Éteins les lumières, j’y vois rien!

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Par Valérie Ouellet                                                                                    À lire également : Pollution ou valorisation?


 

Mots-clés : Pollution lumineuse, lumière, éclairage, Montréal, centre-ville.

Dans les bandes dessinées, la police appelle Batman à l’aide d’un énorme projecteur dont la lumière perce la nuit de la métropole. Mais que pense la population de Gotham City de cette lueur éblouissante masquant le firmament? Il n’y a pas que les justiciers en collants qui abusent de l’éclairage. On estime que chaque Québécois émet en moyenne deux à trois fois plus de lumière qu’un Américain ou un Européen (1). Pour remédier à cette pollution lumineuse, des mesures sont prises pour éteindre les immeubles commerciaux du centre-ville.



Ce qui semble au premier abord un charmant coucher de soleil campagnard
est en réalité un cliché nocturne du halo lumineux émis jour et nuit par notre métropole montréalaise.


(Photo : Pierre Tournay)


On pourrait jurer que la photographie prise par l’astronome amateur Pierre Tournay au sommet du Mont Rigaud est un coucher de soleil. Pourtant, ce cliché a été croqué bien après minuit, aux premières heures du Jour de la Terre, le 23 mars dernier. Dans la grande région de Montréal, la lumière émise par le centre-ville est telle qu’il est impossible d’observer les étoiles, indique ce résidant de la Ville d’Hudson. « Nous sommes en train de prendre la nuit pour un jour artificiel », se désole-t-il.


« La pollution lumineuse est la dégradation d’un milieu ou d’un microclimat normalement sombre par l’introduction, directe ou indirecte, de la lumière », définit Mihaï-Razvan Pecingina, ingénieur spécialiste en éclairage pour la firme Kelvin-Emtech. Selon ce dernier, ce n’est pas seulement Montréal, mais la plupart des grandes agglomérations urbaines qui inondent la voûte céleste de lumière. Qu’il s’agisse d’un lampadaire de rue mal orienté ou d’un panneau publicitaire allumé à trois heures du matin, les exemples de pollution lumineuse peuplent la métropole montréalaise.

Les militants coupent le courant


Excédés par l’éclairage aveuglant du centre-ville de Paris, des activistes français ont décidé de fermer eux-mêmes les lumières allumées inutilement dans la Ville Lumière. Une perruque colorée enfoncée sur le crâne, les membres du Clan du Néon ne comptent plus les enseignes et lampadaires qu’ils éteignent sitôt le soleil disparu. Selon le magazine français Rue89, de plus en plus de Français se réclament au bien nommé Clan du Néon. Pour les voir en pleine action, cliquez ici.

Des règlements inexistants

L’absence de réglementation québécoise sur l’éclairage extérieur n’améliore en rien la situation. À la Régie du bâtiment du Québec, le seul règlement sur l’éclairage recommande le maintien d’un éclairage dans les corridors de sécurité et les issues de secours à l’intérieur des bâtiments. Une norme qui ne justifie pas la luminosité abusive de certains gratte-ciels.


Quant à la Ville de Montréal, elle mentionne dans son Plan d’urbanisme la diffusion prochaine d’un guide d’éclairage urbain au service des citoyens soucieux de l’environnement. Ce document présentant les bonnes pratiques d’éclairage n’aura toutefois aucun pouvoir législatif sur les citoyens délinquants. « La Ville de Montréal n’a qu’un pouvoir de législation sur l’éclairage des grandes artères. C’est à chaque arrondissement d’établir ses propres règlements sur l’éclairage extérieur », précise Sylvie Tremblay, conseillère en aménagement et responsable du Plan Lumière à la Ville de Montréal.

