Par Gilles L. Bourque, coordonnateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité
et Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)
Mots-clés : transport, énergie renouvelable, indépendance énergétique, transport collectif, pétrole, Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), Québec (province de). @font-face {«Times New Roman»;
Le Québec est admirablement bien doté pour construire son indépendance énergétique et se donner des infrastructures économiques adaptées aux défis du vingt-et-unième siècle. Il a la capacité d’accélérer la transition vers une économie durable en transformant la structure économique du Québec pour la faire reposer en très grande partie sur des énergies renouvelables. En faisant ce choix, notre société serait à même de canaliser ses dépenses énergétiques vers la construction d’une industrie nationale, tout en contribuant à faire face aux urgences climatiques. Outre ses capacités hydroélectriques, le territoire québécois a un potentiel éolien extraordinaire : le plus grand gisement éolien d’Amérique du Nord est ici même au Québec. Il représente cent fois la capacité installée de production hydraulique. En ne considérant que le seul potentiel situé dans un territoire à proximité des lieux d’exploitation et de transport actuel d’Hydro-Québec, on arrive à une puissance de 100 GW, c’est-à-dire près de trois fois la puissance installée actuellement au Québec. Le potentiel de l’énergie solaire est également considérable : l’ensoleillement est comparable et même supérieur à celui de nombreux pays nordiques européens, qui ont pourtant fait de l’énergie solaire une source très importante de leur consommation énergétique. Tout ce potentiel peut être exploité et mis en valeur dans des délais relativement courts. Il faut toutefois une volonté politique audacieuse qui ferait de l’indépendance énergétique un objectif stratégique visant une restructuration industrielle d’envergure, pour la transition vers une économie verte se déployant sur le plan industriel, commercial et environnemental. Le Québec peut devenir un producteur d’énergie propre, un innovateur technologique et un exportateur d’énergie renouvelable. La création d’emploi, le développement régional et la diversification de notre structure industrielle en profiteraient énormément. Les sommes gigantesques que nous consacrons à l’achat de carburants fossiles importés pourraient être réinjectées dans le marché intérieur. Les transports, pierre angulaire de la stratégie énergétique du Québec La réorganisation de nos infrastructures de transport pourrait constituer la pierre angulaire de cette stratégie. En effet, c’est en matière de transport que la vulnérabilité de l’économie québécoise est la plus grande et où la transition serait la plus difficile à affronter en cas de choc pétrolier. Bien que le Québec ait la capacité de sortir globalement gagnant du passage au véhicule électrique, c’est d’abord et avant tout en misant sur des infrastructures de transport collectif électrifié qu’il pourrait le plus profiter de la conjoncture énergétique marquée par la fin de l’ère du pétrole bon marché. Il pourrait le faire et du coup concilier ses engagements de diminution de gaz à effet de serre (la cible est de – 20 % en 2020 pour le gouvernement du Québec et de – 30 % pour la Ville de Montréal) avec le développement économique dans le secteur des équipements de transport et conforter son développement social avec l’amélioration du transport collectif dans la métropole et les régions. Pour encourager le débat public sur la pertinence d’un grand projet de transition vers une économie durable, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) a réuni des chercheurs et des collaborateurs pour lancer un vaste programme de recherche dont le premier volet vise à établir la valeur économique du recours à l’électrification du transport collectif. Les résultats de la première phase paraîtront le deuxième poste au cours des prochaines semaines. L’étude évalue la mise en œuvre d’un plan global reposant sur l’accélération des projets existants, sur le devancement et la réalisation de projets prévus. Elle sera complétée par la présentation et l’analyse de l’impact économique de la création d’un réseau national de transport collectif reposant sur la technologie du monorail. Cette Note d’intervention présente un premier résultat de cette première phase. Il y aurait fort à gagner à lancer une véritable corvée transport dont l’impact économique serait majeur. 