L’étude des normes sociales pour une meilleure gestion des matières résiduelles

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Par Emmanuelle Gagné et Valériane Champagne St-Arnaud, candidates au doctorat en communication publique au Département d’information et de communication de l’Université Laval 

Le recyclage est un comportement adopté et approuvé par une importante majorité des répondants d’un récent sondage.

Le recyclage est un comportement adopté et approuvé par une importante majorité des répondants d’un récent sondage.

Afin de préserver l’environnement, il importe d’assurer une saine gestion des matières résiduelles en encourageant des comportements comme le recyclage. Les campagnes de communication dont l’efficacité peut être augmentée en recourant à des normes sociales, peuvent y contribuer.

De nombreuses problématiques environnementales s’enracinent dans les comportements humains. La gestion des matières résiduelles illustre particulièrement bien cet enjeu, puisqu’elle repose sur les habitudes de consommation des citoyens, depuis l’achat des biens jusqu’à la façon dont ils en disposent en fin de vie utile. Au Québec, bien que les habitudes liées à la récupération soient de plus en plus ancrées chez les citoyens, la plus récente étude de caractérisation des matières résiduelles du secteur résidentiel révèle un léger recul du taux de récupération des matières acceptées dans le bac (1). Comment expliquer un tel phénomène? Les auteurs du rapport avancent deux hypothèses : la mise en marché de nouveaux produits et emballages ainsi que les changements dans les habitudes de consommation de la population. Devant ce recul, le réflexe des communicateurs peut consister à recourir à des campagnes d’information pour inciter le public-cible à adopter des comportements jugés bénéfiques pour l’environnement.

Or, la recherche démontre que si de telles campagnes d’information présentent une certaine efficacité, elles sont rarement suffisantes à elles-seules pour provoquer les changements de comportements souhaités (2,3). Parmi les stratégies complémentaires potentielles, l’utilisation des normes sociales peut s’avérer pertinente pour atteindre les objectifs visés (4).

Influence des normes sociales sur les comportements

Les normes sociales sont des « règles et standards assimilés par les membres d’un groupe, et qui guident et/ou contraignent le comportement humain sans la force des lois » (5, p.152). Selon Keizer et Schultz (2013) (6), au sens général, les normes sociales réfèrent à ce qui est communément fait ou approuvé/désapprouvé par les membres d’un groupe, autrement dit à ce que les autres personnes font ou pensent. On distingue deux types de normes sociales : prescriptives et descriptives. Les premières sont relatives au comportement qui est généralement approuvé ou désapprouvé. Par exemple, le fait de jeter ses déchets par terre constitue un comportement qui n’est pas socialement approuvé et une norme prescriptive existe contre un tel comportement. Quant aux normes descriptives, elles correspondent au comportement adopté par une majorité, comme le fait que la plupart des habitants des Pays-Bas parcourent les courtes distances à vélo. Les gens se plient ainsi aux normes pour obtenir l’approbation sociale ou se protéger de sanctions par la société, le but ultime étant d’être appréciés d’autrui (6).

Recyclage du verre à Seattle en 1990

Recyclage du verre à Seattle en 1990

En misant sur ce besoin d’appréciation, les campagnes de communication qui exploitent les normes sociales peuvent augmenter l’efficacité persuasive de ces dernières et favoriser un comportement socialement souhaitable. Les résultats d’une étude établissent que les résidents d’un quartier qui ont été informés que la majorité du voisinage posait des actions pour réduire leur consommation d’énergie ont par la suite consommé eux-mêmes moins d’énergie (7). Dans le même ordre d’idées, Cialdini et ses collaborateurs (4) ont présenté à des participants une série de publicités dans lesquelles une majorité de personnes recyclait, s’exprimait en faveur du recyclage et désapprouvait le fait qu’une personne ne recyclait pas : les chercheurs ont constaté que, à la suite du visionnement des publicités, plus les participants étaient convaincus que le recyclage était un comportement approuvé et répandu parmi leur communauté, plus leur intention d’adopter eux-mêmes ce comportement était grande.

Optimisation des campagnes sur le recyclage au Québec

Un récent sondage réalisé par SOM pour le compte de RECYC-QUÉBEC révèle des normes sociales québécoises fortement positives à l’égard des habitudes de recyclage. Les exploiter pourrait contribuer à l’efficacité des campagnes de communication sur le sujet. Par exemple, 88 % des répondants « pensent que les personnes qui récupèrent peuvent être fières de ce geste » (10, p.8), alors que 75 % des répondants « se disent dérangés du fait que des personnes ne font pas cet effort » (10). Cette norme prescriptive démontre qu’une grande partie de la population approuve ce comportement. De même, la presque totalité des répondants (97 %) affirme disposer des matières recyclables dans le bac de récupération : 70 % le feraient systématiquement et 27 % le feraient beaucoup (10). Cette donnée révèle une norme descriptive positive illustrant que le comportement est fortement répandu. Ainsi, la diffusion de ce type d’information pourrait encourager le comportement de recyclage : si une majorité fait et approuve un comportement pro-environnemental, les communicateurs devraient exploiter conjointement les normes prescriptives et descriptives (4,11).

En considérant la situation des destinataires d’une campagne de communication portant sur la protection environnementale, exploiter judicieusement les normes sociales peut s’avérer pertinent pour maximiser l’efficacité de la campagne. Enfin, les messages persuasifs ayant recours à cette démarche constituent des moyens peu coûteux pour encourager un comportement favorable à l’environnement.

