Dans mon dernier article [1], j'écrivais qu'il ne faut pas s'attendre à des engagements de la part des politiciens pour lutter contre les gaz à effet de serre responsables des changements climatiques. Ce constat s’appuie sur l’observation de l’influence qu’exerce l'économie capitaliste [2] sur les stratégies comportementales des décideurs dont l’intérêt se limite au développement économique à court terme selon un modèle dépassé qui nous projette vers notre perte!
Dans son livre This Changes Everything: Capitalism vs. the Climate [3] édité en français en mars 2015 chez Lux Éditeur[4] sous le titre Tout peut changer: Capitalisme et changement climatique, l’auteure et journaliste canadienne Naomi Klein explique avec exactitude en quoi les changements climatiques et toutes les autres pressions exercées sur les environnements sont les conséquences d'un capitalisme amplifié par des politiques néo-libérales[5]!
Gouvernements, industries et citoyens sont assujettis aux pressions d’une course effrénée à la croissance caractéristique de ce modèle économique insoutenable. L’environnement biophysique subit la surexploitation des ressources, et l’environnement social est victime de mesures inefficaces drainées par l’austérité qui ne fait que réduire la capacité novatrice en projetant plus de citoyens vers la pauvreté. L’humanité est entrée dans l’Anthropocène et son modèle économique propulse la civilisation vers sa faillite.
Paradoxalement, on vise aveuglément la croissance. Dans un rapport [6], l’Agence internationale de l'énergie (AIE) a estimé que l'ensemble des pays devra investir 44 000 milliards de dollars d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 2 degrés afin d'éviter des changements climatiques qui coûteraient encore plus cher. Une récente étude économique [7] de Kepler Cheuvreux conclut que l'industrie pétrolière devra absorber une perte de 28 000 milliards de dollars suite à la réduction des combustibles fossiles.
Ces dépenses de 72 000 milliards de dollars représentent 9863 dollars par personne à l’échelle mondiale! Et cette dette virtuelle ne vaut rien comparée à celle bien réelle de la dégradation de la planète qui soutient la vie à laquelle le capitalisme n’accorde aucune valeur!
Si l'on assumait l’investissement de ces sommes dans les énergies renouvelables et le développement durable, elles rapporteraient 115 000 milliards d’économies, soit 15 753 dollars par personne! Mais ni le capitalisme ni le néo-libéralisme ne sont adaptés à ce genre de stratégies trop novatrices pour ces modèles primitifs de société.
La croissance économique se poursuit avec les pires objectifs. Neuf limites à cette croissance ont été identifiées par des scientifiques depuis 2007 comme étant des frontières que la civilisation ne doit pas dépasser au risque de déstabiliser l’équilibre fragile de la planète [8].
Selon une étude du Stockholm Resilience Centre [9], réalisée par 17 universitaires [10] et publiée en janvier 2015 dans Science [11], l’humanité a dépassé quatre des neuf limites de la planète [12]:
• Les changements climatiques avec une concentration de CO2 dépassant 400 ppm [13] alors qu’elle ne devrait pas dépasser 350 ppm.
• La perte de biodiversité rabaissée à 84% alors qu’elle devrait être de 90%.
• La pollution agricole avec des concentrations de 22 Tg (milliards de grammes) de phosphore et de 150 Tg d’azote dont les seuils sont de 11 Tg et 62 Tg.
• La déforestation dont la superficie a été réduite à 62% alors qu’elle doit être maintenue à 75%.
Deux limites sont dépassées occasionnellement: les émissions de microparticules et la dégradation de la couche d’ozone stratosphérique. Deux limites risquent d’être dépassées sans changements politiques et économiques: l’acidification des océans par l’absorption de CO2 et la consommation d’eau potable limitée à 4000 km3 par année (l’humanité consomme 2600 km3). Il reste une limite dont la capacité n’a pas été mesurée, celle des rejets de polluants organiques, radioactifs, microplastiques, nanomatériaux et autres substances industrielles.
Dans sa conférence [14], Johan Rockström, directeur exécutif du Stockholm Resilience Centre et co-auteur de la recherche, insiste sur la nécessité que le développement de la civilisation soit assujetti aux lois de l’environnement. Ce sont les lois immuables et intransgressibles de la nature et de la physique. Or, la civilisation est guidée dans sa dérive par des conventions du système social élaborées par l’homme au fil de son évolution depuis une époque à laquelle la science ne connaissait pas ces lois [15]! La survie implique une modernisation complète du fonctionnement de la société [16]!
La refonte d’un système aussi complexe requiert une approche intégrée et méthodique afin de garantir un succès acceptable: c’est l’architecture durable de la société. [17]
Cette discipline requiert une analyse, élargie à toutes les sciences, pour comprendre le système actuel, les interactions entre ses concepts et mécanismes qui modulent les stratégies comportementales humaines dont les décisions ont des impacts directs sur l’environnement.
L’IRASD effectue ces recherches depuis deux ans dans le but de proposer des concepts opérationnels de société pouvant servir de modèles pour supporter une modernisation complète du système: gouvernance, législation, économie, etc.
Cette révolution [18] ne sera pas initiée par les décideurs, mais par les 99% des citoyens qui subissent lourdement les conséquences de la dette environnementale engendrée par la croissance impitoyable d’un modèle social non viable sur une planète qui n’est pas infinie.
La nouvelle économie ne sera pas monétaire… Elle sera humaine! Nous sommes riches de 7,3 milliards d’individus capables de réfléchir, et nous devons innover sans compter pour adopter des solutions qui garantiront la pérennité de la civilisation et la survie de l’espèce humaine. [19]
«Tout peut changer»… Nous devons le faire! Mais nous atteindrons l’efficacité collective qu’en abolissant l’individualisme au bénéfice de l’altruisme afin d’unir nos forces et nos différences pour travailler sur le même projet de société avec des objectifs communs! [20]
[3] http://thischangeseverything.org/
[4] http://www.luxediteur.com/naomiklein
[9] http://www.stockholmresilience.org/21/research/research-programmes/planetary-boundaries.html
[11] http://www.sciencemag.org/content/347/6223/1259855.abstract
[12] https://tedideas.files.wordpress.com/2015/03/ideas_envirographic3v7.png
[13] http://co2now.org/
[14] https://www.ted.com/talks/johan_rockstrom_let_the_environment_guide_our_development
[15] https://irasd.wordpress.com/2014/12/31/lhomme-espece-en-danger-depuis-1780/
[16] https://irasd.wordpress.com/mission/
[17] https://irasd.wordpress.com/dossiers/generaux/larchitecture-sociale/
[18] https://irasd.wordpress.com/2014/11/10/linconscience-de-se-resserrer-la-corde-autour-du-cou/
Source: Stéphane Brousseau, Directeur de recherche, B. Sc. Géologie, analyste et architecte en technologies de l’information et des communications, chercheur en architecture sociale durable