Photo de Travis S. – Flickr |
On sent planer dans la population un certain sentiment d’impuissance face aux décisions et orientations qui de certains de nos décideurs, qui ne semblent pas être prises en fonction de l’intérêt public, mais plutôt en fonction d’intérêts privés, notamment ceux de l’industrie pétrolière au Canada. Cette constatation me semble particulièrement vraie dans le dossier du projet d’Oléoduc Énergie Est de l’entreprise TransCanada. Je suis pourtant convaincu que rien n’est joué et que les citoyens et leurs représentants auront encore un rôle important et essentiel à jouer dans ce projet, comme dans bien d’autres, passés, présents et à venir.
Il est pour moi évident que l’industrie pétrolière canadienne jouit actuellement d’un contexte non seulement politique, mais aussi juridique favorable à son développement au Canada. Mais cela n’est pas une raison de baisser les bras pour les citoyens qui souhaitent se faire entendre et avoir un impact sur ce projet, bien au contraire!
Tout d’abord, le contexte pourrait rapidement changer, notamment à la lumière des élections fédérales de novembre 2015, puisque tout porte à croire que ce sera le gouvernement canadien qui sera élu à ces élections qui décidera d’autoriser ou non ce projet.
Que peut faire le gouvernement du Québec? Sur le plan politique, il est clair qu’une province comme le Québec peut au moins exiger le respect de certaines conditions (redevances, protection de l’environnement, retombées économiques, etc.) pour approuver la construction d’un pipeline de 700 km sur son territoire. Une ferme opposition à ce projet aurait aussi un impact certain. Si la Colombie-Britannique l’a fait pour le projet Northern Gateway, pourquoi le Québec ne pourrait-il pas aussi le faire?
Sur le plan juridique, l’entreprise TransCanada clame haut et fort qu’elle n’accepte de se soumettre à la Loi sur la qualité de l’environnement qu’à titre de bon citoyen corporatif, puisqu’il s’agit d’un projet de compétence fédérale. Pourtant, rien n’est moins sûr. Les entreprises et activités de nature fédérale ne sont pas exemptées de respecter les lois environnementales québécoises.
D’ailleurs, en mai dernier, la veille de l’audition d’une demande d’injonction pour stopper les forages prévus à Cacouna, l’entreprise a déposé une demande d’autorisation en vertu le la Loi sur la qualité de l’environnement, répondant ainsi à un des éléments qui lui était reproché, et accepté de suspendre ses travaux le temps que Québec rende sa décision. On connait cette décision, mais le point est le suivant: le gouvernement du Québec est en droit d’exiger le respect de ses lois environnementales sur son territoire. Bien sûr, cela pourrait mener à des litiges, des « chicanes », mais cela ne devrait pas freiner un gouvernement qui se tient debout, au contraire!
Qu’en est-il des citoyens? Même si notre gouvernement provincial semble déjà avoir pris position en faveur de la construction de cet oléoduc, il demeure que les citoyens du Québec seront appelés à se prononcer sur ce projet lors d’audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui auront lieu dans les prochains mois. Bien que le gouvernement du Québec ne soit pas lié par les recommandations du BAPE, on imagine mal nos élus provinciaux rejeter du revers de la main le fruit d’une large consultation effectuée par la population. Sinon, à quoi servirait ce processus? Il y aura aussi des audiences de l’Office national de l’énergie, lequel aura la tâche de recommander ou non le projet au gouvernement fédéral. Mais la participation à cette tribune peut être plus complexe que dans le cadre du BAPE.
Les propriétaires de terres sur lesquelles sera construit le pipeline ont tout intérêt à se rassembler et à se faire représenter pour faire face collectivement à ce projet. Un nombre important de propriétaires sera en mesure d’exiger beaucoup plus qu’un propriétaire seul, plus facilement contournable ou expropriable…
Enfin, plusieurs organismes environnementaux et groupes de citoyens se mobilisent. Après une première victoire devant les tribunaux en mai dernier, quatre groupes environnementaux ont essuyé un revers il y a quelques jours devant la Cour supérieure du Québec, alors qu’ils tentaient de démontrer que les spécialistes des bélugas n’ont pas été consultés avant d’autoriser des travaux de forage à Cacouna, dans l’habitat essentiel de ces mammifères marins. Mais ce revers au stade de l’injonction provisoire ne signifie pas que le processus suivi par les décideurs était conforme, ni qu’aucun gains n’ont été faits, lesquels peuvent se calculer en termes de visibilité, d’informations, de positionnement, etc.
Dans ce cas précis comme pour l’ensemble du projet, les contestations judiciaires ne sont vraisemblablement pas terminées. Et c’est légitime car s’il y a un projet où les lois environnementales canadiennes doivent être appliquées rigoureusement, c’est bien celui-ci! Heureusement, des organismes environnementaux, des citoyens et des communautés autochtones veillent au grain. D’ailleurs, pour prendre à nouveau l’exemple de la Colombie-Britannique, pas moins de 12 recours sont devant les tribunaux pour contester le rapport déposé par l’ONÉ il y a près d’un an.
Rien ne justifie le fatalisme, donc. Mais n’oublions pas une chose, les efforts requis pour influencer ce projet seront à la mesure de son ampleur, c’est à dire immenses!
Source: Alexandre Desjardins, avocat, Centre québécois du droit de l’environnement