Un plan de développement durable fort décevant

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur

 
Mots clés : développement durable, stratégie gouvernementale, MDDEP, participation citoyenne.

Comme prévu dans la Loi sur le développement durable (1), les 150 ministères, organismes et entreprises du gouvernement du Québec viennent de publier leurs plans quinquennaux de développement durable énonçant les actions et les priorités retenues pour se conformer à la Stratégie gouvernementale de développement durable 2008-2013. Puisque le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) est responsable de promouvoir et de coordonner la démarche de développement durable au sein de l’Administration publique québécoise, nous avons choisi d’analyser son Plan d’action de développement durable 2008-2013. Nous partageons l’avis exprimé dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement voulant que « La meilleure façon de traiter les problèmes environnementaux est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés… » (2). C’est pourquoi notre analyse portera principalement sur les actions et les mécanismes permettant d’améliorer cette participation.


Dans le mot d’introduction de la ministre Line Beauchamp, on lit que le ministère « …tout en assumant ses responsabilités environnementales et de conservation, tiendra davantage compte de la nécessaire harmonie entre ses préoccupations de base et la sensibilité qu’il doit avoir eu égard aux questions sociales et économiques. La grande majorité des gestes qu’il entend poser dans sa démarche de développement durable d’ici 2013 s’inscrira sous cette étiquette ». Pour bien des gens impliqués dans les questions environnementales québécoises, le MDDEP souffrait déjà d’un grave manque de poids politique, sinon de volonté, face aux poids lourds représentant les intérêts économiques, tant au Cabinet que dans la société. Alors, apprendre que, pour le ministère, le développement durable signifie tenir davantage compte de ces intérêts, alors qu’ils sont les principaux responsables des crises économiques et écologiques actuelles, nous semble consternant et de bien mauvais augure.


Par ailleurs, le ministère déclare avoir déjà intégré dans ses activités plusieurs éléments de la démarche de développement durable, notamment par le processus d’évaluation environnementale. Or, la procédure d’évaluation environnementale québécoise remonte à 1978, bien avant l’adoption généralisée du paradigme de développement durable, et elle est demeurée pratiquement inchangée depuis. Si le développement durable est plus qu’une simple formule incantatoire et représente réellement une nouvelle façon d’envisager nos projets de développement, il faut actualiser notre procédure d’évaluation environnementale en conséquence. Cela permettrait aussi d’intégrer les intéressants progrès survenus en droit international sur la participation publique (3).


En revanche, « l’action 8 » de « l’objectif organisationnel D », relevant de « l’Objectif gouvernemental 4 » (!!!) indique que le ministère va « Accroître progressivement la démarche de développement durable dans le cadre législatif et réglementaire de protection de l’environnement ». Le MDDEP se fixe pour cible la mise en œuvre, d’ici 2013, de six lois ou règlements. Plusieurs sont déjà connus, mais on y cherche en vain l’intention d’imiter l’Ontario avec son récent projet de loi sur la réduction des substances toxiques. Idem pour ce qui est du projet de Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère, attendu depuis de nombreuses années et qui fait du Québec un cancre, tant en environnement qu’en santé publique.


Rien non plus sur une éventuelle législation nationale sur la protection des lacs, indispensable pour mettre fin à l’anarchie et au laxisme régnant dans les municipalités, comme le démontre si bien le récent documentaire « Nos lacs sous la surface ». En revanche, l’action 22, découlant de l’orientation stratégique gouvernementale « Favoriser la participation à la vie collective » vise à « Accroître l’implication volontaire des riverains dans la protection des écosystèmes lacustres ». Il reste à voir si cela signifiera le fait de mettre fin à la loi du silence imposée l’an dernier dans le dossier des algues bleu vert… L’accès à l’information, un principe juridique de base du développement durable, implique pourtant un tel changement d’attitude.


Par ailleurs, pourquoi cette incitation à la participation à la vie collective est-elle limitée à la protection des écosystèmes lacustres? Qu’en est-il de la participation du public à la protection du Saint-Laurent et des rivières? C’est pourtant sur leurs rives qu’habite le gros de la population québécoise. Qu’arrive-t-il à ceux et celles qui s’impliquent volontairement dans la protection des forêts, des terres agricoles, des paysages et des milieux humides du Québec? Ne sont-ils pas des acteurs importants du développement durable?


Encore plus important, comment peut-on prétendre vouloir favoriser la participation à la vie collective sans même glisser un mot sur le manque de ressources financières dont souffrent le travail des groupes environnementaux et l’implication des citoyens qui veulent participer aux audiences publiques du BAPE? Un plan d’action de développement durable digne de ce nom devrait proposer des formules tangibles pour remédier à ces problèmes. En outre, ce type d’action concrétiserait plusieurs objectifs énoncés dans la Stratégie gouvernementale de développement durable 2008-2013.


Par ailleurs, la Loi sur le développement durable et la Stratégie gouvernementale prévoient l’adoption d’indicateurs de développement durable. Les indicateurs choisis revêtent une grande importance, puisque ce sont eux qui permettront d’« informer la population sur l’état de la situation et les progrès réalisés ».On aurait été en droit de s’attendre à ce que le MDDEP, en tant que coordinateur et animateur de la démarche de développement durable, annonce son intention de consulter et de faire participer largement le public à l’élaboration des indicateurs choisis. Encore un silence inquiétant. Lorsque c’est l’examiné qui choisit les critères d’examen, on ne peut guère douter du résultat…

Conclusion

Puisque la Loi sur le développement durable ne vise que l’Administration publique québécoise, il est important que cette dernière propose une démarche exemplaire, de façon à pouvoir jouer un rôle de catalyseur pour le reste de la société. Malheureusement, le plan du MDDEP privilégie des objectifs administratifs internes, peu ambitieux, et semble être un plan de communication plutôt qu’un véritable plan de développement durable. Il ne propose aucun objectif de réduction de la pollution ou de restauration environnementales précis, basé sur des données actualisées et publiques. Il opte plutôt pour des actions et des objectifs formulés de façon à ce qu’il soit très difficile de pouvoir juger du taux de progrès sur les questions abordées. La société québécoise peut difficilement trouver dans ce plan une source de motivation et de confiance. En effet, des principes juridiques essentiels au développement durable, comme l’accès à l’information et la participation du public à la prise de décision, semblent écartés, sinon incompris. De fait, rien dans ce plan n’indique qu’une véritable transformation est en cours au sein du MDDEP pour mettre en œuvre rapidement le projet de développement durable au Québec. Entre ce « plan de développement durable » et le « Plan Nord » du gouvernement Charest, on voit vite celui qui aura le plus de poids…


Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur


Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement. 


Sources :
(1) L.R.Q., c. D-8.1.1, art. 15 à 17.
(2) Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, U.N. Doc. A/CONF.151/26Rev.1 (1992). Principe 10.
(3) Par exemple, la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus), Doc. U.N. CEE/CEP/43 (1998) [En ligne]

Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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