1. Les conditions de réussite L’implantation d’un système de transport en commun peut créer un effet structurant majeur pour une région. Le Vancouver Skytrain, par exemple, constitue un succès reconnu dont les effets sont allés bien au-delà de l’amélioration de la mobilité des personnes. Le nouveau réseau a redynamisé la ville, contribuant à sa croissance et à sa densification. Le centre de la ville s’est même redéployé autour de certaines de ces stations de train. Toutefois, le dynamisme qu’insufflent de tels projets n’est pas automatique. Il dépend généralement d’un ensemble de facteurs économiques, politiques et de gouvernance. Nécessité d’une volonté politique L’ingrédient le plus important du succès de ces projets est la volonté politique. Cette volonté doit être accompagnée, d’une part, de mesures réglementaires et budgétaires favorisant le projet et, d’autre part, de mesures d’accompagnement visant à modifier les conditions et les habitudes d’utilisation des véhicules individuels (taxes, péage, piétonnisation des rues ou des centres-villes, stationnement, etc.). D’autres facteurs favorisent une implantation fructueuse : la qualité, la fréquence et la fiabilité du service offert. Un élément clé tient à la qualité des tracés : les réseaux doivent relier des pôles économiques, sociaux ou culturels. La qualité de la gouvernance dans la réalisation de ces projets constitue un préalable essentiel. De nombreux exemples de dépassement de coûts dans ce type de projets ont contribué à jeter de l’ombre sur le caractère porteur des initiatives. En ces matières, la 2. Le secteur du transport et les énergies fossiles Selon les données de Statistiques Canada, les importations québécoises de pétrole et de gazseraient passées de sept milliards $ en 2000, à près de 13 milliards $ en 2006, dernière année où les chiffres sont disponibles. Selon les données compilées par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF), ces importations auraient explosé à plus de 17 milliards $ en 2008, avant de chuter à 9 milliards $ en 2009, dans la foulée de la crise économique. Irrémédiablement, dans un avenir plus ou moins rapproché, il ne fait aucun doute que l’enchérissement du pétrole se traduira par une fuite de plus en plus importante d’activités économiques à l’extérieur du Québec. Les importations de combustibles minéraux représentent 5,4 % des importations totales en 2000, mais 8,4 % en 2006. Cette année-là, elles constituent 3,7 % des importations interprovinciales du Québec, mais 11,5 % de nos importations internationales. Il n’est donc pas étonnant que la balance commerciale, incluant le commerce international et interprovincial, soit déficitaire depuis 2003. Notre déficit augmente au rythme de l’augmentation du prix du pétrole. En 2008, les ventes nettes de l’essence et du diesel aux véhicules automobiles au Québec ont été respectivement de 8,2 milliards de litres et de 2,9 milliards de litres. Selon l’Enquête sur les dépenses des ménages de 2008, les ménages québécois dépensaient en moyenne 1 925 $ en essence et autres carburants pour leurs véhicules. Ceci représentait 3,2 % de leurs dépenses totales. Si on extrapole les données recueillies auprès de l’échantillon à l’ensemble de la population étudiée, on arrive à une dépense totale de près de 6,5 milliards $, uniquement pour les ménages et pour les carburants servant au transport privé.
Les transports, deuxième poste de dépense des ménages québécois Plus globalement, le ménage moyen a dépensé en moyenne un peu plus de 7 000 $ en transport privé (automobile, essence, assurances, réparations, etc.). Pour l’ensemble du Québec, ça représente des dépenses de presque 25 milliards $. Les dépenses associées aux biens et services liés au transport constituent de fait, le deuxième poste de dépense des ménages québécois, derrière celui du logement. C’est aussi celui qui augmente le plus rapidement. En comparaison, la part consacrée au transport public est bien mince. En fait, les ménages n’ont dépensé qu’une moyenne de 222 $ en autobus, métro, tramway, train de ville ou de banlieue, soit 0,35 % de leurs revenus ou 0,51 % de leur consommation. Collectivement, cela fait un peu moins de 750 millions $ et pour le train, à peine plus de 50 millions $.
