôt leurs activités d’exploration dûment autorisées.

Une dernière remarque concernant certaines préoccupations voulant qu’un moratoire puisse donner lieu à des poursuites judiciaires contre l’État de la part des entreprises dont les activités de forage, déjà autorisées, seraient ainsi bloquées temporairement. Nous soumettons qu’il suffirait simplement de prévoir dans la loi établissant le moratoire qu’une telle mesure ne peut donner lieu à aucune indemnité de la part de l’État, comme le législateur l’a prévu dans la récente Loi sur l’eau (2009, c. 21, art 31.85).

Pour conclure, le CQDE croit opportun de rappeler au ministre qu’en vertu de la loi, il a le devoir, outre «d’assurer la protection de l’environnement» (c. M-30.001, art.10), de voir à l’application de la Loi sur le développement durable (c. D-8.1.1, art.36). Or, cette loi exige entre autres que l’Administration exerce ses pouvoirs et responsabilités dans le respect des principes de prévention et de précaution (art.6). Au nom de ces principes, et de la nécessité de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts privés, le ministre se doit donc de parrainer la présentation à l’Assemblée nationale d’un projet de loi imposant un moratoire sur l’exploration des gaz de schiste applicable à l’ensemble du territoire québécois.

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