Par François A. Lachapelle,
Retraité de Hydro-Québec
Sept critères sont utilisés dans cette grille d’évaluation (C-1 à C-7) :
Nous avons fait des calculs que nous avons déposés dans un mémoire devant la CCSN, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, et nous concluons à un coût de 15,8¢/kWh en dollars 2010. Et ce coût unitaire après réfection ne tient pas compte des frais de financement de la réfection, des coûts d’entreposage temporaire des déchets et des coûts découlant du « service après vente » du concepteur du réacteur CANDU en réfection, à savoir Énergie Atomique du Canada Limitée (ÉACL). À 15,8¢/kWh après réfection, l’investissement de Hydro-Québec est condamné à un rendement négatif, soit une perte sur investissement de 50% durant plusieurs années. Le consommateur québécois paie son électricité environ 7,0¢/kWh avant taxes et Hydro-Québec révèle dans son rapport annuel 2010 qu’il vend l’électricité à l’exportation à 8,2¢/kWh. Fabriquer à 15,8¢/kWh et vendre à 8,2¢/kWh, cela nous permet de conclure à une grave perte sur investissement d’environ 50%.
C-2 Les retombées économiques et les emplois pour les années 2012 et 2013 Précisons que le démantèlement de Gentilly-1, réacteur déclassé depuis 1980 et la propriété d’Énergie Atomique du Canada Ltée (EACL), devrait précéder celui de Gentilly-2 à cause de l’état avancé de repos des matières radioactives de Gentilly-1. Cependant, les chiffres de retombées économiques que nous utilisons ci-dessous pour Gentilly-2 excluent ceux de Gentilly-1. L’expertise acquise lors du démantèlement de Gentilly-1 servira directement pour celui de Gentilly-2 et les budgets requis pour Gentilly-1 devront venir du gouvernement du Canada et non de la poche du contribuable québécois. Quant aux retombées économiques de la réfection de Gentilly-2, nous puisons nos chiffres sur le site Internet d’Hydro-Québec qui sont les mêmes que ceux annoncés dans le communiqué de presse du 16 août 2010 de Hydro-Québec.
Dans ce dernier cas, combien de millions$ en salaires? Il faut rappeler que la durée de la réfection est prévue pour 2 ans, en 2012 et 2013. Pour ces deux années, combien d’employés réguliers de Gentilly-2 seront nécessaires? Les 800 actuels? On peut en douter parce que la centrale ne sera pas en opération. J'émets l’hypothèse que la moitié des 800 emplois sera nécessaire, soit 400 emplois. Cela représente 50% de la masse salariale estimée par Hydro-Québec à 45 millions$ par année. Pour les années 2012 et 2013 estimées, cela représente des retombées économiques pour la région de 90 millions$ (45 M$ X 2 ans). On fait le total pour la région en 2012 et 2013: 200 M$ + 90 M$ = 290 M$.
Prenons comme hypothèses du démantèlement les chiffres suivants:
Conclusion pour les retombées économiques entre les 2 scénarios: UNE ÉQUIVALENCE
En 2009, Hydro-Québec révèle la répartition par professions des 819 emplois:
C-3 . À qui profite immédiatement la réfection? Selon les chiffres calculés en C-2 pour les années 2012 et 2013, c’est une équivalence des retombées économiques pour la région. Il n’y a pas de différence entre les deux scénarios :
Les syndicats et leur 2 % de cotisation syndicale de la masse salariale ne seront pas pénalisés. Ce qui dérangera, ce sera un aiguillage différent des cotisations vers d’autres centrales. Les chambres de commerce devraient constater qu’il y a équité pour la région dans la répartition de la masse salariale entre les deux scénarios et le nombre des emplois devrait être protégé. Mais, il y aura un remplacement d’emplois. En situation de démantèlement, des emplois spécifiques à l’exploitation d’une centrale nucléaire active ne seront plus requis. Ils seront remplacés par d’autres plus spécifiques au démantèlement.
Ici, il y a une somme importante d’argent qui sera économisée et qui se partage ainsi :
Ce sont les fournisseurs de produits et de services du nucléaire comme SNC-Lavalin, le concepteur du CANDU, ÉACL et autres gros entrepreneurs qui n’auront pas les contrats à coups de centaines de millions $. Il faudra surveiller le travail de leurs lobbyistes et leurs conseillers en communication pour désinformer le public.