Les gestionnaires d’immeubles visent vert

Même s’il n’existe aucun règlement forçant les gestionnaires à couper le courant la nuit, les initiatives pour l’environnement font leur chemin le long des gratte-ciels. Pour recevoir la certification québécoise BOMA (Building Owners and Managers Association), les gestionnaires d’immeubles doivent calculer leur consommation énergétique dans l’immeuble, puis reçoivent la visite d’un inspecteur du BOMA qui attribue des « points verts » au bâtiment.



À chaque jour, le Complexe Desjardins accueille 35 000 visiteurs
dans son centre commercial, ses trois tours à bureaux ainsi que son hôtel.
Comme 1 100 autres immeubles et établissements au Québec, il a reçu la certification BOMA.

(Photo : Valérie Ouellet)


Desjardins Gestion immobilière (DGI), propriétaire du Complexe Desjardins, est l’un des 1 100 gestionnaires certifiés verts par la BOMA. « L’éclairage fonctionne seulement entre sept heures du matin et sept heures du soir dans le complexe. Après sept heures, on diminue graduellement la luminosité. À partir d’une heure du matin, toutes les lumières extérieures sont éteintes », explique Gilles Fortin, chargé de l’équipe électromécanique du complexe.  Des minuteries ont aussi été installées pour les déplacements de l’équipe d’entretien. Dans les tours à bureaux, les locataires couche-tard doivent débourser quinze dollars pour chaque heure où ils demeurent sur les étages après l’horaire régulier.


Pour une certification de niveau élevé, on suggère aux gestionnaires l’installation d’un système centralisé de contrôle d’éclairage, ainsi qu’une minuterie ou un détecteur de mouvement à tous les étages. Toutefois, ce ne sont pas tous les immeubles qui peuvent se permettre ces installations. « Afin d’éteindre toutes les lumières dans un immeuble plus âgé, il faudrait changer le système électrique au complet. C’est un investissement majeur que les gestionnaires ne peuvent pas tous se permettre », indique Steve Poulin, président du comité environnemental pour l’association BOMA.

Quand le ciel nous tombe sur la tête


Que vous soyez un passionné des astres ou un curieux à l’âme romantique, l’observation des Perséides est une excellente façon de vous mettre la tête dans les étoiles. Visible dans l’hémisphère nord entre le 10 et le 15 août, cet essaim d’étoiles filantes semble provenir de la constellation de Persée  d’où il tire son nom. On surnomme aussi ces milliers de poussières d’étoiles incandescentes Larmes du Saint-Laurent, parce qu’elles apparaissent dans le firmament le jour même où est célébrée la fête du saint.  

Cette année, les deux meilleures soirées pour observer les étoiles filantes à Montréal seront celles du 11 et du 12 août, entre 21 h 30 et 22 h 30 environ, selon le Planétarium de Montréal. Nul besoin de téléscope ou de jumelles, elles sont visibles à l’œil nu.

Pour célébrer la venue des Perséides, quelques activités sont prévues par les amoureux des étoiles :

L’Observatoire astronomique de La Découverte, situé sur la base de plein air de Val-Bélair, célèbre pour une septième année la Fête des Étoiles du 8 au 10 août prochain. Les astronomes amateurs du Club d’astronomie Io de Val-Bélair seront sur place pour informer les gens sur les Perséides et leur donner quelques conseils d’observation. Ils mettront également leurs téléscopes à la disposition des visiteurs. Ces derniers auront aussi accès au téléscope de 305 mm de l’observatoire. Pour plus d’informations, cliquez ici.

Le 15 août prochain, le Club d’astronomie de Québec propose une conférence au Chalet du sommet, sur le Mont Saint-Anne, donnée par Charles Tisseyre, animateur de l’émission Découverte. Une séance d’observation des étoiles avec télescopes se tiendra au chalet de la Crête. Feu de camp et musique d’ambiance sont également au programme de la soirée. Pour plus d’informations, cliquez ici.  

Que vous observiez ce phénomène en ville ou à la campagne, n’oubliez surtout pas votre liste de vœux!

