Les sympathisants de la Fondation David Suzuki vivant dans l'Ouest canadien ont souvent les yeux rivés sur Ottawa dans l'attente du prochain geste que posera le gouvernement en matière d'environnement. Aussi faisons-nous trop souvent peu de cas de la situation de nos concitoyens de la région Atlantique. Cependant, les Maritimes et Terre-Neuve-et-Labrador sont bien des régions côtières elles aussi, et sont de ce fait sur la ligne de front du réchauffement climatique.
Nous savons bien qu'à mesure que les océans se réchauffent, ils prennent de l'expansion et le niveau de la mer monte. Et à cela s'ajoute le volume d'eau issu de la fonte des glaciers et des icebergs et de la disparition de la banquise. Les scientifiques prédisent que le niveau des océans pourrait bien monter de plus d'un mètre d'ici la fin du siècle. Ils sont également de plus en plus nombreux à faire le lien entre les émissions de carbone et le risque d'événements météo extrêmes et de tempêtes de plus en plus dévastatrices, comme le typhon Haiyan qui vient de dévaster les Philippines, ou la supertempête Sandy qui a frappé les États-Unis l'an dernier. De fait, l'une des principales conclusions du plus récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat indiquait que la région Atlantique sera confrontée à des risques semblables si l'on ne fait rien face au réchauffement climatique. Autrement dit la région sera exposée à davantage d'événements météo extrêmes, de marées déferlantes et d'inondations, et à l'érosion généralisée des côtes.
Ian Mauro, spécialiste en sciences environnementales et sociales de l'université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick, a réalisé un documentaire captivant intitulé"Climate Change in Atlantic Canada" pour lequel il a interviewé des parties prenantes dans plusieurs communautés de la région Atlantique — agriculteurs, pêcheurs, résidents locaux, membres de communautés des Premières Nations, scientifiques et gens d'affaires. Tous lui ont déclaré que le réchauffement climatique est en route et que les effets se ressentent déjà dans les communautés et leur mode de subsistance. Tous étaient également d'accord qu'il faut agir et que le scénario du statu quo ne tient plus la route.
Au cœur de la problématique se trouve bien sûr notre soif inextinguible d'énergie, que l'on tire essentiellement des combustibles fossiles. Et notre consommation d'énergie augmente à mesure que s'accroît notre désir de confort et d'efficacité, ce qui pousse à la recherche de ressources de plus en plus difficiles à extraire. Voilà comment les termes sables bitumineux, gaz de schiste, forage en mer et fracturation se sont immiscés dans notre vocabulaire courant en quelques décennies — y compris dans la région Atlantique, où de nombreuses communautés comptent encore sur l'industrie des hydrocarbures pour assurer leur prospérité.
Et on parle maintenant d'exploration pétrolière et gazière dans le golfe du Saint-Laurent, de fracturation en vue de l'extraction de gaz de schiste au Nouveau Brunswick, et du transport vers la côte est de bitume dilué issu des sables bitumineux d'Alberta. N'est-il pas temps de nous demander enfin sérieusement si le profit et la prospérité économiques pour une minorité justifient les risques environnementaux et sociaux menaçant la majorité? La question se pose de manière encore plus criante à la lumière du dernier rapport du GIEC, qui souligne que le meilleur moyen d'éviter le chaos climatique planétaire est de laisser là où elles sont la plupart des réserves de combustibles fossiles.
Au vu des déclarations de la communauté scientifique au sujet de l'ampleur et des impacts du réchauffement climatique — qui découle pour l'essentiel de la combustion des hydrocarbures — nous nous devons à nous-mêmes, ainsi qu'à nos enfants et à ceux qu'ils auront, de réfléchir sérieusement aux conséquences des choix que nous nous apprêtons à faire dans la région Atlantique et ailleurs au Canada. À ce propos, Scott Vaughan, ancien commissaire à l'environnement et au développement durable, nous rappelait avant de quitter son poste plus tôt cette année, que le Canada n'est pas préparé à réagir à un déversement important de pétrole sur la côte est. Pour sa part, Eilish Cleary, Médecin-hygiéniste en chef du Nouveau-Brunswick, affirmait au sujet des aspects économiques de l'exploitation des gaz de schiste que « l'on ne peut se contenter de supposer que plus d'argent se traduit par une population plus en santé ».
Les régions côtières comme la région Atlantique ont une longue tradition de pêche, de tourisme et autres activités marines. Bien sûr, l'activité économique entourant les combustibles fossiles fait partie du paysage de la région Atlantique depuis plusieurs décennies, mais les nouveaux projets d'exploration et d'exploitation énergétique sur terre et en mer mettront à risque l'économie actuelle et le mode de vie de la région, car elles nuiront au tourisme et à la pêche en mer et dans les cours d'eau comme la rivière Miramichi au Nouveau-Brunswick.
En matière de réchauffement climatique, notre avenir ne sera pas le fruit du hasard, mais des choix que nous faisons aujourd'hui et ferons demain. Nous pouvons décider d'ignorer ce que la science nous démontre, ou nous pouvons choisir de changer certaines de nos habitudes et de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et nous débarrasser de notre dépendance envers les combustibles fossiles. Le choix nous appartient — à nous et à nos dirigeants. C'est à nous de rechercher et promouvoir le recours à de nouvelles formes d'énergie et de solutions à nos systèmes énergétiques actuels, afin de donner à nos familles un environnement sain et leur assurer une prospérité économique à long terme.
Je compte faire une tournée dans la région Atlantique vers la fin du mois de novembre. Au programme, des rencontres avec des experts locaux et nationaux, la présentation du documentaire d'Ian Mauro et des discussions avec les communautés de la région sur le réchauffement climatique et les questions liées à l'énergie. Joignez-vous à nous et soyez vous aussi un moteur de changement!
David Suzuki est un scientifique, un communicateur et un auteur, et il est cofondateur de la Fondation David Suzuki.
Avec la contribution de Jean-Patrick Toussaint, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki (Québec).