C-4 . Le nucléaire et ses risques actuels
J’oublie volontairement les dommages matériels qui se réparent toujours à un moment donné. Sans entrer dans les détails techniques qui concernent directement le système CANDU de Gentilly-2, plusieurs experts au Québec ont identifiés clairement les dizaines de failles du système CANDU-6 de Gentilly-2. Quelques Québécois informés et initiés connaissent le catastrophe de Tchernobyl qui a commencé le 26 avril 1986 en pleine nuit. Certains parmi eux ont lu le livre de Julie Lemieux intitulé Avez-vous peur du nucléaire? vous devriez peut-être…!. Vingt-cinq ans après cette « erreur nucléaire », on estime que près d'un million de personnes sont mortes des suites de la radioactivité générée par Tchernobyl. Plus près de nous dans le temps, le tsunami du 11 mars 2011 qui a frappé la côte nord-est du Japon et les problèmes graves de la centrale du Fukushima sont une malheureuse démonstration des propos de Hubert Reeves écrits dans son livre, L’Heure de s’enivrer : « […] le nucléaire est trop dangereux pour les humains ». Cela n’arrêtera pas les pro-nucléaires du Canada. Mais cela peut éclairer les Québécois qui font appel au principe de précaution et au principe d’acceptabilité sociale. Le Québec est bien placé pour réfléchir à tête reposée à la balance des avantages et des inconvénients qui découlent du nucléaire. La très belle géographie hydrique du Québec, mariée à l’ingénierie québécoise et à sa société d’État, Hydro-Québec, permettent de regarder plus loin, de s’éloigner de l’arbre collé sur notre nez qu’est le nucléaire. En 2009, les 3,9 térawattheures bruts produits par Gentilly-2 représentent 1,87 % des 208,5 térawattheures appelés « besoins globaux d’énergie » d’Hydro-Québec [cf. rapport annuel 2009, p.97]. Cette proportion ira en diminuant avec les 2468 MW hydroélectriques en développement [rapport annuel 2010, p.116]. La centrale nucléaire de Gentilly-2 est déjà à l’origine de contaminations de l’eau, de la terre et de l’air ambiants à la centrale. Connaissons-nous le nombre de fausses couches des mères habitant dans le voisinage de Gentilly-2? Quel est le nom de l’organisme indépendant au Québec pour diffuser les données environnementales autour de G-2 et faire rapport au public? Le niveau des normes canadiennes est tellement faible que cela ne veut pas dire qu’il y a absence de contamination. Et les incidents de contamination, sous la responsabilité de l’exploitant de la centrale, sont souvent tenus secrets pour ne pas inquiéter la population. C’est leur interprétation du principe de précaution. Il existe aussi un risque financier pour le Gouvernement du Québec qui est de deux ordres. Le premier concerne l’influence à la baisse de la cote de crédit du Québec causée par la présence d’une centrale nucléaire sur son territoire. Cela se traduit par un risque de hausse des taux d’intérêts des emprunts obligataires du Québec sur les marchés financiers. Le deuxième risque financier est compris dans les risques de poursuites contre Hydro-Québec et le Gouvernement du Québec, son seul actionnaire, venant des groupes ou des pays qui subiraient des dommages causés par un nuage radioactif en provenance de Gentilly-2.
Il est très urgent que l’être humain cesse de fabriquer des déchets nucléaires. Même la société japonaise du XXIe siècle est confrontée à mettre la pédale douce sur le nucléaire et le remplacer progressivement par des énergies vraiment renouvelables. Au risque de passer pour un illuminé, la plus belle énergie humaine renouvelable, encore disponible et non polluante est la marche au niveau de l’individu, complétée par la bicyclette et le ski de fond, et le transport collectif. En terme de transport collectif, nos chercheurs québécois sont toujours en alerte. Inspiré par le moteur-roue de l’ingénieur québécois Pierre Couture, certains visionnaires parlent des avantages d’un monorail à grande vitesse qui relierait Montréal à Québec. Cette approche serait plus économique qu’un TGV traditionnel.
Des énergies alternatives au nucléaire existent en abondance, mais probablement pas à la même vitesse de consommation. Le vent peut manquer à l’appel et le soleil ne brille pas toujours. Des milliers de Québécois remettent en question le développement sans frein de nos très belles rivières sauvages comme la Romaine sur la Basse-Côte-Nord. A-t-on le droit de détruire pour des siècles à venir des milieux naturels qui existent depuis des millions d’années et qui procurent un sens à la vie de ceux qui les visitent et de ceux pour qui ce sont des milieux de vie ?
Les experts en nucléaire de Gentilly-2 ont-ils des fonctions utiles à remplir au Québec ailleurs que dans l’équivalent d’une tour d’ivoire? Font-ils de la prévention et de la formation auprès des travailleurs québécois qui sont appelés à manipuler des matières radioactives? Je pense ici aux débardeurs des ports québécois, aux camionneurs, aux facteurs, aux travailleurs d’usine de recyclage de métaux qui sont exposés à des produits contaminés par la radioactivité. C’est sans compter sur des déversements sauvages graves de matières radioactives. Nos spécialistes de Gentilly-2 font-ils de la surveillance sur tout le territoire du Québec pour prendre des mesures en temps réel des niveaux de radioactivités dans les airs, dans nos cours d’eau et sur nos terres? À l’exception des échanges internationaux, les experts en nucléaire de Gentilly-2 sont plutôt endogènes, des êtres qui se réfugient dans leur centrale-laboratoire. Ils remplissent des fonctions sans doute très importantes pour éviter que le « presto saute ». En d’autres mots, les employés de Gentilly-2 pourraient avoir une nationalité cubaine et travailler à Varadero avec leur expertise nucléaire que cela changerait rien à la vie des Québécois. Il y a ceux qui veulent garder vive cette expertise nucléaire au cas où il y aurait un développement futur à saisir. Il y a dans cette vision comme un cul-de-sac et un vide-poche. C’est le cul-de-sac de la technologie CANDU qui remonte aux années 1970 lors de sa conception, technologie que l’on veut rénover en marchant de reculons. Si la technologie CANDU représente moins de 10 % des réacteurs nucléaires en opération dans le monde, cela démontre que cette technologie n’est pas appréciée dans le monde du nucléaire. Le CANDU est même interdit en Angleterre et aux États-Unis d’Amérique. Plus de la moitié des CANDU, 22 exactement, ont été construits au Canada. Parmi les plus vieux, l’exploitant de l’Ontario, OPG, a décidé de fermer définitivement deux réacteurs à Pickering parce que la rénovation est non-économiquement viable. Le vide-poche est celui du contribuable québécois qui ne peut plus payer cette industrie sans fond pendant que nos deux réseaux sociaux publics, celui de la santé et celui de l’éducation, crient au secours. Les mots que Hubert Reeves, astro-physicien québécois de renommée mondiale, écrit dans son livre L’Heure de s’enivrer, résonnent à nouveau dans mon esprit : « […] le nucléaire est trop dangereux pour les humains.» L’actuelle catastrophe à la centrale japonaise de Fukushima est-elle en train d’en faire la démonstration une fois de plus?
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