Éclairage à rabais

Malgré tout le travail accompli, un grand travail de sensibilisation reste encore à faire, autant chez les locataires que leurs employés, concède Steve Poulin. La presque totalité des entreprises laisse encore leur enseigne lumineuse allumée toute la nuit. « Ils estiment que le coût pour laisser l’enseigne allumée 24 heures sur 24 vaut largement la visibilité qui en résulte », explique Steve Poulin.   


L’éclairage abusif des immeubles commerciaux pourrait s’expliquer par le faible coût de l’électricité au Québec. Pour un particulier, Hydro-Québec demande 0,80 $ par kilowatt consommé. Les grandes entreprises qui consomment plus de 5 000 kilowatts par mois, quant à elles, profitent d’un taux préférentiel de 0,50 $. « Si l’électricité était dix fois plus chère, je suis sûr que tout le monde ferait plus attention », déclare Pierre Tournay.   



Si l’électricité coûte moins cher, il n’en demeure pas moins que le Québec envoie
l’équivalent de 45 millions de dollars en énergie lumineuse vers le ciel à chaque année , ce qui
correspond à la moitié de toute la lumière envoyée par l’ensemble des États-Unis pour la même période (1).


(Photo : Pierre Tournay)

Du Mont Mégantic à Montréal


Fatigué de scruter le ciel en vain, Pierre Tournay s’est tourné vers les administrations municipales pour faire changer les choses. Inspiré par l’initiative de Chloé Legris, qui a mis sur pied la première réserve de noirceur internationale dans le parc national du Mont-Mégantic avec l’appui des Municipalités régionales de comté (MRC) du Granit, du Haut Saint-François et de Sherbrooke, l’astronome amateur tente de convaincre les élus de la grande région de Montréal de réguler l’éclairage extérieur résidentiel.


« Pour convaincre les élus municipaux, je ne peux pas parler du ciel. Ils ne veulent pas créer des règlements pour quelques trippeux d’astronomie. Alors je leur parle d’argent, d’économie d’énergie, de sécurité routière. » Jusqu’ici, l’ambassadeur des étoiles a approché la MRC de Vaudreuil-Soulanges, ainsi que les villes de Hudson, Beaconsfield et Westmount. Malgré l’intérêt évident des élus pour son projet, aucune des municipalités approchées par Pierre Tournay n’a encore adopté de règlement officiel sur l’éclairage extérieur.



Une meilleure lumière pour de meilleures nuits



Si on veut éclairer sans éblouir, une règle d’or doit être suivie lorsqu’on fait le choix d’une lampe :
il ne faut jamais pouvoir voir l’ampoule, révèle Pierre Tournay.


(Schéma : Pierre Tournay)


Pour l’instant, les propriétaires d’immeubles commerciaux comme les citoyens ordinaires sont laissés à eux-mêmes. « Si ton voisin fait jouer son album de Marilyn Manson à trois heures du matin dans le tapis, tu appelles la police parce que c’est illégal. Par contre, s’il n’éteint pas le gros projecteur qui éclaire directement la fenêtre de ta chambre, tu ne peux rien faire! », commente André Bordeleau, animateur scientifique au Planétarium de Montréal.


Cette année, pour apercevoir les Perséides (voir encadré), ces centaines d’étoiles filantes visibles à la mi-août, les astronomes montréalais devront encore une fois s’exiler très loin des gratte-ciels. « Si les citadins ne comprennent pas l’ampleur de la pollution lumineuse qu’ils causent, c’est d’abord parce que la plupart d’entre eux n’ont jamais eu la chance de voir un ciel étoilé complètement dégagé. Ils ne savent pas ce qu’ils manquent! », conclut Pierre Tournay.


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Sources :
(1) Éclairage nocturne et pollution lumineuse. Mémoire remis à la Ville de Montréal dans le cadre de la consultation publique pour la révision du Plan d’urbanisme. Préparé par Chloé Legris et présenté par la Fédération des Astronomes Amateurs du Québec (FAAQ).

 

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