 

Références

  • (1) Éco Entreprises Québec et RECYC-QUÉBEC, 2015. Caractérisation des matières résiduelles du secteur résidentiel 2012-2013. Rapport synthèse [en ligne]RECYC-QUÉBEC. http://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/Upload/publications/carac_2012-2013_rapport_synthese.pdf [consulté le 9 octobre 2015].
  • (2) McKenzie-Mohr, D., 2011. Fostering sustainable behavior: an introduction to community-based social marketing. 3ème édition. Gabriola : New Society Publishers.
  • (3) French, J. et Gordon, R., 2015. Strategic social marketing. London : Sage Publications.
  • (4) Cialdini, R.B., 2003. Crafting Normative Messages to Protect the Environment. Current Directions in Psychological Science, 12 (4), 105–9.
  • (5) Cialdini, R.B. et Trost, M.R., 1998. Social Influence : Social Norms, Conformity, and Compliance. Dans: D. Gilber, S. Fiske et G. Lindzey, (Dir). Handbook of social psychology. 4ème édition, vol. 2. Boston, MA: McGraw-Hill.
  • (6) Keizer, Kees et Schultz, P. Wesley, 2013. Social Norms and Proenvironmental Behaviour. Dans: L. Steg, A.E. van den Berg et J.I.M. De Groot, (Dir). Environmental psychology. Chichester: BPS Blackwell.
  • (7) Schultz, P.W., Nolan, J.M., Cialdini, R.B. Goldstein, N.J. et Griskevicius, V., 2007. The Constructive, Destructive and Reconstructive Power of Social Norms. Psychological Science, 18, 429–34.
  • (8) Cialdini, R.B., Demaine, L.J., Sagarin, B.J., Barrett, D.W., Rhoads, K. et Winter, P.L., 2006. Managing Social Norms for Persuasive Impact. Social Influence, 1 (1), 3–15.
  • (9) Lindenberg, S. et Steg, L., 2007. Normative, Gain and Hedonic Goal Frames Guiding Environmental Behavior. Journal of Social Issues, 63 (1), 117–37.
  • (10) SOM, 2015. Portrait des comportements et des attitudes des citoyens québécois à l’égard des 3RV. [en ligne] www.recyc-quebec.gouv.qc.ca [consulté le 23 octobre 2015].
  • (11) Bortoleto, A.P., 2015. Waste prevention policy and behaviour : New approaches to reducing waste generation and its environmental impacts. London et New York : Routledge.

 

À propos des auteures
 

capture-decran-2017-01-09-a-04-26-48Emmanuelle Gagné

Candidate au doctorat en communication publique au Département d’information et de communication de l’Université Laval.

Dans ses recherches, elle s’intéresse aux manières d’encourager un comportement pro-environnemental, notamment à l’efficacité de la stratégie d’anthropomorphisme et au rôle de l’empathie dans la réception de publicités sociales sur l’environnement. Elle possède une maîtrise en communication publique de l’Université Laval et est diplômée de l’Université d’Ottawa (baccalauréat spécialisé approfondi en communication avec mineure en lettres françaises).


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Valériane Champagne St-Arnaud

Candidate au doctorat en communication publique au Département d’information et de communication de l’Université Laval et consultante en marketing social.

Ses travaux de recherche portent sur l’évaluation de l’efficacité des campagnes de publicité sociale. Jour après jour, elle affine ses connaissances sur ce qui motive ou freine les Québécois à adopter des comportements durables. Elle conseille également des organisations dans leurs efforts de sensibilisation de la population aux enjeux de développement durable.

Elle conjugue des études de maîtrise en environnement (Université de Sherbrooke) et quatre ans d’expérience professionnelle en communication.

 

 

Cet article, publié dans le cadre d’un partenariat avec le Journal l’Interdisciplinaire, est paru originellement dans le numéro 10 de l’hiver 2016

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Un commentaire

  1. Geoffroy Ménard on

    C’est sûr, le comportement de son entourage est le principal déterminant du comportement du citoyen lambda. On aurait intérêt à utiliser ça au maximum pour tenter de changer la culture du gaspillage. Voir aussi cet épisode très intéressant de freakonomics:

    http://freakonomics.com/podcast/riding-the-herd-mentality-a-new-freakonomics-radio-podcast

    « Years back, Cialdini wrote a book that became a classic in business circles. It’s called Influence. His research career has been dedicated to the power of social norms. For instance, in one experiment, Cialdini wanted to know what would influence people to reduce their home-energy consumption. So, he and his researchers went around neighborhoods in San Diego hanging signs on people’s doors. They used four different versions of the sign, so they could measure the effectiveness of each one. One, the message said please reduce energy in your home in order to reduce the expenditure of resources on the planet. Another said please reduce energy consumption in the home in order to save money at the end of the month on your own bill. A third said please do this for future generations so that your children will have access to these resources. And then we had yet another that we’d never seen employed. And it said simply, the majority of your neighbors are regularly undertaking efforts to reduce energy in their homes, please follow.
    And then we measured their energy use at the end of the month. We were actually going into their yards,
    risking vicious dogs and sprinkling systems, and we looked at their energy use as a result of receiving one or another of those messages. (…) The one that was by far the least rated as a motivator of their change was the one that was indeed the one that did lever their change the greatest, the one that said that your neighbors are doing this. They waved their hands at us when we asked them that question, “Oh come on I don’t care what my neighbors are doing. That’s not me.” People wanted to see themselves as independent, as orthogonal to those around them. And so, they just weren’t going to believe it. And this leads to a real problem, which is because people don’t believe that these kinds of pulls, and draws, and motives affect them powerfully, when they get into positions of developing programs to create pro-social behavior, they don’t think of this one, because when they introspect they say oh this wouldn’t work on me, why would I load it into the wording of a message designed to move people in pro-social directions? »

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