Les transports, neuf pour cent de la main d’oeuvre au Québec Selon le ministère des Transports du Québec, le secteur du transport et des industries connexes a compté plus de 300 000 salariés et salariées en 2008, soit près de 9 % de la main-d’œuvre du Québec. La principale composante du secteur est l’industrie du transport et de l’entreposage qui compte plus de 155 000 salariés. Une autre composante importante est celle de la fabrication de matériel de transport. Depuis la fermeture de GM, à Boisbriand, c’est la fabrication d’équipements de transport collectif (train, métro, autobus) qui domine le sous-secteur québécois du transport terrestre.
Le moment d’une stratégie volontariste On peut dire que l’économie québécoise s’est, par la force des choses davantage que par une stratégie clairement assumée, progressivement spécialisée dans le domaine du transport collectif. Le moment est maintenant venu d’en faire volontairement un secteur clé, de calibre mondial, du développement économique du Québec. Le temps est venu de considérer entreprendre une grande corvée transport. 3. Description des projets actuels de transports collectifs L’IRÉC a donc entrepris de considérer comme un tout l’ensemble des projets actuellement présentés le plus souvent un à un, sans évaluation de la portée qu’ils pourraient avoir s’ils étaient lancés et conçus comme une seule et vaste opération de développement économique. Les chiffres ici utilisés sont ceux que les promoteurs de ces projets ont rendu publics. Il ne s’agit pas ici de discuter du contenu et des modalités de chaque projet, mais bien d’évaluer l’effet qu’aurait leur mise en œuvre s’ils étaient considérés comme un tout. Voici, brièvement présentés, les coûts estimés des huit projets qui ont été inclus dans les études à paraître : les projets de transport en commun sur la table à dessein auxquels nous avons ajouté celui de l’électrification des quatre lignes de train de banlieue présentement alimentées au diesel et de la ligne du train de l’Est projetée. Pour le moment, l’IRÉC s’est concentré sur les projets de transport collectif tels qu’ils sont proposés par les diverses agences responsables. L’objectif premier est de tenter de cerner le potentiel de ces projets comme s’ils formaient un seul et vaste chantier. En allant au-delà du cas par cas, l’on est mieux en mesure de saisir la nature de l’enjeu économique et la portée que pourrait avoir un investissement global réalisé dans le cadre d’une vaste opération d’électrification du transport collectif. La question du partage des juridictions a été délibérément mise en suspens.
Le premier projet est la construction de trois lignes de tramway par la Ville de Montréal sur des trajets où la fréquence de déplacements est élevée. Par année, on estime à 31 610 000 le nombre de voyages sur le réseau prévu de 20 km. L’estimation du coût global du projet a été établie à partir de comparaisons internationales ainsi qu’en considérant les difficultés techniques inhérentes aux différents trajets. Le total estimé s’élève à 985 millions $.
Le deuxième est celui du réseau de tramway de la Ville de Québec, proposé dans le plus récent plan de mobilité durable. D’anciennes études ont déjà été faites en 2003. Selon le groupe de travail, le nouveau tracé de 29 km ne devrait pas présenter de grandes difficultés techniques. Les coûts sont estimés à 50 M$/km pour un total de 1,5 milliard $.
Le troisième projet est celui d’un système léger sur rail (SLR) pour résoudre l’engorgement du pont Champlain. Le trajet de 12,9 km relierait la Gare Centrale du centre-ville de Montréal au stationnement Chevrier situé sur la Rive-Sud de Montréal. Une analyse coûts-bénéfices a été réalisée par la firme PricewaterhouseCoopers en 2005 et chiffre le coût à 869,9 millions $.
Le quatrième projet est d’étendre la ligne bleue du métro de Montréal à l’est de la station de métro Saint-Michel jusqu’au boulevard Pie-IX, puis jusqu’à Anjou. L’autre prolongement envisagé est le raccordement de la ligne orange entre la station de métro Côte-Vertu et la station de train Bois-Franc. Dans son plan de transport 2008, la Ville de Montréal chiffre le prolongement du métro à 1 285 millions $.
Le cinquième projet consiste à mettre en place une navette ferroviaire reliant l’Aéroport de Montréal (ADM) au centre-ville de Montréal. La proposition de l’ADM retenue pour la présente analyse passe par les lignes du CN et du CP pour rejoindre la Gare Centrale. Selon l’ADM, l’investissement public initial serait de 600 millions $.
Le sixième projet de transport collectif vise à électrifier le réseau d’autobus de Montréal en deux temps : pour la première phase, la Société de transport de Montréal (STM) compte se procurer 316 autobus hybrides pour les principales artères; dans la seconde phase, c’est l’ensemble du parc d’autobus soit 1 000 autobus électriques ou hybrides supplémentaires qui serait converti à l’électricité. En additionnant ces deux phases, nous arrivons à un total de 895,4 millions $.
Le septième projet est celui de la Ville de Laval qui veut convertir jusqu’à 25 % de sa flotte en trolleybus. Ceci représente 59 autobus ainsi que des coûts d’infrastructure qui représenteraient 59 millions $.
Le huitième projet consiste à électrifier l’ensemble des lignes de train de banlieue de la région métropolitaine, y compris la ligne projetée du train de l’Est (Mascouche et Repentigny). La firme CANARAIL a évalué le coût d’électrifier cette dernière à un total de 94,2 millions $. En étendant ces coûts aux quatre autres lignes de transport, l’ensemble de ces projets de train de banlieue s’élève à 972,2 millions $. En conclusion Ensemble, ces projets concernent des investissements d’un peu plus de sept milliards $. Une évaluation des retombées économiques des projets de transport en commun proposés permet d’estimer une création de 50 000 emplois avec une valeur ajoutée totale de 4,2 milliards $, dont 2,3 milliards $ seraient versés en salaires, 1,8 milliard $ en rémunération du capital et 120 millions en revenus nets des travailleurs autonomes. Les revenus fiscaux des deux niveaux de gouvernement (impôts, taxes, parafiscalité) s’élèveraient à près d’un milliard $. Ces évaluations ne représentent cependant qu’une fraction des impacts économiques, sociaux et environnementaux de l’électrification du transport collectif au Québec. Elles ne tiennent pas compte des effets structurants sur l’industrie du matériel de transport (R & D, investissements de mise à niveau, développement de nouveaux produits innovateurs, exportations), ni de l’amélioration durable de la balance commerciale ou de la productivité globale de l’économie. Elles tiennent encore moins compte des impacts environnementaux positifs de ces projets à long terme.
Par Gilles Bourque
Coordonnateur des Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité Gilles Bourque détient une maîtrise en sciences économiques et un doctorat en sociologie économique à l’UQAM. Il est l’auteur du livre Le modèle québécois de développement : de l’émergence au renouvellement, paru au PUQ, qui s’est mérité le premier Prix pour la meilleure thèse de doctorat de l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine) en 2000.
et Robert Laplante Le directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), Robert Laplante, détient un doctorat d’État en sciences sociales (sociologie) de l’École normale supérieure de Cachan (Paris). Il a publié de nombreux travaux scientifiques, en particulier dans le domaine des études coopératives. Il s’intéresse plus spécifiquement à l’économie politique de l’exploitation forestière et aux questions relatives au développement régional. Il a reçu en 2007 le Prix du mérite coopératif forestier décerné par la Fédération des coopératives forestières du Québec (FCFQ). Son ouvrage sur « L’expérience coopérative de Guyenne » reste une référence pour quiconque s’intéresse aux réalisations de la coopération forestière. En février 2010, il publiait avec Charles Provost un important rapport de recherche intitulé « Le cas de Champneuf et l’émergence de la notion de forêt de proximité ». En août dernier, il publiait une note de recherche intitulée « Forêt de proximité et nouveau régime forestier : occasion ratée, rendez-vous reporté » qui fait une analyse percutante de la nouvelle Loi sur l’aménagement durable du domaine forestier.
|